Politique

Bouteflika et « les vertus de la continuité »

Bouteflika s’est adressé ce 24 février aux travailleurs, et à travers eux à tout le peuple algérien. Un message très attendu car survenant au lendemain de grandioses marches populaires réclamant le départ du président à l’issue de son mandat actuel.

L’opinion nationale était accrochée à ce qu’allait dire le chef de l’État pour mieux entrevoir les intentions du pouvoir, donc la suite des événements. Personne n’attendait à ce que Bouteflika renonce dès maintenant à sa candidature. Le retrait est une carte qu’il n’abattra pas avec une telle facilité, mais il pouvait au moins s’engager à faire du mandat qu’il sollicite le dernier, ou se montrer plus explicite sur son projet de réformes, en annonçant des mesures concrètes et un échéancier.

C’est ce que pouvaient espérer les plus optimistes. Hélas il n’en est rien. Le message présidentiel, à plus d’un égard, ressemble aux dizaines de lettres lues en son nom à diverses occasions. Les affres du terrorisme dans les années 1990 puis la paix retrouvée, l’instabilité à nos frontières puis les réalisations socioéconomiques, pour déboucher sur la nécessité de « continuer » l’œuvre et préserver la stabilité.

Une petite nouveauté cette fois, le rappel du rôle du « front du Sud », qui « partait d’ici aux territoires de la République du Mali », soit le fameux front de Si Abdelkader El Mali, alias Abdelaziz Bouteflika.

Sur les manifestations de vendredi qui ont vu les Algériens le contester ouvertement et clairement pour la première fois en vingt ans de règne, il ne dira rien. Des messages sibyllins peut-être, mais pas d’évocation franche. Le passage le plus énigmatique c’est celui où il parle de « continuité ».

« Cet exposé succinct sur les différentes étapes de l’histoire contemporaine de l’Algérie en matière de lutte et d’édification se veut une manifeste illustration de mon message, le message des vertus de la continuité. La continuité qui fait que chaque génération apporte sa pierre à l’édifice des réalisations. Une continuité garantissant la persévérance dans la bonne voie et permettant de remédier aux erreurs marginales. Une continuité qui permet à l’Algérie de passer à la vitesse supérieure dans la course au progrès et à la prospérité », écrit le chef de l’État.

« Telle est la leçon que nous devons tous tirer de la célébration de ces deux mémorables dates, et telle est le moyen de témoigner notre fidélité à nos glorieux Chouhada, de veiller sur nos générations montantes et préserver notre Algérie bien aimée », ajoute-t-il.

La « continuité », ce mot qui renvoie au cinquième mandat et qui a fait sortir l’Algérie dans la rue il y a seulement deux jours, le président le répétera quatre fois dans le texte lu en son nom par le ministre de l’Intérieur à Adrar. Mais dans le style bien connu maintenant de Bouteflika, il n’y a jamais d’engagement clair et opposable. Il précise que la continuité dont il parle c’est celle « qui fait que chaque génération apporte sa pierre à l’édifice des réalisations ».

Que faut-il comprendre ? Qu’il s’accroche et qu’il fait un pied de nez à ceux qui réclament son départ ou, au contraire, qu’il est disposé à passer le relais à un personnage de la nouvelle génération qui poursuivra l’œuvre ? L’ambiguïté permet autant de lectures qu’on veut et laisse de ce fait toutes les portes ouvertes. Cela n’est pas sans rappeler le passage de sa lettre-programme du 10 février où il parlait de « devoir ultime », qui est une manière de signifier que le cinquième mandat sera le dernier mais sans s’y engager clairement.

À retenir aussi ce « conseil » énigmatique prodigué à l’armée qui, selon le président « a besoin d’un peuple conscient, mobilisé et vaillant pour être un précieux appui et un solide bouclier afin de préserver la stabilité de notre pays ». Une allusion aux manifestations de vendredi ? On n’en sait rien, mais si c’en est une, il s’agit de la seule référence dans tout le texte à cet événement pourtant déjà qualifié d’étape historique.

En fait, Bouteflika a choisi de ne rien dire pour l’instant. Mais on sait d’expérience que ce que le président ne dit pas, ses soutiens sont instruits de le crier fort sur le terrain. Et à entendre ceux qui se sont exprimés depuis vendredi, soit Bouchareb, Amar Ghoul, Sellal et Sidi Saïd, le cinquième mandat est pour le pouvoir un choix irréversible.

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