La Jordanie, secouée par un mouvement de contestation populaire à cause de la cherté de la vie, a obtenu en urgence un nouveau soutien financier conséquent de pays du Golfe, mais ces milliards de dollars ne constituent pas une « solution miracle » face aux défis du royaume, estiment des analystes.
« Ce qui s’est passé en Jordanie a fait ressurgir l’esprit du Printemps arabe, provoquant un vent de panique parmi les pays du Golfe », explique Oraib al-Rintawi, directeur du centre al-Qods pour les relations stratégiques à Amman. « La stabilité de la Jordanie est fondamentale pour la sécurité de la région, du Golfe et de l’Arabie saoudite qui a peur d’un effet domino entre monarchies », explique M. Rintawi.
Mais selon lui, la vitesse de réaction de Ryad, Abou Dhabi et Koweït dans l’octroi d’une enveloppe de 2,5 milliards de dollars reflète également « les craintes d’un renversement d’alliances dans la région » après des rapprochements récents de Amman avec le Qatar, émirat boycotté par l’Arabie saoudite.
Mais c’est surtout une rare poignée de mains entre le roi Abdallah II de Jordanie et le président iranien Hassan Rohani –dont le pays est le grand rival régional de Ryad– lors du sommet de l’Organisation de la coopération islamique en mai à Istanbul qui a marqué les esprits.
« Enclume et marteau »
La Jordanie a aussi montré des signes de distanciation par rapport aux positions américano-saoudiennes sur le dossier de Jérusalem, reconnue unilatéralement en décembre capitale d’Israël par Washington.
Le royaume hachémite, gardien des lieux saint de Jérusalem et dont plus de la moitié de la population est d’origine palestinienne, « se trouve dans une position extrêmement inconfortable et il lui est impossible de suivre » ses alliés américain et saoudien sur ce dossier, souligne Karim Bitar, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques à Paris. « Comme souvent, la Jordanie se retrouve coincée entre l’enclume et le marteau », dit-il.
Préoccupé par le souci de « préserver un allié stratégique dans la région », frontalier d’Israël, des Territoires palestiniens, de la Syrie et de l’Irak notamment, Washington a « sûrement donné son feu vert » au soutien financier des pays du Golfe, souligne M. Rintawi. Dimanche, l’Union européenne avait également annoncé une nouvelle aide de 20 millions d’euros à Amman, pour des projets en faveur des « plus vulnérables ».
Dépourvue de ressources naturelles et très dépendante d’aides étrangères, la Jordanie traverse une période difficile –la Banque mondiale évoque une « faible perspective de croissance en 2018 »–, 18,5% de la population est au chômage et 20% vit à la limite du seuil de pauvreté. Le roi a semblé d’abord bien en peine d’apaiser la colère populaire, allant jusqu’à mettre en garde contre un saut « dans l’inconnu ».
« Equilibriste »
« En montrant à ses alliés que la Jordanie est sur le point de glisser vers un avenir sombre », le royaume a finalement « récolté les fruits de la grogne sociale », avec l’aide financière du Golfe, selon l’analyste jordanien Adel Mahmoud. Pourtant, ces milliards ne constituent pas une « solution magique » à tous les problèmes de la Jordanie qui a surtout besoin d’un « nouveau contrat social », indique M. Rintawi.
« L’économie ne peut pas demeurer otage des aides internationales, qui ont diminué ces dernières années. Compter sur les aides est un pari à court terme » perdu d’avance, estime-t-il. D’après lui, « il est temps que la Jordanie apprenne à compter sur elle-même, mette en place de nouvelles politiques économiques basées sur la lutte contre la corruption aux niveaux les plus élevés de l’Etat, et réduise les dépenses publiques » au lieu de se concentrer sur l’augmentation des impôts.
Car le royaume avait déjà bénéficié en 2011 d’une aide de 5 milliards de dollars des pays du Golfe « qui n’a pas réussi à sauver son économie », ajoute M. Rintawi. Il n’est pas sûr que le nouveau Premier ministre Omar al-Razzaz, un intellectuel respecté, puisse relever tous les défis rapidement « car l’économie souffre de faiblesses structurelles », estime M. Bitar.
Même si sa marge de manœuvre s’est affaiblie, relève le chercheur, le roi a encore de la ressource car la stabilité de la monarchie demeure importante pour beaucoup d’acteurs régionaux et internationaux. Et d’ajouter: « Donc à moins d’une dégradation encore plus marquée de la situation économique et d’une montée des tensions régionales, on peut supputer que ce pays sortira de cette crise comme il l’a fait dans le passé, en adoptant une position d’équilibriste ».