Le Village Céleste est un site géographique exceptionnel à Bouzaréah sur les hauteurs d’Alger. La vue embrasse toute la baie d’Alger, presque à 360 degrés. Une vue époustouflante dont les habitants du village Céleste ne peuvent guère profiter. Et pour cause ! Ils vivent, claquemurés, les fenêtres barricadées.
Tout en contrebas de leurs habitations, les travaux d’extraction des roches de la carrière Jaubert tournent à plein régime. Des nuages de poussières et de pollution remontent vers le haut de la falaise. Voitures, arbres, meubles, linge, balcons sont constamment recouvert d’un tapis de poussière fine et blanchâtre. Pire. Beaucoup d’enfants habitant au village Céleste sont atteints de maladies respiratoires. Même les adultes ne sont pas épargnés. Pollution, nuisance sonore, problèmes respiratoires sont le lot quotidien des habitants. Nous nous sommes rendus au village Céleste. Ils nous ont spontanément ouvert les portes de leur maison et nous ont décrit leur quotidien. Un quotidien insupportable.
Personne ne veut nous écouter !
« En mai dernier, nous avons protesté en bloquant la route reliant Bouzaréah à Bab El Oued. Notre but était d’attirer l’attention des autorités ainsi que les exploitants de la carrière Jaubert sur notre situation. Nos enfants souffrent tous de maladies respiratoires. Même les adultes ont des problèmes de santé tels que la sinusite, l’asthme, les larmoiements oculaires, les affections pulmonaires… Hélas, aucune oreille n’a été réceptive à nos revendications », fulmine un groupe d’habitants venu à notre rencontre.
Tous atteints de maladies respiratoires
Ahmed Midoun (38 ans) nous ouvre la porte de sa modeste demeure. Une habitation exiguë dans laquelle il vit avec sa femme et ses quatre enfants. Les fenêtres sont closes. À l’intérieur, l’air est irrespirable. Son épouse Sihem est prise d’une quinte de toux.
« J’ai les voies respiratoires constamment encombrées. Je souffre également d’une sinusite dont je n’arrive pas à guérir mais ce qui m’inquiète le plus, c’est le sort de mes quatre enfants. Ils ont entre 13 et 2 ans et sont tous atteint d’asthme et de maladies respiratoires chroniques ».
À quelque encablure de là, une autre petite habitation. Aissaoui Abdelkader l’occupe depuis 2011 avec femme et enfants : « La maison familiale juste à côté s’est avérée trop exiguë pour nous contenir. Mes enfants souffrent tous d’asthme. La pompe aérosol reste toujours à portée de main. Comme si notre malheur ne suffisait pas, ils sont venus implanter un immense pylône pour l’installation du prochain téléphérique qui reliera Bab El Oued à Zeghara-Notre Dame d’Afrique. Lors des travaux, ma maison s’est fissurée » s’écrie-t-il en nous montrant les lézardes sur les murs.
Manifestation : effet d’un coup d’épée dans l’eau
Un peu plus loin, nous sommes interpellés par d’autres habitants. « Au mois de mai dernier, nous avons organisé une manifestation pour exiger que l’entreprise exploitant la carrière balance de l’eau au moment de l’extraction afin de réduire la remontée de poussière vers nos maison. Après tout, la carrière Jaubert existait avant l’indépendance et ce procédé était alors utilisé pour ne pas incommoder les riverains. On nous a rétorqués que l’utilisation de l’eau risquait d’abîmer les tapis des concasseurs. Pendant ce temps, ce problème sanitaire prend de l’ampleur. C’est un véritable problème de santé publique. L’État préfère dépenser de l’argent pour soigner des malades que de fermer cette carrière qui pollue tout Alger ! Complètement aberrant !»
Détonation des mines
Les habitants soulèvent d’autres problèmes liés à la présence de la carrière Jaubert. « L’utilisation de mines pour casser la roche ébranle la falaise. Des soubresauts qui ressemblent à ceux d’un violent tremblement de terre. Ces détonations provoquent des fissures dans nos maisons. Les concasseurs qui tournent jusqu’à pas d’heure nous empêchent de nous reposer. Il y a des personnes âgées qui vivent ici. Nos épouses, mères et sœurs n’en peuvent plus de faire le ménage 10 fois par jour. Elles ramassent l’équivalent d’un sac de ciment par jour. La poussière s’infiltre par les intersites et se dépose partout. Sur nos canapés, literie, nourriture… Nous vivons volets fermés tels des rats. Et respirons malgré nous la pollution générée par la carrière Jaubert ».
Tous les enfants souffrent d’asthme
Rabah Chouia (31 ans) habite une villa à flanc de colline du village Céleste. Il tient à nous présenter ses deux enfants. Adam, le plus jeune, joue au ballon dans le stade communal. Le petit garçon a les yeux rouges « Il a des larmoiements tout le temps. Il tousse et souffre de crises d’asthme à répétition. Tout ceci n’est pas arrivé par hasard. C’est la conséquence de la pollution environnementale. Les services des urgences de l’hôpital Maillot sont habitués à nous voir débarquer la nuit lors des crises d’Adam. Son frère souffre lui aussi de problèmes respiratoires. Tous les enfants du village Céleste sont malades. C’est une catastrophe ! ».
Cela fait des années que la population du village Céleste attire l’attention des pouvoirs publics sur ce fléau sans que leurs revendications trouvent écho auprès des services concernés. Pourquoi continuer à maintenir l’exploitation d’une carrière d’agrégat à proximité des habitations, en plein cœur de Bab El Oued ? À l’heure où les questions sur l’environnement et la réduction de la pollution sont plus que jamais d’actualité, la fermeture définitive de la carrière Jaubert est on ne peut plus urgente.