Il aura fallu que Louisa Hanoune soit placée en détention provisoire par le tribunal militaire de Blida pour que les langues commencent à se délier chez certains partis politiques évoquant des conciliabules en secret avec des cercles du pouvoir.
Invité lundi du forum du quotidien El Moudjahid, le président du MSP, Abderrazak Makri a détaillé les péripéties qui ont entouré son initiative pour le consensus national qu’il a révélée à l’été 2018.
« L’initiative du consensus national était publique et devait être discutée entre le pouvoir et l’opposition. Nous nous sommes donc adressés au pouvoir, représenté par la présidence de la République. La présidence a chargé Saïd Bouteflika en sa qualité de conseiller du président. Personne ne peut dire que cette fonction n’est pas politique ou n’est pas une fonction de souveraineté (sic). Nous nous sommes adressés à Abdelaziz Bouteflika et nous avons déposé l’initiative avec un bordereau d’envoi avec cachet et date. Nous avons déposé l’initiative à la présidence et celle-ci a répondu. Une fois ils ont chargé Louh, une fois Messahel et une fois le conseiller du président. Nous traitons avec une institution et publiquement. Notre rencontre a eu lieu au sein de la présidence de la République », a détaillé Makri, précisant que parmi les conditions qu’il dit avoir posées, celle d’informer l’institution militaire.
« Nous étions dans une institution de l’État protégée par l’institution militaire. Durant nos discussions, nos conditions étaient claires. La première, était que l’institution militaire soit informée de ce qui se passait », a-t-il encore révélé.
« J’ai même exigé de Saïd Bouteflika à ce que je rencontre personnellement Gaid-Salah pour que je l’entende dire de vive voix s’il était d’accord ou pas avec cette initiative. Nous voulions rencontrer l’institution militaire à travers la présidence pour que les choses se fassent légalement et dans la transparence », a encore révélé Makri.
Il s’agit en effet de révélations parce que jusque là, Makri ne s’est jamais étalé, ni pendant les conférences de presse, ni pendant certaines rencontres organisées par le parti sur cette rencontre tenue secrète bien que la presse en avait fait écho début janvier dernier.
La première fois où Makri a parlé de sa rencontre avec Said, c’était jeudi 3 janvier, soit plusieurs mois, après avoir rendu publique son initiative de sortie de crise. C’était sur sa page Facebook. Il avait dû répondre alors à l’interrogation d’un internaute qui s’était appuyé sur des révélations du magazine « Jeune Afrique ». «Q uand avez-vous rencontré Said Bouteflika ? Pourquoi avez-vous tenu la rencontre secrète et ne l’avez-vous pas révélée à l’opinion publique ? Quel est le sujet de la réunion et qui était l’intermédiaire ? L’initiative du consensus national a-t-elle été placée sous les auspices de Bouteflika ? L’appel du report des élections est-il également inspiré par Bouteflika ? », s’était interrogé l’internaute.
Réponse de Makri sur un ton agacé et ironique : « La moitié des cinquante (50) rencontres menées par le Dr. Makri n’a pas été divulguée. Il (Dr. Makri, ndlr) a affirmé à plusieurs reprises qu’il avait rencontré Said Bouteflika et d’autres. Et que l’initiative du consensus a été combattue par le pouvoir. Alors comment peut-il faire partie de cette initiative ? Réfléchis un peu ».
La polémique s’est tue, avant de refaire surface, après l’incarcération de Louisa Hanoune, Said Bouteflika et des généraux Toufik et Tratag, dimanche 5 mai.
Après avoir révélé des détails de sa rencontre avec Said lundi, Makri s’est vu rajouter ce mardi une couche de la part du bras droit d’Abdallah Djaballah, Lakhdar Benkhellaf, lequel l’accuse d’avoir voulu « jouer l’intermédiaire entre le pouvoir et l’opposition ».
La réponse du MSP ne s’est pas fait attendre puisque il a accusé son « frère ennemi », lui aussi, d’avoir rencontré secrètement de hauts responsables.
Selon Nacer Hamdadouche, membre de l’exécutif du MSP, des cadres du FJD ont rencontré « les forces extraconstitutionnelles (dont Said Bouteflika, plusieurs fois et de son propre aveu), le chef de l’État profond (l’ex-général Toufik), Abdelmalek Sellal et même un représentant du premier ministre Bedoui, dans le cadre de la formation du récent gouvernement rejeté par le peuple ».
Ces révélations ont donné lieu à des échanges d’amabilités et des mises au point entre les deux pôles de l’islamisme par médias interposés. Pourquoi Makri a-t-il attendu tout ce temps pour parler de sa rencontre avec Said Bouteflika alors qu’il devait rendre compte aussitôt aux militants de son parti et à l’opinion publique ? Son initiative visait bien le report des élections présidentielles afin de prolonger illégalement le mandat de Bouteflika.
S’il n’est pas interdit pour n’importe quel homme politique de rencontrer des responsables politiques à quelque niveau que ce soit, il reste que le « caractère » secret de ces démarches a longtemps porté préjudice, non seulement à l’exercice politique, et par ricochet à la vie démocratique, mais également à la sérénité des partis.
Ce n’est probablement pas sans raisons que beaucoup d’acteurs ont été malmenés lors des marches du vendredi et beaucoup de partis sont en proie à des crises internes.
Un des partis victime de l’absence de transparence dans sa gestion interne, à l’origine de la crise dans laquelle il ploie, le FFS. La crise est née de ce que des cadres et autres militants soupçonnent Mohand Amokrane Chérifi, membre de l’instance présidentielle, d’imprimer au parti une orientation sur instigation de quelques cercles du pouvoir.
Il est vrai que la rigidité du pouvoir, réfractaire à une vie démocratique, a contraint les partis à l’exercice à la mesure de leurs moyens. Mais, faute d’un fonctionnement transparent et démocratique, qui respecte les militants, les attitudes de certains acteurs politiques prolongent le discrédit d’une scène politique qui a, plus que jamais, besoin d’une refondation.