En matière de céréales, l’année 2023 restera dans les mémoires. En Algérie, les inondations de ces derniers jours ont succédé à une sécheresse qui a duré plusieurs mois.
Une situation qui repousse l’objectif d’une plus grande autosuffisance en blé. Même si aucune évaluation n’est encore faite des dégâts occasionnés par la sécheresse et les inondations, la récolte des céréales s’annonce catastrophique cette année.
Pire, le dérèglement climatique observé montre combien produire des céréales devrait s’avérer difficile à l’avenir.
À l’automne, la campagne céréalière s’annonçait sous d’assez bons auspices en Algérie. Les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS) avaient produit 3 millions de quintaux de semences certifiées.
Des subventions avaient permis aux agriculteurs de limiter la hausse du prix des engrais liée aux répercussions de la crise ukrainienne.
Certes, on avait pu noter un retard en matière de semis, mais à la fin de l’hiver dans de nombreuses régions céréalières, les champs de blé présentaient un aspect prometteur.
Au début du printemps, les pluies se sont faites rares et l’eau emmagasinée dans le sol n’a plus suffit aux plantes.
À l’intérieur du pays, des parcelles ont montré un net arrêt de croissance suivi par la suite d’un début de jaunissement du feuillage.
Quant aux semis les plus tardifs, ils sont restés à un stade de gazon, quand d’autres n’ont pas émergé. Dans un premier bulletin d’alerte, l’Institut national des sols, de l’irrigation et du drainage (Insid) avait alors recommandé de recourir à l’irrigation d’appoint.
En avril, une subite hausse des températures a contribué au jaunissement des parcelles de blé créant un doute quant au succès de la campagne en cours.
Traditionnellement plus affectés par la sécheresse, des agriculteurs de l’Ouest du pays ont lâché leurs moutons sur les parcelles sinistrées tandis que les plus chanceux ont pu faucher les maigres tiges de blé pour en faire des bottes de paille.
Dans les marchés aux bestiaux, les éleveurs faisaient part d’un début de flambée du prix des fourrages tandis que d’autres, comme à Tiaret demandaient au wali que les « mahmiyates », ces terres de parcours misent en repos, soient ouvertes à la location dès début avril contrairement à la réglementation en cours qui prévoit le 15 avril.
De son côté, au vue de l’évaporation, l’Insid publiait de nouveaux bulletins préconisant la poursuite de l’irrigation.
Début mai, le Conseil national interprofessionnel de la filière céréales (CNIF) élaborait un plan d’urgence en 14 points dans lequel figurait l’effacement des exploitations les plus durement touchées et la multiplication des retenues collinaires ainsi que des autorisations de forages hydrauliques.
Pour sa part, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural devait indiquer qu’il était souhaitable que la Caisse nationale de mutualité agricole (CNMA) considère à l’avenir la sécheresse comme une « calamité naturelle » en Algérie.
Priorité donnée aux semences
Constatant l’aggravation du déficit en eau, les services du ministère de l’Agriculture décidaient alors d’un plan d’urgence. Ce plan privilégiant la sauvegarde des parcelles consacrées à la production de semences en recourant à l’irrigation d’appoint.
Dans différentes régions d’Algérie, face à la sécheresse persistante, de nombreux agriculteurs n’avaient pas attendu pour commencer à irriguer.
Un agriculteur disposant d’un kit d’irrigation témoignait de la pénibilité de l’opération : « Toutes les heures, il faut déplacer les tuyaux et les asperseurs en pataugeant dans la boue ». Un autre déclarait : « On voudrait bien irriguer, mais notre puits est à sec ».
Quant à l’eau des barrages, les services concernés ont souvent dû arbitrer entre les besoins des parcelles plantées en tomates de conserve et les céréales.
Les services agricoles ont également décrété la mobilisation de moyens supplémentaires afin d’assurer le succès de la récolte des champs de céréales situés au sud du pays et irrigués par des rampes-pivot.
Des convois de camions et d’engins de récolte montés sur des porte-chars ont été dirigés vers ces wilayas. Ces moyens ont permis un déroulement plus que satisfaisant de la récolte de céréales.
Dans le sud de l’Algérie, les investisseurs produisant des semences ont bénéficié de la gratuité du transport de leur récolte. Les grains ont été immédiatement acheminés vers les CCLS du nord pour être usinées et assurer les semences certifiées de la prochaine campagne de semis.
Algérie : retour soudain de la pluie
À la mi-mai, alors qu’à l’intérieur du pays les champs de céréales étaient desséchés, la pluie a fait son retour d’abord à l’Est puis dans la plupart des régions.
À Lamsara, dans la wilaya de Batna, Abdellah Rouibi, un producteur de safran témoigne sur les réseaux sociaux : « Le 1er juin, il est tombé 19 mm et ce sont 105 mm qui sont tombés depuis le retour des pluies. Des puits taris depuis 5 ans sont à nouveau pleins ».
Pour sa part, à El Tarf, Saci Abadlia, le président de la Chambre d’Agriculture a fait part à de nombreuses reprises de champs de tomates dévastés par les inondations.
À Tébessa des bergeries ont été submergées par les eaux. En mai à El Tarf puis à Skikda, des agriculteurs ont constaté des cas de germination de grains sur épis. Une situation qui rend les grains impropres à la fabrication de pain avec comme seule destination l’alimentation animale.
Il a été observé des situations inimaginables, 6 mois après des semis tardifs de décembre, des parcelles de blé, n’ont commencé à germer qu’en mai.
Des parcelles de blé en partie desséchées ont produit de nouvelles tiges. « Au moins cela permettra de faire pâturer les moutons », fait remarquer un agriculteur. Sur le marché des fourrages, après la flambée des prix de ces dernières semaines, le prix de la botte de paille à commencer sa décrue.
Passé l’effet de surprise, une commission a été installée fin mai au niveau du ministère concerné afin « de recenser les agriculteurs sinistrés », a déclaré Miloud Tria, conseiller au cabinet du ministre.
Les espoirs de l’agriculture saharienne
À Adrar, avec une récolte de 675.000 quintaux en hausse de 200.000 quintaux par rapport à la saison précédente, l’agriculture saharienne est apparue comme une alternative à la sécheresse qui sévit au Nord.
L’Office de développement de l’agriculture industrielle en terres sahariennes (Odas) prévoit de distribuer un million d’hectares de terres.
Des concessions qui devraient permettre de produire oléagineux, betterave à sucre et céréales dans le sud de l’Algérie.
En comptabilisant les espaces entre pivots et les cultures autres que les céréales, ce sont environ 300.000 hectares qui devraient être consacrés à la culture du blé.
Avec un rendement moyen de 50 quintaux par hectare, à court terme, ce sont 15 millions de quintaux qui pourraient être produits dans le sahara algérien. Une production qui s’ajouterait à la quarantaine millions de quintaux produits en moyenne au nord du pays.
Une production au Sud dont le coût de l’hectare a tendance à être de plus en plus élevée : « Cela nous revenait auparavant à 70.000 DA, aujourd’hui il faut compter entre 250 et 280.000 DA », confiait en mai Khaled Belmachrah à la chaîne DZ News expliquant que certains investisseurs n’ont pas le savoir-faire nécessaire ou ne possèdent pas leur propre matériel et sont obligés de recourir à la location.
Des savoir-faire bouleversés par les changements climatiques
Lors d’un précédent passage sur les ondes de la Chaîne III de la Radio Algérienne, le professeur Arezki Mekliche de l’École nationale supérieure d’agronomie d’El Harrach (Ensa) analysait que le manque de disponibilité en tracteurs de grande taille et de matériel de faible envergure ne permettait pas de cultiver convenablement les céréales en Algérie.
Ces derniers mois, les services agricoles ont envisagé la possibilité pour les agriculteurs algériens d’importer du matériel agricole “rénové“.
L’avertissement vient également de l’agroéconomiste Ali Daoudi de l’Ensa. À propos des changements climatiques, ce spécialiste rappelait la semaine passée sur les ondes de la Radio algérienne : « Ces changements rendent un peu caducs nos connaissances agronomiques, rendent caduques les savoirs faire des agriculteurs ». Ali Daoudi a appelé à « une nouvelle agronomie ».
Face à ce nouveau défi, les Chambres d’agriculture et le conseil national interprofessionnel de la filière céréales apparaissent comme des structures de concertation avec l’administration et un moyen de démultiplier les initiatives.