“Si seulement j’avais une poignée de semences de Biskri, je pourrais faire des merveilles“, confie à TSA un agriculteur dans l’Est algérien.
Le Biskri, cette variété de blé dur très présente dans les années 1970 et aujourd’hui remplacée par les Waha, Vitron, GTA d’origine étrangère, certes plus productives, mais aussi plus fragiles. La création récente d’une banque nationale de gènes devrait permettre de veiller sur les espèces locales aujourd’hui objet de convoitises européennes.
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Réchauffement climatique, l’enjeu des blés sahariens
Avec la menace du réchauffement climatique, les blés sahariens algériens font l’objet d’un intérêt grandissant de la part des généticiens européens.
Ces blés sont adaptés aux conditions extrêmes. Leurs gènes de résistance à la sécheresse pourraient être introduits par croisement dans les variétés cultivées par les pays de l’hémisphère nord.
Des experts s’inquiètent même du risque de disparition de ce matériel unique. Dans la 25e édition du rapport du Déméter, un think tank consacré aux affaires agricoles, ces experts lancent un appel à “la création d’un consortium“.
Celui-ci pourrait regrouper “des institutions agronomiques nationales de pays sahariens en charge de sélection variétale de blé tendre et de blé dur, ainsi que des expertises complémentaires apportées par des organisations publiques et privées“.
Relance du projet de banque de gènes
Fin octobre, lors d’une visite de terrain, le ministre de l’Agriculture et du Développement durable a confirmé la relance du projet de banque nationale de gènes en Algérie qui est à l’arrêt depuis 2007. Il a indiqué que ce programme avait reçu le soutien du Premier ministre et qu’il visait à la conservation des espèces animales et végétales locales.
La banque de gènes devrait être rapidement opérationnelle et notamment permettre le rapatriement d’exemplaires d’espèces algériennes actuellement répertoriées dans des banques à l’étranger.
Dans la communauté scientifique, l’échange de matériel génétique est courant. Les stations de recherche de l’Institut technique des grandes cultures (ITGC) reçoivent régulièrement des échantillons de variétés nouvelles de blé, de pois chiche ou de lentilles qu’envoient les organismes internationaux de recherche auxquels adhère l’Algérie.
À cette occasion, le ministre a rappelé l’importance de posséder une banque de gènes pour contribuer à plus de sécurité alimentaire. À part la pomme de terre, en matière de maraîchage, l’agriculture locale utilise dans sa presque totalité des semences importées.
L’Algérie, zone de diversification des blés
L’Algérie est une zone de diversification des blés. Au cours du temps, les plantes sont l’objet de mutations génétiques. Seules les mutations leur conférant un avantage adaptatif survivent.
La nature aurait ainsi “sélectionné en quelque sorte ses propres OGM pour disposer de plantes résistantes à des conditions extrêmes“, comme l’explique un expert.
Se maintiennent également les plantes présentant des mutations intéressantes. C’est par exemple le cas de la clémentine apparue naturellement en Oranie dans un verger de mandarine et aujourd’hui cultivée dans de nombreux pays.
De par la diversité de ses terroirs, l’Algérie dispose de nombreuses variétés apparues au cours des temps. C’est le cas des célèbres blés Oued Zenati, Biskri, Bidi, des olives Chemlal, Sigoise ou des figues de Mahouche aujourd’hui labellisées. C’est également le cas avec les races animales dont le mouton Ouled Djellal.
Des espèces algériennes cultivées en Australie
L’Algérie est également riche en variétés de fourrages de type médicago, ce qui n’est pas le cas de l’Australie. Aussi, il y a une cinquantaine d’années, quand les agronomes australiens ont cherché des espèces fourragères pour leur élevage de moutons, ce sont des espèces originaires d’Algérie qu’ils ont sélectionné.
Et quand, au milieu des années 1970, le ministère algérien de l’Agriculture a cherché à développer les fourrages, une société australienne leur a proposé un programme de développement dans lequel figuraient des semences de médicago originaires d’Algérie.
Que ce soit pour le médicago ou d’autres espèces, des universitaires algériens, dont le professeur Aïssa Abdelguerfi, ont réalisé des prospections sur le territoire national. Mais les faibles moyens des laboratoires universitaires n’ont pas permis la conservation dans les meilleures conditions des graines collectées.
Comme pour les blés sahariens et le médicago, à travers le monde de nombreuses espèces sont convoitées. Si la Californie est devenue un grand producteur de pistaches qui concurrence aujourd’hui la production iranienne, elle le doit aux prospections réalisées en 1929 par un botaniste américain. Celui-ci ramena d’un voyage en Iran une dizaine de kilos de pistaches qui furent immédiatement plantées.
Semences locales, le risque d’érosion génétique
La biodiversité algérienne est sous la menace d’une érosion génétique. Celle-ci ne provient pas seulement de l’introduction de variétés étrangères. L’urbanisation et les préférences des consommateurs peuvent avoir un effet négatif. C’est le cas des dattes avec la demande croissante en Deglett nour qui marginalise les autres variétés. À terme, cette diversité génétique pourrait être perdue. C’est là que la banque de gènes pourra intervenir par la création de vergers et la sauvegarde des semences.
La Tunisie a adopté une stratégie originale afin de sauvegarder la diversité génétique locale des blés. Depuis 2010, la banque de gènes offre un sac de 50 kilos de semences locales aux agriculteurs qui s’engagent à restituer à la récolte la même quantité de grains. Ce programme est soutenu par la FAO qui lui a fourni une aide de 132 000 euros.
Actuellement, ce sont près d’une centaine d’agriculteurs tunisiens qui cultivent 38 variétés autochtones. Il est apparu que les variétés locales de blé dur avaient un taux de protéines de 17 % contre seulement 12 % pour les variétés importées.
Ce type d’approche devrait permettre à la future banque de gènes d’Algérie la conservation d’un patrimoine inestimable utilisable pour les agriculteurs et les générations futures.