Entre le général Gaïd-Salah et les Bouteflika, c’est une rupture brutale qui survient après quinze ans de compagnonnage sans heurt connu.
Le conflit a atteint, hier samedi 30 mars, un point culminant et menace de jeter le pays dans une crise politique majeure. Le chef d’état-major n’entend même pas laisser le président malade finir son 4e mandat
En attendant le 28 avril, Bouteflika détient encore le pouvoir de nommer aux hautes fonctions de l’Etat et de congédier ceux qui les exercent.
Souhaite-t-il signer, avant son départ, le décret de mise à la retraite du général ? La question est posée.
Si c’est le cas, cela lui permettra de répondre à la demande du mouvement populaire de faire « dégager » tout le système. Surtout si à cette mise à la retraite s’ajoute la dissolution des deux chambres du Parlement. Du coup, Bouteflika mettra fin au régime qu’il a instauré et sortirait par une porte moins étroite que celle qui lui est promise.
En insistant hier encore sur la mise en œuvre immédiate de l’article 102 comme « solution unique » vers la transition, le chef d »état-major cherche à obtenir rapidement la vacation du pouvoir. C’est la seule voie démonétisant le président Bouteflika de ses attributions et mettant le général à l’abri d’un départ à la retraite qui ne semble pas lui convenir.
Après avoir attendu quatre jours une réponse du Conseil constitutionnel, le patron de l’armée a perdu patience. Il a réuni hier les chefs des forces, le Commandant de la 1ère RM et le Secrétaire général du ministère. Au menu de cette réunion : « L’étude des développements de la situation politique prévalant dans notre pays, suite à la proposition de mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution ».
Symboliquement, le divorce est consommé entre la Présidence et l’état-major : une réunion consacrée à la situation du pays aurait dû se tenir sous l’égide du président.
La réunion a été suivie d’un communiqué expressément marqué du sceau de l’urgence. Il y est affirmé que « certaines parties malintentionnées s’affairent à préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l’ANP et à contourner les revendications légitimes du peuple ».
Le communiqué n’identifie pas les « parties » en cause. Il fait état d’une réunion tenue également hier par « des individus dont l’identité sera dévoilée en temps opportun en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les différents médias et sur les réseaux sociaux contre l’ANP et faire accroire à l’opinion publique que le peuple algérien rejette l’application de l’article 102 de la Constitution ».
Au lendemain des grandes manifestations qui ont soulevé des foules à travers le pays, il s’agit d’une interprétation à contresens. Les manifestants ont bien dit que l’article 102 était dépassé, exigeant qu’il soit complété. S’agirait-il plutôt d’un projet de campagne médiatique qui viserait personnellement le chef de l’armée ? Le communiqué ne dit rien. Pas plus qu’il n’identifie les personnes suspectes et le lieu où elles se seraient réunies.
Pourtant, la menace est là : « Toutes les propositions découlant de ces réunions suspectes; qui vont à l’encontre de la légalité constitutionnelle ou portent atteinte à l’ANP, qui demeurent une ligne rouge, sont totalement inacceptables et auxquelles l’ANP fera face, par tous les moyens légaux ».
Pour être crédible, cette sommation doit être suivie d’au moins l’interpellation des suspects. Cela permettra déjà de lever le voile sur la réunion. La chaîne télévision Echourouk a même livré des noms.
La chaîne qui se comporte depuis quelques jours en porte-parole officieux de l’état-major avait commencé par accuser Saïd Bouteflika d’avoir confisqué le sceau de la Présidence. Une manière de prévenir que la signature présidentielle pouvait être contestée pour présomption de « faux ». Surtout si le sceau vise les hautes fonctions de l’Etat. Autrement dit, tout communiqué émanant de la Présidence sera considéré comme sans valeur.
Les signes d’une rupture entre le chef de l’Etat et le chef de l’état-major ont commencé à apparaître quand ce dernier s’est mis à adoucir le ton envers les manifestants, voire même à les courtiser. Progressivement, son discours a été expurgé de toute référence au président de la République déchu de son titre de « chef suprême des forces armées » avant d’appeler publiquement à sa destitution mardi dernier.
En voyant que le projet de transition de Bouteflika n’a pas suscité la moindre adhésion, le général Gaïd Salah a désigné implicitement le 28 avril comme le « moment propice » au départ du président. Celui-ci a-t-il pris la proposition comme une « trahison »? Si c’est le cas, a-t-il voulu punir par un renvoi du général avant cette date fatidique ? Le chef de l’état-major semble avoir anticipé et souhaite visiblement précipiter le départ du président par le biais de l’article 102 de la Constitution. Hier, il a rajouté une couche supplémentaire : les opposants au 102 au sein du pouvoir complotent contre l’armée et mettent le pays en danger.
La première réaction de la rue n’a pas tardé : « djeïch, chaab, khawa khawa », ont scandé hier soir des citoyens lors d’une manifestation à Alger-centre.
Les quatre semaines qui séparent le pays du 28 avril risquent de se révéler longues si elles ne sont pas écourtées par une décision du Conseil constitutionnel. Mais s’il ne devait rester qu’un seul soutien à Bouteflika, ce serait Tayeb Bélaïz, au risque de se voir accusé de haute trahison.