Bouteflika candidat, pas candidat ? C’est la question qui taraude la presse internationale, occidentale notamment, depuis quelques jours. Depuis précisément que Djamel Ould Abbès, le secrétaire général du FLN, a annoncé solennellement le nom du candidat du parti pour la présidentielle de l’année prochaine : Abdelaziz Bouteflika, évidemment.
Une dépêche de quelques lignes de l’agence officielle, l’APS, donnera vite à l’annonce un cachet quasi officiel aux yeux de nombreux médias étrangers. A commencer par la très sérieuse AFP qui sera la première à la répercuter pour diffuser d’abord une alerte aux rédactions puis une dépêche détaillée annonçant la candidature officielle de Bouteflika.
Suffisant pour que le monde entier apprenne que le président algérien, âgé et sérieusement amoindri par la maladie, compte rester au pouvoir au moins cinq années de plus, après l’avoir exercé pendant vingt ans.
Pourtant, on n’en est pas encore là. Bouteflika n’a rien laissé filtrer de ses intentions et personne à Alger ne peut prophétiser sur ce qu’il décidera quant à son avenir. Du reste, il n’a pas l’habitude de le faire si prématurément. Il a fait quatre mandats à la tête du pays et, à chaque fois, il fut le dernier de tous les candidats à entrer en lice. Que Abdelaziz Bouteflika décide de rester ou de partir, on ne le saura pas avant trois mois, soit vers fin janvier ou début février prochains.
Si l’AFP et de nombreux autres médias ont présenté la candidature du chef de l’Etat algérien comme une décision actée, c’est sans doute parce que c’est la seule interprétation possible de la solennité avec laquelle Djamel Ould Abbès a fait son annonce, lors d’une cérémonie officielle de surcroit, celle de l’installation à l’APN du nouveau chef du groupe parlementaire de son parti : « Je le dis en tant que secrétaire général du parti, le candidat du FLN pour l’élection présidentielle de 2019 c’est Abdelaziz Bouteflika ».
Qu’un parti du poids du FLN, au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, annonce publiquement le nom de son candidat, cela ne peut raisonnablement être synonyme que de l’entrée en lice du candidat en question. Du moins, c’est ainsi que ça se passe dans les Etats démocratiques et même dans ceux qui le sont moins.
Aussi, en Algérie, l’agence officielle n’a pas l’habitude de répercuter ce genre de décisions lourdes sans l’aval des plus hautes autorités. Une information ne vaut parfois que par le traitement qui lui est réservé par l’auguste APS. Au début des années 2000, alors que Bouteflika tardait à mettre en place son premier gouvernement, la reprise par l’agence publique d’une dépêche de Reuters faisant état d’une opposition au sein de l’armée à la nomination de certains ministres avait été interprétée comme une volonté du président de prendre à témoin l’opinion publique nationale et les partenaires étrangers du pays, lui qui ne se gênait pas à l’époque de se définir comme « le rédacteur en chef de l’APS ».
Certes, beaucoup d’eau a coulé depuis sous les ponts et on n’est pas sûr que Bouteflika soit encore en mesure d’assumer une telle « fonction », mais l’agence de presse algérienne demeure un support qui répercute la voix officielle à la virgule près.
Néanmoins, beaucoup d’éléments ont échappé à ceux qui se sont précipité de déduire que le président algérien est partant pour pulvériser son propre record de longévité à la tête de l’Etat.
D’abord, le fait que l’autre voix officielle du régime, la télévision publique, n’ait pas soufflé mot sur l’annonce du chef du FLN. Au 20 heures, l’événement est énigmatiquement passé sous silence. Qu’un support qui s’étale longuement sur le moindre fait et geste du président ne mentionne même pas sa candidature « officielle » pour un autre mandat, ça pose au moins question. A moins que cela n’ait rien d’officiel, et cela semble bien être le cas. Les rédacteurs de l’ENTV ne peuvent passer outre une telle information sans l’injonction, du moins le feu vert de la présidence de la République.
L’autre élément connu de tous les observateurs en Algérie et qui l’est évidemment moins à l’étranger, c’est le style du secrétaire général du FLN qui frise la légèreté. Rien que sur ce dossier de cinquième mandat, il a changé de rhétorique plus d’une fois ces six derniers mois.
Après avoir longtemps interdit aux militants d’aborder la question, allant jusqu’à traduire les réfractaires en conseil de discipline, il surprend tout le monde en appelant lui-même le président à briguer un autre mandat. C’était en avril dernier. En mai, il rectifie : « J’ai appelé à la continuité, pas au cinquième mandat. »
Le 28 octobre, il annonce la candidature de Bouteflika sous la bannière du FLN et se rétracte quelques minutes après devant les journalistes auxquels il précise que « le président n’avait pas encore rendu sa réponse ».
Djamel Ould Abbès a surtout dérouté tout le monde ces derniers mois en s’attaquant frontalement à ses alliés de la majorité présidentielle. Qu’il cherche à brouiller les pistes, qu’il constitue un outil entre les mains de parties qui viseraient un tel objectif ou qu’il verse seulement dans le zèle et la surenchère, cela ne change rien : beaucoup ont appris à ne pas prendre les déclarations du patron du FLN pour argent comptant.
Quant à la candidature du président Bouteflika, que rien n’exclut faut-il le souligner, si elle devait survenir, elle le sera au moment opportun et surtout par le biais d’un canal plus crédible.