Abdelaziz Bouteflika a démissionné, mardi 2 avril, moins de deux heures après un communiqué de l’armée le sommant de le faire. Ce n’est pas la fin qu’on attendait pour celui qui ne voulait pas être un « trois-quarts de président », qui défiait les généraux de le « bouffer s’ils le peuvent », celui qui a donné l’illusion d’avoir dompté les militaires faiseurs de rois.
Bouteflika est sorti par la plus petite des portes et il l’aura cherché en rêvant de la présidence à vie et surtout en s’accrochant au pouvoir de façon maladive tandis que son peuple criait dans la rue son désir de changement.
Au lendemain de sa démission, il s’est adressé à son peuple, en tant que « simple citoyen », dans un ultime message qui s’apparente à un mea culpa.
« Les jours et les années se sont succédé, tantôt maigres et tantôt prospères, donnant lieu aux actions qui ont été les miennes, certaines satisfaisantes et d’autres moins, le propre de l’action humaine étant qu’elle est toujours à parfaire (…) L’erreur étant humaine, je vous demande pardon pour tout manquement, par une parole ou un geste, à votre égard ».
Ce sont sans doute ces passages qu’il faut le plus retenir de la lettre d’adieu de celui qui a dirigé l’Algérie ces vingt dernières années. A défaut de sortir par la grande porte, Bouteflika part avec dignité. Il n’a pas tenté de rejeter la faute sur les autres, ni cherché à justifier les errements de sa présidence par la trahison de ceux à qui il a fait confiance. Il assume tout et c’est à peine s’il a insinué que l’œuvre est collective en disant quitter ses fonctions « avec à l’esprit la collaboration que nous avons eue ensemble ».
Pourtant, s’il avait accablé ses plus proches collaborateurs et surtout ses soutiens et courtisans, ce ne serait pas tout à fait inexact ne serait-ce que parce qu’ils ont cautionné et défendu sa gestion. Une attitude digne qui contraste avec celle de ceux qui, deux décennies durant, ont applaudi toutes ses décisions et bénéficié de ses faveurs, pour aujourd’hui s’en laver les mains et le poignarder dans le dos pour certains. Pas un traître mot de remerciement et de reconnaissance pour celui à qui ils doivent tout, l’homme qu’ils ont adulé jusqu’à en faire un prophète. Ils se projettent déjà dans le futur et ils ne sont pas du genre à prendre le moindre risque.
Deux jours après la fin de son règne, Abdelaziz Bouteflika est déjà entre les mains de l’Histoire. C’est elle qui jugera son œuvre et déterminera ce que l’Algérie a gagné, manqué ou perdu avec lui. Il semble en avoir pris conscience puisque dans sa lettre d’adieu, il n’a pas évoqué son bilan comme il le faisait quasiment dans tous ses messages à la nation. Pas même les quelques réalisations que personne n’ose lui contester.
Car l’action globale de Bouteflika a beau être catastrophique, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas toute à jeter. L’homme a joué un rôle central dans le rétablissement de la paix après une décennie de terrorisme et doté le pays d’une importante infrastructure, certes au prix fort. Il a aussi maintenu et même renforcé la politique sociale de l’Etat en dépit des critiques des économistes et des institutions internationales.
Mais avec la longue période de grâce dont il a bénéficié dans les années du pétrole cher, il aurait pu propulser le pays sur la voie du développement, construit une véritable économie et mis fin à la dépendance dangereuse des hydrocarbures. Bouteflika a, au contraire, renforcé l’économie de la rente dont ont bénéficié en premier ses courtisans qui le lâchent aujourd’hui. Il a surtout fait des institutions des coquilles vides, limité les libertés, cassé les ressorts de la société.
En un mot comme en mille, les Algériens qui sont sortis par millions dans la rue réclamer son départ avaient des raisons valables de le faire. L’Histoire se moque des détails et il est certain qu’elle endossera tout à Abdelaziz Bouteflika en tant que président de l’Algérie de 1999 à 2019. Mais devant le tribunal du peuple, il ne sera pas seul.