Jeudi soir, à quelques heures des marches du seizième vendredi, le premier de l’après-ramadhan, le pouvoir s’est exprimé par la voix du chef de l’État par intérim Abdelkader Bensalah.
Beaucoup espéraient un discours différent du dernier en date, des concessions à l’opposition et à la rue qui avaient rejeté unanimement l’offre de dialogue émise le 5 mai. Une attente d’autant plus légitime que le mois sacré et ses contraintes n’ont pas induit l’essoufflement de la mobilisation que le pouvoir n’a jamais désespéré de voir se produire.
Mais au bout de la courte allocution du président, prononcée non sans difficulté à cause de soucis apparents de santé, la déception s’est mêlée à l’incompréhension générale. Le pouvoir n’a rien de plus à offrir que ce qu’il a proposé il y a un mois. L’appel au dialogue est réitéré presque dans les même termes, quatre grandes journées de mobilisation plus tard. Autisme, manque de solutions ou calculs difficiles à percer, l’attitude des autorités appelle plusieurs lectures.
Est-il concevable qu’elles puissent encore tabler sur l’essoufflement du mouvement après que celui-ci ait fait preuve d’une incroyable capacité de résilience, résistant aux aléas de la nature et aux coups de boutoir du régime fait de velléités de répression et de tentatives de division et de diversion ? Si telle est la prévision du pouvoir, cela relèverait d’un déphasage inquiétant avec la réalité.
Lors des premières semaines de la contestation, on a parlé de vingt millions de citoyens sortis simultanément dans la rue et quand bien même, avec tous les aléas imaginables, il parviendrait à ramener la mobilisation au dixième de ce chiffre, cela donnerait des manifestations monstres aux quatre coins du pays, impossibles à réprimer ni même à ignorer.
Continuer à espérer un épuisement qui n’a que très peu de chances de survenir c’est aussi provoquer sciemment une dilapidation de temps contre laquelle toutes les voix du régime mettent en garde dans une conjoncture économique qui ne permet pas de tourner en rond. C’est surtout courir le risque d’un troisième report consécutif de la présidentielle, synonyme d’un camouflet retentissant pour toutes les institutions de l’Etat, y compris l’ANP qui a pris fait et cause pour les urnes comme unique voie de sortie de crise.
Les plus optimistes prêtent cependant au pouvoir l’idée de faire accepter cette fois sa proposition de dialogue en l’accompagnant d’une sérieuse concession, la démission du gouvernement Bedoui qui figure en bonne place dans les revendications de la rue. C’est du moins l’interprétation qui peut être faite de la suggestion du chef d’état-major de l’ANP qui, le 28 mai, avait appelé à des « concessions réciproques pour le bien du pays ».
De plus, Abdelkader Bensalah a annoncé dans son dernier discours la poursuite de sa mission à la tête de l’Etat sans évoquer le sort de l’Exécutif, ce qui peut bien être une façon de laisser la porte ouverte à un changement de gouvernement que la Constitution ne prévoit pas en période d’intérim certes mais n’empêche pas non plus. Cela dit, aucun indice palpable ne permet de présenter une telle option comme hautement probable.
L’autre explication possible à l’obstination du pouvoir, c’est sa volonté de gagner du temps en attendant que ses différentes composantes accordent leurs violons sur une option, une feuille de route, voire un candidat à parrainer.
Plus clairement, la discorde pourrait tourner autour de deux options cardinales, passer la main ou continuer à s’accrocher, ou sur le candidat à imposer au prochain scrutin si le système a décidé de se pérenniser. Une telle velléité ne relèverait pas du déphasage avec la réalité, mais de la cécité politique. Des institutions illégitimes et un bond de vingt ans en arrière c’est le pire des risques que le régime puisse faire courir au pays et à lui-même.