Hamza Bounour observe attentivement les plants au milieu d’une parcelle de blé à Djebala (Guelma). Sur les feuilles des taches blanchâtres et d’autres de couleur orange. Verdict : oïdium et septoriose.
Avec le retour des pluies dans les zones à haut potentiel de blé en Algérie, l’heure est aux traitements contre les maladies.
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Avec la crise ukrainienne et l’envolée des prix des céréales qui ont atteint les 400 euros la tonne, l’augmentation de la production locale devient cruciale. Lors du dernier Conseil des ministres, le président Abdelmadjid Tebboune a rappelé la nécessité d’améliorer les rendements demandant de les passer de 17 à 40 quintaux/hectares. Dans les wilayas de l’Est du pays, là où les pluies sont les plus abondantes, se joue une partie de l’autosuffisance en blé dur de l’Algérie.
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Souvent négligés, les traitements herbicides et fongicides restent un passage obligé. Seulement 20 à 25 % des surfaces céréalières sont actuellement désherbées et bien moins reçoivent des fongicides. C’est-à- dire le retard en matière de pulvérisation. Même s’il existe des méthodes de désherbage mécanique, le retard reste patent. Or, une parcelle de blé non désherbée peut perdre 50 % de son potentiel. Si oïdium et septoriose peuvent nettement réduire le rendement, la soudaineté des attaques de rouille peut anéantir la culture.
Pulvérisateurs, un matériel local dépassé
Pour le traitement des céréales, l’Entreprise de fabrication de matériel de Semis Fertilisation et Traitement (SFT) produit du matériel de pulvérisation que commercialise le groupe public Production de Matériel Agricole Trading (PMAT).
Il s’agit d’un matériel robuste mais peu sophistiqué. Il est composé d’une cuve et d’une simple rampe de pulvérisation repliable. Ce matériel a le mérite d’exister et il a permis d’équiper, à peu de frais, de nombreuses exploitations agricoles.
Mais son envergure d’une douzaine de mètres reste bien faible face aux 24 mètres proposés par les constructeurs étrangers, et il ne dispose pas de la possibilité de modulation des doses depuis la cabine du tracteur.
Au regard des exigences techniques, le manque de sophistication de ce matériel local lui attire parfois le qualificatif moqueur de simple “arrosoir“.
Il est vrai qu’à l’étranger, le pulvérisateur est devenu l’outil de base de l’agriculteur. Qu’il soit tracté ou auto-moteur, il est présent dans la cour de ferme des grandes exploitations céréalières.
Ces engins font l’objet d’améliorations constantes; c’est le cas avec l’électronique embarquée. Un constructeur explique que “la distribution proportionnelle à l’avancement électronique (DPAE) permet de réguler la dose de produit par hectare choisie et cela proportionnellement à la vitesse d’avancement“.
Yacine Bentchikou, un céréalier à la pointe
Yacine Bentchikou, qui cultive du blé dans la région de Constantine, précise : “Nous avons des parcelles accidentées qui ne nous permettent pas de travailler avec des pulvérisateurs de grande envergure. Pour ma part, 21 mètres d’envergure, c’est la limite du possible“. Il poursuit : “En ce qui concerne le DPAE, cela apporte un confort et une meilleure maîtrise des quantités de produits épandus“.
Un observateur étranger bon connaisseur des exploitations de l’intérieur du pays note : “Je connais très bien les problèmes que vous avez. Et certains ont investi dans le meilleur matériel que l’on trouve. Mais on voit souvent un bon gros tracteur de 150 CV avec un simple pulvérisateur de 800 litres et une rampe de 9 à 12 mètres fixé sur bâti“.
Ce type de fixation sur bâti ne permet pas de réduire les oscillations de la rampe ce qui provoque une hétérogénéité du traitement. L’observateur insiste pour une amélioration des conditions de traitement : “Laisser dans les champs les passages de roues du pulvérisateur quand on fait des semis* pour être sûr de ne pas faire de doublé. Certains le font et doivent être des exemples“.
Cette façon de procéder se développe en Algérie. Yacine Bentchikcou témoigne : “J’économise à peu près 10 quintaux de semences en laissant les passages de roue. Mais sur mes parcelles qui ne sont pas carrées (présence d’angles aigus), même en travaillant avec des coupures de tronçons de rampe, il y aura des doublés“. Confiant, il ajoute : “Mais c’est déjà cela de gagné“.
Une nécessaire montée en gamme
Lors d’un entretien au quotidien L’Expression en 2017, Sallah Attouchi, directeur général de PMAT insistait sur le partenariat avec des constructeurs étrangers pour moderniser le matériel agricole construit localement.
“Nous apportons effectivement une solution complète pour l’agriculture. Notre partenariat industriel et technologique nous permet de le faire. (…) Cet objectif est franchement énoncé d’où le choix de garder les labels internationaux, comme pour Massey-Ferguson, Galucho, Sampo”, a-t-il dit. Il a ajouté : “Le partenaire est partie prenante dans ce procédé“.
Contrairement au matériel de récolte sous licence Sampo, aux tracteurs sous licence Massey-Fergusson, aux charrues Galucho ou aux semoirs Sola, le matériel de pulvérisation n’a pas bénéficié de modernisation en partenariat avec un constructeur étranger ou avec des compétences locales.
Utilisation de fongicides sophistiqués
En matière de pulvérisation, l’autre source de progrès vient des techniciens des firmes de produits phytosanitaires. Certains d’entre eux vulgarisent l’emploi de buses de nouvelle génération qui permettent de réduire la dérive des produits pulvérisés en présence de vent.
Contre les maladies du feuillage, la discussion fait rage sur les réseaux sociaux. Une ingénieure agronome avertit : “Avec ces dernières pluies, il y aura surtout des maladies cryptogamiques“.
Saïdi Chabaane de la firme Syngenta le confirme et avertit de l’apparition de la septoriose sur blé au niveau de la zone Nord de Constantine. Aussi, propose-t-il une stratégie basée sur l’emploi de deux fongicides appliqués à un mois d’intervalle en utilisant le produit Amistar-Xtra, la spécialité maison. De son côté, Hamza Bounour de Basf recommande d’utiliser les spécialités Opéra et Cériax.
À chaque fois l’objectif est de maintenir l’intégrité de la surface foliaire. Cette surface qui capte l’énergie solaire et permet de fabriquer un maximum d’amidon qui migrera en juin vers les grains. À condition qu’il reste assez d’humidité dans le sol pour générer assez de sève.
À l’avenir utiliser des drones ?
Les céréaliers des zones à haut potentiel sont aujourd’hui encadrés par les technico-commerciaux des firmes productrices de produits phytosanitaires et par le réseau des revendeurs locaux.
Ces agriculteurs utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées. Comme avec les antibiotiques en médecine humaine, il est question de diversification des produits utilisés afin d’éviter l’apparition d’éventuelles résistances. Pour les services agricoles, l’enjeu est d’arriver à ce qu’un maximum d’agriculteurs aient accès à ces nouvelles façons de faire.
La disponibilité en matériel moderne de pulvérisation et en moyen de formation reste indispensable. En l’état actuel, il est difficile d’envisager de dépasser la moyenne nationale de 17 quintaux par hectare prônée par les pouvoirs publics. Ce challenge passe par la nécessaire modernisation du matériel mis à la disposition des exploitations.
Il est à espérer qu’à l’avenir des start-up mettent au point des drones spécifiques permettant d’assurer la protection des plantes. À l’étranger, c’est déjà le cas pour des cultures à forte rentabilité et occupant de petites surfaces telle la vigne. Encore faudrait-il arriver à augmenter la charge utile de ce type d’engins.
L’irrigation n’est donc pas la seule condition pour augmenter les rendements. La pulvérisation, la fertilisation, les techniques de semis mais aussi la génétique ou le foncier agricole restent autant de chantiers à faire avancer de concert.