Il n’est finalement pas resté insensible à la charge qui l’a pris pour cible, portée dans une lettre ouverte initiée par trois architectes et signée par plus de 400 personnes. L’architecte vedette a donc répondu à ceux qui l’on enjoint de se retirer du projet de “revitalisation” de la Casbah d’Alger, confié par la wilaya dans le cadre d’un partenariat avec la région Île-de-France.
Les signataires ont fait appel à sa “conscience politique” afin de le convaincre de se retirer du projet centré sur “l’un des symboles les plus forts de l’architecture révolutionnaire” et de “l’urbanisme insurrectionnel”.
Dans la réponse publiée en fin de semaine sur Médiapart, Jean Nouvel s’étonne et soupçonne les signataires de ne pas le connaitre, de l’imaginer comme un autre : « Colonialiste ? Affairiste ? Gentrificateur ? Incompétent ? Prédateur ? Étranger ? Profiteur ? Amnésique ? » C’est ainsi qu’il lui semble avoir été décrit. À cela, il oppose un autoportrait où il se présente comme un homme engagé :
À ceux qui lui disent que toute “modification de la Casbah doit venir de ses habitants”, il explique que l’habitant est justement le cœur de ses préoccupations. “L’architecture est un art. Si les choix et les options sont catastrophiques – ce qui est souvent le cas – l’architecture ne peut plus exister. Si l’architecte, les architectes n’ont plus de vision et n’ont plus de pouvoir, c’est dramatique. Pas pour les architectes, ils se reconvertiront. C’est dramatique pour tous les habitants et habitantes, du plus jeune au plus vieux et évidemment pour l’équilibre et le plaisir de vivre tous ensemble. Le rôle de l’architecte est de défendre l’habitant. Or l’architecte n’a plus de pouvoir, ne peut plus exercer une légitime autorité pour le bien commun.”, plaide-t-il.
“Il est donc pour moi étonnant de lire que tant de professionnels de la profession (comme le disait si bien Jean- Luc Godard) soient contrariés du choix d’un architecte comme moi pour réfléchir sur une thématique de même ordre pour la ville d’Alger”, regrette-il en pensant que le projet soutenu par la Région Île-de-France “va dans le sens de l’histoire” Pour lui, “l’heure est au respect mutuel et à l’amitié” parce qu'”un demi-siècle après, personne n’est responsable des crimes et des erreurs des générations d’alors”.
La charge ne l’a pas découragé. Il annonce : « Je vais essayer, avec tous ceux qui s’impliquent avec moi dans cette étude qui débutera mi-janvier (la wilaya d’Alger, la région Île-de-France, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, l’Agence nationale algérienne des secteurs sauvegardés, l’Agence nationale algérienne de gestion des réalisations des grands projets de la Culture, l’Association des Amis d’Alger “Sauvons la Casbah”, des architectes et urbanistes algériens…), de formuler une contribution qui pourrait se développer et évoluer à l’échelle du territoire et du temps urbain et… toutes les bonnes idées sont et seront les bienvenues ».
Jean Nouvel n’a pas convaincu un des initiateurs de la charge hostile. Il s’agit de Léopold Lambert, architecte qui a notamment travaillé sur la Palestine, et rédacteur en chef du magazine anglophone The Funamnulist qu’il a créé en 2015.
“Veuillez laisser la Casbah à celles et ceux qui attendent toujours que les marques physiques et symboliques que le colonialisme a laissé sur leurs corps et leurs villes soient reconnues pour qu’elles puissent enfin s’estomper; celles et ceux qui sont ce que la Casbah a fait d’elles/eux; celles et ceux qui vivent celle-ci non pas comme un patrimoine d’un UNESCO lointain, mais comme un lieu de vie, un lieu de mémoire et un symbole urbain de la lutte contre le colonialisme. Ces personnes ont parmi elles, toutes les compétences, toute la connaissance et toute la légitimité à répondre aux difficultés que la Casbah traverse”, écrit-il.
Dans la vieille ville, la “maison du millénaire” est temporairement mise à l’abri de l’œil scrutateur des touristes. Ses murs vont abriter l’atelier de “revitalisation” de la citadelle. Dans les équipes, il n’y a pas que des Jean.