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Bras de fer Arabie saoudite-Iran : la grande fitna

Bras de fer Arabie saoudite-Iran : la grande fitna

Le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, les attaques israéliennes en Syrie, le rapprochement des pays du Golfe avec Israël, la crise avec le Qatar, les pressions saoudiennes sur l’Autorité palestinienne pour renoncer aux fondamentaux de sa revendication nationale… Tous ces événements ont un dénominateur commun : la lutte de l’Arabie saoudite et des alliés du Golfe contre l’influence iranienne au Moyen-Orient.

Tout cela participe d’une recomposition de l’équilibre stratégique dans la région pour contenir le regain d’influence de l’Iran, dans laquelle les États-Unis et Israël épaulent les pays du Golfe dans une alliance inavouée mais bien réelle.

Dans ce jeu, l’Algérie garde, avec tous les acteurs, une neutralité stratégique et surtout, sa lucidité. Car dans ce bras de fer, dont personne n’en connait ni l’issue ni les vainqueurs, une chose demeure certaine : rien de bon n’en sortira pour l’unité des pays arabes et des pays musulmans.

Au lendemain de l’inauguration de l’ambassade américaine et du massacre perpétré à l’encontre des Palestiniens par les forces d’occupation israélienne à Gaza hier lundi, ces pays font montre encore une fois de toute leur impuissance à peser sur les évènements sur la question palestinienne.

Le bras de fer entre les deux seules puissances régionales au Moyen-Orient, l’Iran et l’Arabie saoudite, capables soit de maintenir un équilibre stratégique avec Israël soit de faire pression sur son allié américain, n’est pas pour arranger les choses.

Car dans ce face à face irano-saoudien qui divise davantage des pays musulmans déjà en rangs dispersés, le plus grand perdant est la cause palestinienne.

Iran, le retour patient d’une puissance régionale

Depuis le début des années 2000, le Moyen-Orient a été le théâtre d’un regain d’influence progressif de l’Iran sur la scène régionale, favorisé par la chute du régime des Talibans en Afghanistan en 2001 et de celui de Saddam Hussein en Irak en 2003, tous deux renversés par des interventions militaires occidentales, libérant ainsi l’Iran de la présence de deux régimes hostiles à ces frontières est et ouest.

Cela a permis à l’Iran d’accroître son influence régionale, d’une part en resserrant ses liens avec les minorités chiites présentes dans sa périphérie immédiate comme dans certains pays du Golfe, et d’autre part, en nouant des alliances plus stratégiques avec des pays comme l’Irak, la Syrie et le Liban, en s’appuyant sur des communautés chiites qui font parties intégrantes des structures de pouvoir nationales de ces États.

L’Iran peut ainsi compter sur une myriade d’alliés, certes situés sur un espace discontinu, mais qui lui procurent un ensemble de forces favorables, à l’intérieur même des pays du Golfe et même jusqu’aux frontières avec Israël.

À l’heure de la lutte contre l’organisation de l’État islamique à partir de 2015, ces forces alliées, comme par exemple les gouvernements alaouite en Syrie et chiite en Irak, ont pu bénéficier d’un important soutien militaire iranien conférant ainsi à l’Iran un statut d’acteur régional incontournable, dont même la Russie n’hésite pas à reconnaître le rôle décisif dans la lutte contre le terrorisme dans la région.

Ce retour de l’Iran sur la scène moyen-orientale, d’abord contrarié par les sanctions économiques et commerciales américaines imposées à ce pays dès 1995 en raison des soupçons occidentaux pesant sur son programme nucléaire, a été symbolisé par l’accord de 2015 que les Iraniens eux-mêmes ont vécu comme une victoire diplomatique pour avoir forcé les grandes puissances à négocier d’égal à égal avec eux.

Seulement, ce retour est perçu, pour des raisons différentes, comme une menace par l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et Israël, qui s’emploient, dans une alliance inavouée et contre-nature, à remodeler l’équilibre stratégique dans la région pour contrer l’influence iranienne.

Arabie saoudite, États-Unis, Israël : une improbable alliance contre l’Iran

Ces trois pays, Arabie Saoudite, États-Unis et Israël, se livrent ces dernières années à une véritable croisade, contre l’influence iranienne au Moyen Orient,

L’Arabie saoudite mène, depuis 2015, une coalition d’armées arabes au Yémen contre une rébellion houthie que Riyad accuse Téhéran de soutenir.

En mai 2017, l’Arabie saoudite a accueilli un sommet entre 55 pays à majorité musulmane et les Etats-Unis. Ce sommet, où l’Iran, absent, y avait été généreusement vilipendé par le Roi Salmane et Donald Trump comme étant le « fer de lance du terrorisme », a débouché sur l’annonce de la création d’une coalition entre 41 pays musulmans et les Etats-Unis dont le but était de combattre le « terrorisme sous toutes ses formes ».

Quelques jours plus tard, l’Arabie saoudite accuse le Qatar de soutenir l’Iran et force de nombreux pays à majorité sunnite, y compris en Afrique, à rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Toutes ces manœuvres saoudiennes visant à coaliser les pays musulmans sunnites sous son leadership ont comme toile de fond sa rivalité régionale avec l’Iran.

Ceci avec la bénédiction des États-Unis et de leur président, Donald Trump qui a retiré, le 10 mai dernier, son pays de l’accord sur le programme nucléaire iranien que son prédécesseur, Barack Obama, davantage porté sur le compromis, avait réussi à obtenir pour éviter une nouvelle guerre à la région impliquant cette fois l’Iran et Israël.

Donald Trump, partisan d’une ligne dure à l’égard de l’Iran, veut un accord plus contraignant englobant les capacités balistiques iraniennes, au grand dam des pays européens signataires de l’accord (Royaume-Uni, France, Allemagne) mais à la grande satisfaction de l’Arabie saoudite et d’Israël qui ont tous deux salué le retrait américain.

Cette décision du président américain emboite le pas à Israël qui, après les démonstrations ubuesques de son premier-ministre, Benyamin Netanyahu, à New York en 2012 et à Munich en février 2018 sur l’imminence d’une bombe atomique iranienne, a fini par lancer, en avril et en mai derniers, des attaques aux missiles sur des cibles en Syrie présentées par Israël comme étant des positions militaires iraniennes.

L’Arabie Saoudite, – et qui dit Arabie Saoudite, dit aussi pays du Golfe (à l’exception d’Oman et du Qatar) – les États-Unis et Israël, sont sur la même longueur d’ondes et ont un objectif commun à l’égard de l’Iran : le renversement total de l’équilibre stratégique dans la région au détriment de ce dernier.

Et chacun y a son rôle: celui de l’Arabie saoudite est de rameuter le plus grand nombre de pays musulmans et arabes pour isoler l’Iran politiquement et frapper militairement ce qu’elle considère être ses alliés ; les Etats-Unis sous Trump jouent le rôle de grand arbitre contre l’Iran, comme dans le cas du retrait américain de l’accord nucléaire ; et Israël qui est le bras armé de ce dispositif, se chargera directement d’attaquer l’Iran militairement, chose qui a déjà eu lieu en Syrie.

Dans cette lutte d’influence contre l’Iran se trouve une victime collatérale : la cause palestinienne.

Un front du refus à Israël dégarni

Dans leur obsession anti-iranienne, les Saoudiens et leurs alliés du Golfe ont procédé à un marchandage douteux qui les a conduits à se rapprocher d’Israël, au détriment même de la cause palestinienne.

Ce rapprochement s’est fait au travers d’événements totalement surréalistes. Il y a eu par exemple la participation en octobre 2017 dans une synagogue à New york, du prince Turki Al-Fayçal, membre de la famille royale et ancien chef des renseignements saoudiens, à un débat avec Ephraïm Levy, son ancien homologue israélien.

Ou bien l’ouverture à Abou Dhabi, capitale des Émirats Arabes Unis, d’une représentation israélienne pour l’Agence internationale de l’énergie renouvelable.

Et pas plus tard que le 11 mai, le ministre bahreïni des Affaires étrangères, Ahmad al Khalifa, commentait sur son compte Twitter les attaques israéliennes en Syrie en indiquant qu’Israël avait « le droit de se défendre » contre l’Iran.

Peut-être le ministre bahreïni a-t-il entendu l’appel, la veille, de son homologue israélien, Avigdor Liebermann, envers les pays du Golfe, qu’il a qualifié de « pays sunnites modérés », à officialiser leurs relations avec Israël.

Ces derniers auraient même bénéficié d’une coopération sécuritaire israélienne sur l’Iran. En échange, l’Arabie Saoudite est même allée jusqu’à exercer des pressions sur l’Autorité palestinienne pour qu’elle renonce à Jérusalem-est et aux territoires occupés en Cisjordanie tout en reléguant la cause palestinienne au rang d’une priorité secondaire pour la Ligue arabe.

C’est dire que la cause palestinienne se retrouve plus que jamais esseulée. Que reste-t-il de ses soutiens historiques ? L’Égypte qui a signé un traité de paix avec Israël en 1979, est complètement alignée sur la politique anti-iranienne de l’Arabie Saoudite et ne bénéficie que d’une autonomie relative vis-à-vis des Etats Unis qui financent en partie son armée. L’Irak et la Syrie se sont faits broyés par leur propre histoire. Reste maintenant l’Algérie, et sinon…l’Iran.

Aussi bien sur la question iranienne que la cause palestinienne, l’Algérie est restée fidèle à ses positions historiques, de non-ingérence dans les affaires internes des autres Etats pour la première et de refus de la colonisation pour la seconde.

L’Algérie à équidistance de l’Iran et de l’Arabie saoudite

Dans l’affaire iranienne, l’Algérie est l’un des rares pays à être resté à équidistance de tous les protagonistes, même durant la crise avec le Qatar, en se tenant à l’écart des initiatives de coalition militaire de Riyad, tout en maintenant des relations cordiales aussi bien avec les pays du Golfe qu’avec l’Iran.

Malgré un passé récent assez turbulent entre les deux pays (rupture des relations diplomatiques en 1993 en raison du soutien financier de Téhéran  à l’ex-Front islamique du salut), l’Algérie entretient à l’égard de l’Iran une position faite de pragmatisme.

Car, qu’on l’aime ou pas, l’Iran demeure aujourd’hui, le seul pays de la région capable de maintenir un semblant d’équilibre stratégique avec Israël. Sans pour autant appeler à la destruction d’Israël, la posture de l’Iran vis-à-vis du régime sioniste est plus proche de la position historique d’opposition radicale de l’Algérie à la politique coloniale israélienne, que celle de n’importe quel autre pays arabe ou musulman sur la cause palestinienne.

Vis-à-vis du bras de fer avec l’Iran, l’Algérie doit certainement déplorer cette opposition entre pays musulmans, dans une phase où ils devraient faire front commun face aux dangereux défis auxquels est confrontée la cause palestinienne.

Le massacre de Gaza perpétré le 14 mai par l’occupant israélien à l’encontre de Palestiniens manifestant pacifiquement contre l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem qui a eu le jour-même, est là pour le rappeler.

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