Politique

Campagne électorale : les larmes des candidats et la Mazda de l’imam Belkbir

On ne le dira jamais assez : la campagne électorale en cours est aussi singulière que l’élection qu’elle précède. Depuis son lancement, dimanche 17 novembre, les bizarreries n’en finissent plus.

Des portraits des détenus d’opinion à la place de ceux des candidats sur les espaces réservés à l’affichage, des candidats qui jouent au chat et à la souris avec les citoyens dont ils viennent solliciter la confiance, des salles clairsemées, voire parfois presque vides, des visites aux zaouias et autres mausolées…

Après une semaine de campagne, il devient clair que cette présidentielle ne sera pas celle du débat d’idées et de la confrontation des projets. Les grandes questions de l’heure et les défis à venir sont occultés au profit de la politique spectacle.

Le froid est arrivé prématurément cette année et ça tombe plutôt bien. Le burnous, habit traditionnel par excellence de nombreuses régions du pays, est particulièrement à l’honneur. Blanc immaculé, marron ou d’une autre couleur, il est porté, comme gage d’authenticité et de simplicité, par tous les candidats, qui le remplacent par la djellaba bleu-clair aussitôt à Tindouf ou la Kechabia une fois dans les Hauts-plateaux.

Autre arme improvisée par les candidats, celle de l’émotion. Au moins trois d’entre eux ont versé des larmes devant les caméras et une foule incrédule. Parfois de chaudes larmes, il est important de le préciser.

Le bal des lamentations a été ouvert par Azzedine Mihoubi. Pour l’entame de sa campagne, le successeur d’Ahmed Ouyahia à la tête du RND a choisi une zaouia d’Adrar, dans le grand Sud. Mais qu’a bien pu murmurer le cheikh pour que l’ancien ministre de la Culture craque ? Sur la vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, le son est inaudible mais l’image de Azzedine Mihoubi, emmitouflé dans l’inévitable burnous, versant de chaudes larmes et couvrant mal de ses deux mains un visage tenaillé par l’émotion, est bien visible.

On sait par contre ce qui a fait pleurer Ali Benflis : un poème lu en son honneur par une fillette lors de son meeting à Tiaret et évoquant le prix qu’il a payé pour son opposition au président déchu. L’ancien chef de gouvernement écoute attentivement les éloges égrenés sur sa personne et son parcours, mais ne tient plus lorsque la jeune fille rappelle les « injustices » que lui a infligées par la Issaba, le clan Bouteflika. Encore un candidat à la plus haute fonction de l’Etat qui fond en larmes en public.

Et ce n’est pas fini. Abdelkader Bengrina va lui aussi craquer, à Laghouat, en écoutant des versets du Coran. Quoi de mieux quand on n’a comme projet que la foi et l’admiration pour un dirigeant étranger issu des Frères musulmans ? Les internautes sont sans pitié, mais pas qu’avec le candidat islamiste qui, deux jours plutôt, s’était déjà attiré les foudres de la Toile pour avoir prié sur un trottoir de Boumerdès.

Les autres aussi sont tournés en dérision et les accusations d’ « hypocrisie » et de « larmes de crocodile » n’épargnent personne. D’autres, plus sérieux, relèvent une inquiétante «faiblesse psychologique » incompatible avec la fonction à laquelle ils aspirent. Unanimement, on estime qu’un homme, de surcroit un président, ne devrait pas craquer en public à l’évocation de quelques mots, fussent-ils divins.

Les plus cléments enfin leur trouvent des circonstances atténuantes, mettant leurs larmes sur le compte de la très forte pression qu’ils subissent au quotidien, tant sur les réseaux sociaux que sur le terrain où les opposants à l’élection ne les lâchent pas d’une semelle. Aussi, leur retrait de la course est un peu trop vite prophétisé.

Un peu de superstition pour compléter le tableau de cette campagne pas comme les autres. Abdelkader Bengrina, celui qui crie sur tous les toits qu’il remportera l’élection haut la main tient depuis jeudi passé un motif supplémentaire de faire le coq.

A la zaouia Belbebir, à Adrar, il est monté dans un véhicule béni et l’a fait savoir : « Celui qui monte dans la Mazda de l’imam Belkbir deviendra président. Il y a deux personnes seulement qui ont monté dans cette voiture : Bouteflika et moi. » Seuls les mécréants désormais continueront à douter de ses chances.

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