Kamel Daoud et Boualem Sansal, sont deux écrivains franco-algériens qui suscitent une controverse en Algérie pour quatre raisons.
Rarement l’arrestation d’un écrivain n’a autant divisé que celle de Boualem Sansal. En France, l’attitude, mitigée, de la gauche diffère de celle de l’extrême-droite qui en fait une question « de vie ou de mort », comme l’a signifié un éditorialiste proche de cette mouvance. En Algérie, la nouvelle est accueillie avec une certaine indifférence, du moins si l’on juge par le peu de réactions entendues.
Proches des thèses de l’extrême-droite
Autant en France, dont il a pris la nationalité en 2024 sur décision du président Emmanuel Macron, que dans son pays natal, Sansal est précédé de la réputation d’un homme qui a épousé toutes les thèses du courant extrémiste français, y compris les plus hostiles à l’Algérien, sans apporter quelque chose de nouveau.
À un degré moindre, Kamel Daoud, l’autre écrivain algérien naturalisé français, suscite lui aussi la défiance dans son pays d’origine. Les deux hommes pouvaient servir de trait d’union entre les deux rives de la Méditerranée. Ils sont aujourd’hui un sujet supplémentaire de discorde.
Moins de deux semaines avant l’interpellation de Boualem Sansal à l’aéroport international d’Alger le 16 novembre, Kamel Daoud remportait le prix Goncourt pour son roman Houris. C’est la plus haute distinction littéraire jamais obtenue par un écrivain algérien.
Paradoxalement, la nouvelle est accueillie en Algérie par un dépôt de plainte contre l’auteur qui est accusé par une rescapée du terrorisme en Algérie d’avoir reproduit son histoire sans son consentement.
Comme Boualem Sansal, Kamel Daoud a passé presque toute sa vie en Algérie. Les deux hommes n’ont jamais été inquiétés, même lorsque leur discours développé dans les médias français s’est mis à glisser sur des positions qui peuvent légitimement choquer en Algérie.
L’opposition des deux écrivains à l’islamisme a vite évolué, jusqu’à ne plus se gêner de reprendre les amalgames dangereux avec l’islam et l’immigration maghrébine et de partager un certain révisionnisme concernant la guerre d’Algérie et la colonisation. Ou encore de prendre des positions qui ne sont pas celles des Algériens sur la cause palestinienne. C’est incompréhensible.
Boualem Sansal et le rapprochement avec le Maroc
Sansal est allé encore plus loin en prenant le parti du Maroc, qui plus est dans une conjoncture très sensible. Par ses déclarations sur les frontières de l’Algérie, il a tendu à la propagande du royaume une perche inespérée dans le contexte de tension sur l’on sait entre les deux pays.
Cette sortie sur les frontières a coïncidé curieusement avec la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara occidental et au moment où au Maroc, les voix expansionnistes, toutes proches du Palais royal, prennent de l’ampleur.
Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’un régime politique, quel qu’il soit, met un écrivain derrière les barreaux. Mais les autorités algériennes ne pouvaient pas ignorer une telle attaque, comme elles l’ont fait pour les écarts passés.
L’Islam, les musulmans et les immigrés algériens
Dans son roman « Le village de l’Allemand », paru en 2008, Boualem Sansal a insinué une hallucinante filiation entre les combattants de l’ALN et l’armée nazie.
Ses attaques contre les musulmans et l’islam, « incompatible » selon lui avec la République et qui menacerait la France et toute l’Europe, ne sont évidemment pas partagées en Algérie, mais l’écrivain a continué à partager sa vie entre la France et son pays d’origine, où il a d’ailleurs sa résidence, sans subir la moindre remontrance.
Bien que le pays sacralise la cause palestinienne, personne ne l’a non plus tancé pour son voyage en Israël et son « pèlerinage » au mur des Lamentations en 2012.
Les réactions suscitées par son arrestation ont permis de mesurer l’importance qu’il a prise dans la mouvance extrémiste en France. Un de ses amis, Philippe de Villiers, a révélé que lui et Xavier Driencourt ont connu Boualem Sansal au Cercle algérianiste, une association qui assume depuis 50 ans sa nostalgie de l’Algérie française.
Ancien ambassadeur de France en Algérie, Driencourt est devenu l’une des voix les plus hostiles au rapprochement avec l’Algérie.
Kamel Daoud n’est pas connu pour ses accointances avec l’extrême-droite, mais les thèses qu’il développe sur les femmes et la colonisation s’y rapprochent et la limite est difficile à définir.
Il est plus un proche d’Emmanuel Macron. On lui prête la capacité de murmurer à l’oreille du président français sur des sujets liés à la place de l’islam et à l’Algérie. Et celle aussi de partir d’un cas particulier ou d’un incident mineur pour le généraliser à l’ensemble de la société.
Sur les plateaux des télés et les colonnes des médias français, il développe un discours aux antipodes de ce que ses compatriotes pouvaient attendre d’un algérien expatrié.
Chroniqueur et écrivain à succès, Kamel Daoud a boosté sa notoriété en 2016, de la plus malencontreuse des manières, lorsqu’il a imputé faussement des agressions contre des femmes en Allemagne à « un rapport pathologique à la femme » qu’il a généralisé à tous les jeunes maghrébins et musulmans.
Révisionnisme
Depuis, comme Boualem Sansal, il n’a pas cessé de glisser jusqu’à ne pas épargner la sacralité de la longue lutte du peuple algérien contre le colonialisme. Son argument subtil est que la décennie noire de terrorisme mérite plus d’intérêt, car plus récente, que la guerre de Libération.
Il est évident qu’un tel discours apporte de la légitimité, surtout quand c’est un Algérien qui le dit, et disculpe du soupçon de racisme toutes les obédiences du courant extrémiste en France, des nostalgiques de l’Algérie française aux pro-israéliens, en passant par les anti-immigration et les islamophobes.
Pour leurs contempteurs, C’est sans doute l’une des clés qui ont ouvert aux deux écrivains tous les espaces médiatiques et salons littéraires en France.
Il y a en fait comme un deal dans tout cela. Le politologue Nadjib Sidi Moussa soutient dans Mediapart que Sansal et Daoud ont surfé sur les « créneaux porteurs » de « la haine, le rejet d’une partie de la population : les immigrés, particulièrement ceux d’origine algérienne ».
En retour, ils ont été « promus de manière stratégique pour mener les guerres culturelles à la française ».