À huit jours du premier tour de l’élection présidentielle française, les enquêtes d’opinion sont plus que jamais des propulseurs de candidatures. Jean-Luc Mélenchon est désormais le troisième homme dans la course à l’Élysée, éclipsant totalement le socialiste Benoît Hamon. Violence verbale, retour du président fantôme Hollande dans la campagne, « Mélenchon-phobie » en pleine croissance, voici le récit en trois actes de cette semaine politique.
Et Mélenchon devint le troisième homme
Encore crédité de 11% d’intentions de vote il y a quelques semaines, le candidat de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon est désormais le troisième homme des sondages avec 20%. Son ascension inquiète les éditorialistes de droite. « Un projet dévastateur pour la France », assène le journal Le Figaro qui qualifie le candidat de « Chavez français ». « Que serait une France ” mélenchonisée” ? Un pays de fonctionnaires surnuméraires payés par un secteur privé à qui on réclamerait toujours davantage d’impôts et par des créanciers à qui on devrait toujours davantage d’argent », écrit le journal de droite. La comparaison avec l’ancien président du Vénézuela, décédé en 2013, n’est toutefois ni nouvelle, ni très originale. En 2012 déjà, Le Figaro parlait déjà de « petit Chavez ».
La montée dans les sondages de Mélenchon tracasse aussi les marchés financiers. Avec son programme eurosceptique, le « risque Mélenchon » est, depuis cette semaine, intégré au même titre que le « risque Le Pen ». Résultat : la dette française est sous pression. Le « spread » France Allemagne – c’est-à-dire l’écart des taux à 10 ans auxquels les deux pays empruntent- a augmenté à 70 points de base.
Il faut toutefois se souvenir qu’en 2012, Mélenchon avait réalisé la meilleure dynamique de campagne dans les dernières semaines avant le premier tour, avec 15% d’intentions de votes. Mais le candidat à l’Élysée ne gagnera pas son pari. Il ne devance pas la candidate de l’extrême droite Marine Le Pen, et se retrouve avec 11% des voix …en quatrième position derrière le Front national. On peut donc s’attendre à un remake de 2012.
(Banale) violence de la campagne
Depuis quelques semaines, les médias français jugent cette présidentielle extrêmement violente. En réalité, cette dérive n’est pas nouvelle dans la tradition politique française. En 1995 (il y a donc une éternité), la bataille qui opposa Jacques Chirac à Edouard Balladur fut particulièrement agressive. En 1981, l’affrontement à droite entre Valéry Giscard d’Estaing (VGE), président sortant, et Jacques Chirac, son ancien premier ministre, fut quant à lui impitoyable : coups bas et trahisons devinrent les maîtres mots. Au deuxième tour, VGE et Francois Mitterrand s’affrontent. Le candidat Chirac, éliminé au premier tour, n’appellera pas à voter pour le candidat de la droite. Pire, il incitera secrètement à voter Mitterand ! Voilà pourquoi la violence des affrontements entre les candidats à l’élection des élections n’a rien de nouveau.
Si les attaques entre les candidats sont loin d’être nouvelles, elles ont néanmoins rarement été aussi grotesques. Car, le plus souvent, les insultes sont dirigées contre les individus et non contre les idées. Cela donne des situations plus proches de la cour de recréation que de l’arène politique. Marine Le Pen « droguée aux faits divers », selon Benoît Hamon. François Fillon, rebaptisé « François Balkany » par Emmanuel Macron, en référence au maire de Levallois-Perret, empêtré dans des affaires de corruption. Les candidats ont aussi coutume, au lieu de défendre leur programme, de dire que untel ou untel leur a « piqué » une idée. La presse fait peut-être aussi trop l’écho de ces invectives sans intérêt, pourra-t-on rétorquer, et à raison.
En France, une étude publiée en février montre d’ailleurs que la confiance dans les médias continue de chuter. Moins d’un Français sondé sur deux fait confiance à l’information relayée dans un journal, son niveau le plus faible depuis 2003. Si de tels résultats impliquent une remise en question de la profession, les candidats n’ont aucun scrupule à profiter de la situation. Ils font même de cette défiance du public vis-à-vis de la presse leur meilleure arme de défense. À commencer par Fillon. Empêtré dans ses affaires d’emplois fictifs supposés, il se dit victime d’une cabale médiatique.
L’enterrement de Benoît Hamon
Le temps de la victoire de Benoît Hamon, en janvier, à la primaire socialiste, paraît être à des milliers d’années. Abandonné -pour ne pas dire trahi- par une fraction de son parti, Hamon tente de poursuivre sa campagne.
Mais ses mauvaises performances dans les sondages -il est désormais relégué à la cinquième place dans les intentions de vote- semblent l’avoir occulté de la scène politique. Les médias l’ont tout simplement disqualifié. Pire : son programme a souvent été caricaturé histoire de le discréditer aux yeux de l’opinion.
Le plus triste dans cette histoire, c’est que le candidat PS, ancien-ministre frondeur (il a quitté le gouvernement en août 2014 car en désaccord avec la politique menée) est tenu responsable du bilan du quinquennat de François Hollande. L’étiquette PS est sans doute l’un de ses plus gros handicaps.
Le président sortant, jusqu’à présent très discret (en réalité inexistant) a d’ailleurs fini par sortir de sa réserve cette semaine. À quelques jours du premier tour, il était temps. En guise de vieille vengeance pour des histoires du passé, François Hollande veut faire barrage à son vieil ennemi du PS, Jean-Luc Mélenchon.
En outre, le locataire de l’Élysée a précisé au Point qu’il donnera une consigne de vote pour le second tour. « J’appellerai à voter pour un candidat avant le second tour. En attendant, je fais confiance à l’intelligence des Français qui veulent qu’une action nouvelle se construise à partir de ce que j’ai fait », dit-il. Bref, Hollande soutiendra Emmanuel Macron. Et au passage, trois ans plus tard, il se venge de la rébellion de son ex-ministre Hamon.