Ce mardi matin, les éditorialistes de la presse française se méfient des promesses de Bouteflika se demandant s’il ne s’agit pas d’une ultime manipulation pour garder du temps.
Libération
« (…) Abdelaziz Bouteflika promet une nouvelle révolution algérienne : pas de cinquième mandat, une conférence nationale pour réformer les institutions, une nouvelle Constitution largement débattue et une élection présidentielle dont il promet qu’elle sera organisée selon les critères internationaux de sincérité démocratique. S’il tient parole, c’est un autre printemps arabe qui se déroulera, dans le plus grand pays du Maghreb, plein d’espoir et d’énergie, à côté de la valeureuse Tunisie, au rebours des échecs égyptiens et, surtout, de la tragédie syrienne. S’il tient parole, si cette lettre s’applique complètement, Abdelaziz Bouteflika, quittant son costume d’Ubu immobile, se rapprochera des bâtisseurs de la liberté, tel un Gorbatchev ou un De Klerk arabe. Il restera alors dans l’histoire comme le grand passeur, celui qui, malgré son handicap, aura senti, compris, entendu, l’aspiration profonde de son peuple à l’ouverture et à la modernité (…) »
Le Figaro
« (…) Ce feu d’artifice d’annonces démocratiques suffira-t-il à apaiser la crise ? Ne sera-t-il qu’un leurre scintillant dans le ciel d’Alger, vite noyé dans le brouillard politicien ? On ne peut que se réjouir que soit ici tracée la voie d’une transition pacifique. Mais chez les manifestants, la vigilance restera sans nul doute de mise. Pour éviter que des combines constitutionnelles ne laissent aux grands barons du régime les leviers du pouvoir (…) »
L’Est Républicain
« (…) Dix ans après avoir manqué le train démocratique du printemps arabe, le pays se voit offrir une occasion historique de basculer dans la modernité. Encore faudra-t-il que la jeunesse algérienne ne se fasse pas « voler » sa révolution. Les obstacles seront nombreux. En annonçant la tenue prochaine d’une conférence nationale chargée de réformer le système et en confiant les clés du pouvoir au ministre de l’Intérieur, promu Premier ministre, le clan Bouteflika garde la main. L’opposition, désorganisée, va devoir rapidement surmonter ses divisions si elle veut représenter une alternative crédible. Quant à la France, restée discrète depuis le début du mouvement, elle aura un rôle à jouer pour soutenir cette transition démocratique qui s’annonce aussi porteuse d’espoirs que périlleuse ».
Sud-Ouest
« (…) Si le corps présidentiel ne pèse plus que le poids d’une feuille morte, c’est très certainement parce qu’il en a décidé ainsi. Il s’agit désormais de se lancer dans un autre défi, aussi important que celui qui, voilà soixante ans, donna un visage à la jeune Algérie indépendante. Qui recevra l’agrément de l’armée ? Qui pourra accepter de partager le coffre-fort et son trésor d’hydrocarbures ? Qui pourra après cette aberrante proposition de conférence nationale, rendre vie au pouvoir algérien. Et surtout qui en décidera ? Les vieux cadres de l’armée ? Ou cette génération, qui en déferlant dans les rues des villes a rendu tragique, inutile et lointaine la voix éteinte de l’absent ».
Dernières Nouvelles d’Alsace
« (…) Les hommes qui tiennent les manettes ont craint de ne plus rien contrôler d’ici au 18 avril. Ils changent de tactique en faisant miroiter des réformes. La phase constitutionnelle inédite qui s’ouvre met l’opposition devant ses responsabilités si elle veut bâtir une alternative solide et crédible. Les Algériens méritent de sortir une fois pour toutes d’un dilemme qui serait du même type que celui de 1991, quand ils devaient choisir entre le carcan du FLN et l’étau des islamistes ».
L’Union
« Nul ne sait ce qui, de la raison ou de la peur, a fait plier Bouteflika. Nul n’ignore non plus qu’une ultime manipulation reste possible, on n’ose dire probable. Bouteflika, ou plutôt son clan, reporte l’élection présidentielle, le temps de ficeler à la va-vite une réforme des institutions dont on ne sait pas dans quel sens elle ira. Il n’empêche, le peuple a remporté une première victoire, et de la plus belle des manières. Alors que tous lui prédisaient le sang et la terreur, il n’en a rien été (…) »
République des Pyrénées
« (…) Ce sont donc les mêmes hommes qui l’entourent (Bouteflika) – ou pratiquement puisque le premier ministre a été changé – qui vont organiser sinon contrôler une conférence nationale à l’issue incertaine tant l’opposition est aujourd’hui dans un état de division extrême, quand certains de ses dirigeants n’ont pas été au fil des années phagocytés par le « système » décrié par les manifestants. Mais le pouvoir peut-il organiser cette « conférence » sans la participation de représentants du mouvement de masse qui a pris forme depuis trois semaines ? On imagine mal ceux qui se sont soulevé contre le « système » se laisser maintenant confisquer la parole ».
Le Journal de la Haute-Marne
« (…)la prudence est de mise. On peut y voir un lâchage de Bouteflika et de son entourage. On peut y voir aussi l’annonce d’une redistribution des cartes politiques dont l’armée ne veut pas être absente. L’Algérie, c’est évident, est en train de clore un chapitre. Mais le prochain ne sera pas facile à écrire, même si le mot espoir devrait pouvoir y tenir une place importante ».
La Nouvelle République
« Voilà, c’est fait. Abdelaziz Bouteflika, son double, son avatar ou son ventriloque, ne sera plus candidat à sa chancelante succession. Cette fable bancale n’était plus tenable. L’octogénaire renonce donc – mais en léger différé- à ce fauteuil présidentiel. Il ne conserve que l’autre et c’est un symbole bien assez cruel.
Parti, fini ? Pas tout à fait, en réalité. Le vieillard s’accroche encore un peu, fait du rab, le temps nécessaire à l’organisation du renouvellement.
La date des prochaines élections lui appartient désormais, lui ou son clan. Une filandreuse « conférence nationale inclusive » et néanmoins « indépendante » a récupéré le paquet hâtivement ficelé. Le sablier est bloqué, le maître des horloges a repris la main. Savoir durer : l’art et le secret de la politique (…) »
L’Alsace
« (…) Les Algériens qui ont manifesté contre la candidature de leur président malade à un cinquième mandat auraient tort de se réjouir trop vite. Derrière les belles promesses d’un pouvoir à la dérive, le renouveau démocratique qu’ils appellent de leurs vœux est encore loin. Le clan Bouteflika a réussi à gagner du temps. Probablement est-il encore loin d’avoir abdiqué ».
La Montagne
« (…) Et si le recul annoncé était simplement une stratégie pour mieux pérenniser le régime qui depuis la guerre d’Indépendance a vaincu chaque crise, après avoir souvent donné les signes d’un compromis possible ? Mais la société algérienne a changé, la jeunesse a donné le tempo au côté de toutes les générations réunies laissant les islamistes sans voix. La suite sera aussi importante que ce qui vient d’arriver. Car finalement, hier soir, la rue a été encouragée à gagner encore davantage ».