À Tiaret, comme dans plusieurs wilayas, les autorités marquent de leur présence sur le terrain le lancement officiel de la campagne céréalière 2021-2022. Ce lancement tardif est marqué par un contexte de hausse des coûts de production et donc d’un risque de “grève des labours”.
Un contexte économique difficile
Sur le marché international, le prix du blé tendre est à la hausse, ce qui alourdit la facture des importations de céréales de l’Algérie. Pour 2024, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural maintient l’objectif d’autosuffisance en blé dur.
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Ainsi, les pouvoirs publics poursuivent les mesures d’aide à la production et prônent l’irrigation des céréales. Les agriculteurs bénéficient de crédits de campagne à des conditions avantageuses et de la possibilité d’achat de semences certifiées, de produits phytosanitaires ainsi que d’engrais à des prix subventionnés.
Mais, ce soutien ne concerne que les seuls agriculteurs pouvant justifier d’un droit de propriété ou de concession et donc possédant la “carte de fellah“. Ce qui exclut les nombreux agriculteurs louant des terres de façon informelle et qui ne peuvent que se tourner vers le marché parallèle.
Jusqu’à présent, il n’existe pas en Algérie de loi sur le fermage légalisant la pratique de location du foncier agricole. Pratique pourtant légale dans les pays à agriculture développée.
Céréales, le soutien indispensable de l’État
Les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) et les Coopératives de services agricoles (Cassap) assurent la prestation de services et la commercialisation des intrants : semences certifiées, engrais et produits phytosanitaires.
Il s’agit là de moyens essentiels au service des agriculteurs, mais ils demeurent insuffisants. Pour l’agriculteur Mohamed Haroun de Constantine, qui publie ses coûts de production sur les réseaux sociaux, il faut dégager un minimum de 23 quintaux de blé dur par hectare pour arriver à payer les charges.
Dans les zones les moins favorables, cette augmentation des coûts pourrait entraîner, une désaffection pour la culture des céréales et donc une “grève des labours” telle celle qui a marqué les années 1980.
À cette époque, les pouvoirs publics avaient réduit leur soutien à l’agriculture. La réduction des emblavements se faisant alors au profit de l’élevage du mouton. La location des terres en jachère pour le pâturage n’exige aucune charge et s’avère particulièrement rentable.
Le manque de mesures complémentaires permettant de sauvegarder la marge bénéficiaire des céréaliers pourrait donc avoir des effets désastreux d’autant plus que même dans le sud, les producteurs de céréales sous pivot voient se dégrader leur marge bénéficiaire.
Irriguer, mais avec quelle eau ?
Si les services agricoles ont innové concernant la production de semences certifiées, les techniques agricoles modernes ont encore du mal à progresser en Algérie.
Augmenter la production de céréales passe par l’augmentation des rendements mais aussi par la résorption des terres en jachère. De façon étonnante, l’option de remplacement des coûteuses opérations de labour lancées par l’Institut Technique des Grandes Cultures durant les années 2010 et son remplacement par le semis direct n’est plus d’actualité.
Si l’irrigation de complément s’avère une option séduisante sur le papier, pour être rentable, elle nécessite la maîtrise parfaite de l’itinéraire technique. Mais plus grave se pose l’autorisation de forages subordonnée à l’autorisation des services de l’hydraulique.
Ainsi, lors du lancement de la campagne céréalière, plusieurs agriculteurs ont demandé à Mohamed Benmalek, le wali de Bordj Bou-Arréridj, l’autorisation de réaliser des forages.
Ce dernier n’a pu que les renvoyer vers les services de l’hydraulique en les assurant qu’il allait suivre leur demande. Or, les périodes de sécheresse et l’irrigation des parcelles de pommes de terre et de pastèques ont réduit drastiquement le niveau de certaines nappes phréatiques. Quant aux barrages, nombreux étaient ceux qui étaient à sec cet été.
De la même façon, malgré le développement d’un réseau privé de revendeurs de produits phytosanitaires, le désherbage chimique ne concerne que 25 % des surfaces des céréales. Or, en milieu semi-aride, il s’agit d’une opération capitale pour espérer augmenter le rendement. Concernant le brome, cette mauvaise herbe particulièrement difficile à éliminer, un agriculteur se plaignait récemment que lorsqu’il irrigue, le brome en profite autant que le blé.
Ces innovations techniques demandent des moyens en recherche-développement afin de les adapter aux différentes régions. C’est par exemple le cas de la pratique novatrice de semis en sec du blé ou de son semis sous couvert de luzerne. Mais comme le rappelait dès 2016 l’agro-économiste Omar Bessaoud dans les colonnes d’El-Watan, “l’Algérie ne compte que 17 chercheurs pour 100.000 personnes engagées dans l’agriculture“.
La marge bénéficiaire des moulins
Alors que la marge financière des producteurs s’effrite, une meilleure répartition, entre céréaliers et transformateurs, de la plus-value liée à la transformation des céréales n’est pas d’actualité.
Pourtant, la marge dégagée par hectare constitue un puissant levier pour l’augmentation de la production ; en témoigne la spectaculaire progression des livraisons de pomme de terre et de légumes sous serre.
Actuellement, les céréaliers vendent leur récolte aux CCLS qui les rétrocèdent aux moulins privés. Or, ces derniers engrangent des marges financières conséquentes avec la vente de semoule mais aussi d’issues de meunerie tel le son. Un produit très demandé par les éleveurs de moutons. Ces derniers mois, le prix du quintal de son a flambé et a même dépassé le prix du quintal de blé ; du jamais vu dans les campagnes.
Mais les marges dégagées par les moulins ne profitent pas aux producteurs de céréales. C’est donc autant de soutien en moins à la production. De leur côté, certains moulins se diversifient en investissant hors agriculture dans l’immobilier ou les cliniques privées.