Politique

Bouteflika, plus solide que le rideau de fer ?

La pincée de sel de Gandhi, le rêve de Martin Luther King, les pavés des étudiants parisiens, le peuple non violent de l’ancienne RDA, le printemps arabe de Tunis à Bahreïn: l’histoire est jalonnée de mouvements populaires qui ont balayé des régimes indéboulonnables ou redessiné de manière décisive la carte politique du pays où la révolte a lieu. L’Algérie est au rendez-vous.

C’est la dernière étape de ces soulèvements, ciblant un système politique mis en place depuis l’indépendance et dont le président Bouteflika a été l’un des concepteurs avec son protecteur Houari Boumediene.

ll en est aujourd’hui la dernière incarnation, poussée jusqu’à la caricature, en termes de concentration de pouvoirs et de culte de la personnalité. Il s’est attribué des pouvoirs de monarque, inspiré certainement de son enfance marocaine et de son exil émirati, terres dépouillées de la notion de citoyenneté.

Après 20 ans de pouvoir partagé avec un cercle familial restreint, il est parvenu à une réussite paradoxale : réveiller justement cette citoyenneté qu’il s’est employé patiemment à étouffer.

Le désir de garder le pouvoir, de surcroît sous l’emprise d’une maladie invalidante connue de la terre entière, a été l’ultime provocation qu’il a été impossible d’encaisser.

Au cœur de l’hiver, la révolte a poussé dans tout le pays pour que le printemps annoncé ne soit pas celui de l’enterrement de la dignité. En 1999, il a été porté au pouvoir avec la promesse d’une “Algérie fière et digne”, sentiments supposés s’être évanouis durant la décennie de violences.

Après 20 ans, c’est un autre résultat : l’Algérie est devenue la risée du monde, raillée et moquée partout. Finalement, cela a provoqué un sursaut qui suscite l’admiration. Les Algériens ont reconquis leur fierté et déconstruit tous les clichés négatifs que leur propre président a entretenus. Aujourd’hui, il est appelé à “dégager” lui et son clan. “Ga3 yatnahaw (ils seront tous arrachés)” comme cela a été lancé par un jeune dont le cri est devenu un des slogans favoris de la révolte.

Après un mois de manifestations, Bouteflika est toujours en place, pas encore “arraché”. Il a répondu à la demande populaire par une ruse qui n’a pas été acceptée. Jusqu’à quand résistera-t-il ? Ses pouvoirs s’érodent clairement au fil des jours. Sera-t-il en positon de retourner encore une fois la situation ?

Un mois, c’est le temps qui avait suffi aux Allemands de l’Est pour abattre le mur de Berlin, percer le rideau de fer et parvenir enfin au démantèlement de l’ancienne URSS.

Le lundi 9 octobre 1989, soixante dix mille personnes étaient descendues dans les rues de Leipzig contre le régime communiste. La semaine suivante, la révolte avait essaimé dans toutes les autres villes. Deux slogans dominaient : “Pas de violence (silmiya)”, nous sommes le peuple”. Les manifestants tenaient une bougie. L’armée avait dû ranger ses armes après avoir menacé d’un bain de sang. Le 9 novembre, le mur de Berlin devait céder. Dans la suite de cette chute, il y eut la “révolution chantante” qui avait permis aux républiques baltes de se libérer de l’URSS.

Trente ans auparavant, en France, c’est le prestigieux Général de Gaulle qui fut poussé vers la sortie par une révolte qui avait commencé à l’université. Il avait tenu moins de deux mois.

De 2003 à 2005, la monde a été animé par des révolutions de couleur et de fleurs : rose, orange, cèdre, tulipes qui ont touché la Géorgie, l’Ukraine, le Kirghizistan, le Liban. En 1930, la marche du sel de Gandhi, partisan de la “non-violence”, avait abouti à l’indépendance de l’Inde. Autant d’exemples qui démontrent que le slogan de “silmiya” adopté par les Algériens doit continuer d”être brandi.

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