Les Algériens ont le sentiment d’avoir gagné une bataille en poussant le président Abdelaziz Bouteflika vers la démission. Mardi soir, ils sont sortis manifester dans la rue à Alger et dans d’autres villes leur joie.
Avant le 22 février 2019, peu d’observateurs pouvaient imaginer que le président qui gérait le pays avec ses trois frères, Nacer, Said et Abdelghani, pouvait quitter le pouvoir un soir. En janvier 2019, on avait installé les décors d’un cinquième mandat présidentiel pour que Bouteflika, malade, absent et aphone depuis des années, parte en douceur avec le sentiment d’avoir réussi à accomplir sa mission à la tête de l’Algérie.
Il voulait sortir par « la grande porte », selon son entourage, avec la ferme intention d’inaugurer la grande mosquée d’Alger, comme un symbole d’une victoire. Il ne le fera pas. Bouteflika quitte la Résidence de Zéralda après avoir abandonné le Palais d’El Mouradia, livré aux quatre vents, et aux forces « non constitutionnelles », selon l’expression consacrée par Ali Benflis, président de Talai’ Al Hurriyet, reprise par l’armée.
Bouteflika est parti sans prendre « les décisions importantes » qu’un communiqué qui lui a été attribué l’avait annoncé mardi. L’Histoire retiendra que la rue a chassé Bouteflika. L’armée n’a fait qu’accélérer les choses.
Début de la « Débouteflikisation »?
Quelle sera la suite des événements ? Si l’on prend en compte les critiques sévères du commandement de l’armée à l’égard de l’entourage du président Bouteflika et l’évocation de détournement de l’argent et de transferts illicites de capitaux, une période de «débouteflikisation » va commencer pour démanteler le système mis en place et renforcé pendant vingt ans.
Il faut s’attendre à ce que les poursuites pénales soient étendues à ceux qui ont profité des largesses du « système famillial » de Bouteflika en bénéficiant de crédits bancaires sans les rembourser, de commandes publiques à la pelle et de régime fiscal « spécial ». La justice, en quête d’indépendance, aura une charge particulière surtout que la rue réclame avec force des comptes aux « voleurs » et aux « corrompus ».
La justice aura-t-elle les mains libres pour aller jusqu’au bout dans ses investigations ? Pourra-t-elle éviter les règlements de comptes politiques pour n’appliquer que la loi dans toute sa rigueur ? Une nouvelle opération « mains propres » n’est pas à écarter, mais tout dépend de la manière avec laquelle la transition politique sera menée.
Transition politique au-delà de la Constitution
Si Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation, prend la tête de l’État, comme le prévoit de la Constitution, durant 90 jours, il y a lieu de douter de la capacité de la justice de travailler librement.
Abdelkader Bensalah est un fidèle parmi les fidèles des Bouteflika. Comme, il aura les prérogatives d’un chef d’État, il aura toujours les moyens d’arrêter la machine judiciaire, d’instaurer l’impunité. À moins que la transition soit menée autrement puisque les Algériens, qui manifestent dans la rue depuis un mois et demi, veulent le départ tout le régime.
L’idée qu’Abdelakder Bensalah soit remplacé à la tête du Conseil de la nation n’est pas à exclure. Il pourrait être remplacé par une personnalité plus consensuelle pour permettre une transition avec moins de dégâts.
L’armée, qui dit être attachée à la stabilité de l’Algérie et à l’unité nationale, pourrait jouer un rôle déterminant dans la période de transition en ouvrant des négociations avec l’opposition pour dégager une formule politique qui ne s’écarte pas de la Constitution et qui ne va pas contre la volonté populaire de changer le système. On irait alors vers une transition politique avec l’appui de certaines personnalités respectées par les classes populaires avec un agenda précis qui peut faire l’objet de discussions larges avec les partis et la société civile.
L’objectif premier sera la préparation d’une élection présidentielle ouverte, libre et transparente en mettant tous les mécanismes nécessaires pour éviter la fraude ou la cooptation. Bien élu, le prochain président aura tous les pouvoirs pour mener une autre transition pouvant mener vers l’instauration graduelle de « la deuxième République » réclamée par l’opposition et la rue.
Cela dit, la prochaine période sera inédite dans l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Le haut degré de conscience politique montré par les Algériens dans la rue peut aider l’opposition, l’armée et l’élite à passer à une nouvelle phase sans trop de casse.
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