A peine constitué, le panel du dialogue connaît déjà ses premiers couacs, avec même une mise en garde franche de son coordinateur Karim Younes qui a brandi la menace de jeter l’éponge.
La pression, d’abord des internautes sur les réseaux sociaux puis des manifestants lors du vingt-troisième vendredi, a eu raison de la sérénité affichée par Karim Younès et ses cinq compagnons à l’issue de leur rencontre jeudi avec le chef de l’Etat au siège de la présidence de la République.
Déjà, l’annonce de la composante du panel avait surpris et laissé sceptiques plus d’un. Et pour cause, beaucoup de noms inclus dans la première liste de treize personnalités proposée par le Forum civil pour le changement n’y figuraient pas, comme le sociologue Nacer Djabi, le syndicaliste Lyes Merabet ou Saïd Salhi.
Ahmed Taleb Ibrahimi et Djamila Bouhired avaient, eux, décliné l’offre et Mouloud Hamrouche n’avait donné aucune suite.
Les langues ont commencé à se délier dès vendredi soir et les révélations faites notamment par Nacer Djabi et Saïd Salhi n’ont fait que confirmer les doutes exprimés par une partie de la classe politique et des acteurs du hirak.
« Ce qui s’est passé par la suite n’était pas conforme à notre conception. Des noms ont été ajoutés à la liste sans qu’on soit informés », témoigne Nacer Djabi. « Le lendemain, à 11 heures, on découvre à la télé un autre panel qui est reçu à la présidence », confirme de son côté Me Salhi.
Un gros problème de confiance
Des personnalités réellement indépendantes, comme l’économiste Smaïl Lalmas et la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, ont été retenues sans doute dans le souci de conférer une certaine crédibilité à l’instance et à la démarche dans sa globalité.
Mais à quoi obéit l’incorporation de nouveaux noms, dont certains sont connus pour avoir défendu et justifié tous les choix du pouvoir par le passé ? Un numéro d’équilibriste qui fait remonter à la surface la question centrale des intentions réelles du pouvoir. « A mon avis, ce qui s’est passé traduit le manque d’ouverture des tenants de la décision sur la situation que vit l’Algérie depuis le 22 février », juge Nacer Djabi qui souligne que le succès de la mission du panel « est tributaire de la volonté du régime à répondre aux aspirations des Algériens ».
Même déduction de Saïd Salhi : « Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’en sais pas trop, mais je vous laisse la liberté d’en déduire vous-mêmes de la volonté réelle du pouvoir. »
Le manque de volonté politique, perceptible à travers les choix du pouvoir dans sa gestion de la crise, est désigné par l’opposition et la rue comme le principal facteur de blocage. Un gros problème de confiance persiste et les autorités ne font pas suffisamment pour le dissiper.
Les membres du panel mis dans la gêne
Cette histoire de préalables, qui risquent de faire capoter le nouveau projet de dialogue, en est la parfaite illustration. Jeudi, le chef de l’Etat s’est engagé devant le panel à prendre un certain nombre de mesures. Le lendemain, jour de grande mobilisation populaire, l’attitude des forces de l’ordre n’a pas trop changé par rapport aux vendredis précédents. A titre d’exemple, les accès à la capitale étaient de nouveaux fermés et, le soir, l’ENTV s’est adonné à son exercice préféré depuis quelques semaines, celui de réduire la grande mobilisation de vendredi à des marches pour brandir le drapeau national et exiger la poursuite de la lutte contre la corruption.
Par ses tergiversations, non seulement le pouvoir nourrit les doutes quant à ses intentions, mais il met aussi dans une grande gêne les personnalités qui ont accepté d’engager leur crédibilité au nom de la nécessité de trouver une issue à la crise qui dure depuis plus de cinq mois.
Surtout, il met en péril le succès du dialogue annoncé, et plus globalement, de sa démarche de sortie de crise.
Karim Younès, désigné coordinateur de l’instance, a bien voulu se montrer compréhensif, mais n’y est pas allé par trente-six chemins pour dire ce qu’il adviendra de la commission si le pouvoir persiste dans ses manœuvres :
« J’ai analysé l’organisation des marches de ce vendredi. Concernant les mesures sur lesquelles nous nous sommes entendus (avec Bensalah). On comprend qu’il est difficile de les appliquer aujourd’hui. Entre hier et aujourd’hui, c’est court. Mais nous avons attiré l’attention sur le fait que si les mesures ne sont pas appliquées cette semaine, nous ne serons pas en mesure de poursuivre notre mission ».
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