Sauver, ou plutôt récupérer leur part d’histoire. Pour les Algériens de l’étranger, il semblerait qu’il y a un besoin urgent de raviver leur héritage algérien.
Mais aussi de le faire exister aux yeux du monde. Puisqu’il est compliqué de garder un lien intact avec leur pays et celui de leurs aïeux, les binationaux se lancent de plus en plus dans un combat pour conserver leurs racines algériennes et aussi les sublimer.
La culture, l’histoire, les arts, le commerce sont devenus des terrains de jeu, dans lesquels les Algériens de la diaspora en France et ailleurs comptent bien investir pour raviver un sentiment d’appartenance. Souvent cette ambition donne lieu à des « petits miracles ».
Des Franco-Algériens sauvent un manuscrit inestimable pour l’Algérie
Le dernier date du mois d’avril 2023. Grâce à une implication sans faille de la communauté algérienne en France, l’Algérie a pu récupérer un manuscrit islamique datant du XVIIe siècle. Ce document très précieux est un vestige de l’Algérie d’avant l’invasion française. Un symbole majeur pour l’histoire des Algériens.
Ce manuscrit a été saisi par les autorités coloniales françaises en 1842. La substitution de ce document a eu lieu après une attaque de l’armée française dans les montagnes de l’Ouarsenis dirigée contre l’Émir Abdelkader. Le manuscrit en question a justement appartenu au héros algérien. En langue arabe, ce document avait été produit au Caire, par Al-Hadi Abu Srour Ibn Abd al-Rahman al-Abbadi al-Shafi’i.
Le document en question était jusqu’en 2023, entre les mains de la France et devait être mis aux enchères par la maison Ruellan Auction.
Ce trésor historique de l’Algérie aurait pu être acheté par n’importe quel acheteur privé et disparaître de la circulation. L’annonce de cette vente a été interceptée par des membres de la diaspora algérienne qui ont voulu empêcher la perte de ce document.
Plusieurs Algériens de France ont contacté les autorités algériennes en Algérie et en France comme le consulat algérien de Nantes pour mettre la main sur ce manuscrit.
En parallèle, ils ont lancé une cagnotte en ligne en appelant aux dons pour racheter le manuscrit lors de la vente aux enchères. Finalement la France a annulé la vente prévue et a restitué le manuscrit à l’Algérie. Une initiative félicitée le 5 avril dernier par le ministère algérien des Affaires étrangères.
Sans mobilisation spontanée de la diaspora algérienne, l’Algérie n’aurait même pas eu connaissance d’un tel trésor de l’histoire.
Renouer avec la grande Histoire de l’Algérie à travers les arts
La grande Histoire de l’Algérie est si peu transmise aux générations d’immigrés et d’enfants d’immigrés, que le désir de renouer avec ce passé est très présent.
L’engouement récent pour le film historique “La Dernière reine” réalisé par Adila Bendimerad et son époux franco-algérien Damien Ounouri, est la preuve d’un désir de la diaspora d’entendre parler de ce passé, de manière documentaire comme fictionnel. Il y a un désir puissant de savoir quel pays était l’Algérie avant la conquête coloniale, avant l’indépendance.
Tous les moyens permettant de comprendre et de saisir le patrimoine algérien sont extrêmement bien accueillis. Les arts sont un moyen d’y accéder à grande échelle. Il n’y a pas seulement le 7e art qui se présente comme un médium idéal pour comprendre et acquérir une forme de compréhension de l’Algérie à travers les temps.
La littérature est également à l’ouvrage. Des écrivaines et écrivains de la diaspora algérienne parviennent même plus facilement à publier leur regard sur l’histoire de l’Algérie depuis l’étranger. Des auteurs comme Yasmina Khadra, Kaouther Adimi, Kamel Daoud livrent des parcelles d’Algérie à travers leurs fictions. Et la liste est non-exhaustive.
Récemment, la romancière Alice Zeniter a mis en scène avec la Comédie de Valence une pièce conversationnelle intitulée “Je ne connais pas mes ancêtres”.
Présentée en juin, cette pièce repose sur la lecture des grandes auteures algériennes dont le talent est resté caché à l’étranger. Ce sont Alice Zeniter et l’écrivaine algérienne Faïza Guène qui partageront des lectures d’auteures comme Maïssa Bey, Assia Djebar, Tassadit Imache.
“Cette lecture musicale est l’occasion de briser pour un soir les silences, grands ou petits, et de redessiner une lignée d’écritures algériennes : Djebbar, Sebbar, Bey, Imache, d’autres encore”, explique Alice Zeniter dans la présentation de “Je ne connais pas mes ancêtres”.
“C’est un arbre généalogique qui pousse au son du oud de Fayçal Salhi et qui étend ses branches de la guerre d’indépendance jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à nous et nos désirs d’héritage”, complète l’auteure française d’origine algérienne.
Une décolonisation culturelle sous différentes formes
Les fameux désirs d’héritage sont également motivés par la volonté de faire grandir la fierté d’être algérien. Elle semble passer par une réappropriation de la culture et de l’histoire algériennes mais aussi par la sublimation d’un patrimoine trop normalisé, du moins du quotidien mais qui n’est pas valorisé.
Et ce patrimoine est large. Il ne se niche pas seulement dans les purs faits historiques. Les arts, l’artisanat, les modes de consommation, le langage…Tout est patrimoine. De l’image célèbre publicitaire de la bouteille selecto de Hamoud Boualem, aux archives précoloniales en passant par les grands héros et héroïnes de l’histoire algérienne.
Les Algériens semblent vouloir emprunter le même chemin que les créateurs, entrepreneurs et artistes originaires d’Afrique subsaharienne qui se sont créés une place majeure sur la scène culturelle internationale en détournant leur culture et leur histoire. Soit le meilleur moyen de transmettre leur ADN aux générations suivantes.
Côté algérien, l’organisation est pour le moment assez anarchique et spontanée. Mais naturellement une impulsion dans la promotion de la culture algérienne s’est mise en place. On observe régulièrement la naissance d’initiatives indépendantes, surtout en France.
De nombreux binationaux font de la promotion informelle du patrimoine algérien, sans forcément en faire un commerce d’exportation.
À l’instar d’Amel qui lors d’un voyage à Alger a découvert des sacs en toile made in Algérie, née d’une collaboration entre l’artiste El Moustach et la marque Bodo.
“J’en suis devenue folle. J’ai adoré le décalage entre modernité et tradition adopté par la marque. Les femmes en hayek en train de faire du skateboard ou de jouer au foot dessinées sur ces sacs avaient selon moi une symbolique fascinante”, raconte Amel.
“Pour moi ce simple objet racontait l’Algérie d’aujourd’hui. Un pays fier de ses racines, coloré, puissant et surtout très drôle avec beaucoup d’auto-dérision ! À l’époque, j’avais dévalisé la boutique à Alger pour offrir ces sacs à mes amies et mes sœurs. Le tote bag a eu tellement de succès à Paris, que je me suis mise à en ramener à toute personne qui me le commandait. Il y a une vague d’El Moustach dans la capitale française !”, se souvient Amel.
Le simple désir d’Amel a finalement permis d’exporter du savoir-faire algérien, de dévoiler une entreprise locale et un artiste en vogue. Elle a même créé une tendance algérienne dans la capitale de la mode sans aucune préparation.
Les illustrations de ces sacs résument des pratiques et des traditions algériennes qui ont traversé le temps tout en s’incorporant dans les tendances actuelles.
La recette magique. “Pour une fois j’avoue que j’étais fière de présenter un objet de chez nous. Je l’ai souvent fait avec de la cuisine algérienne ou des bijoux, certaines robes lors de mariages. Mais j’ai toujours envié mes amies marocaines et tunisiennes qui ramenaient de beaux objets plus modernes, des œuvres artistiques, de leur pays comme de la décoration, des collections de vêtements, etc”, explique Amel.
Samia, en revanche, désire de plus en plus créer un commerce stable qui valorise la culture algérienne. Cette Franco-Algérienne qui travaille dans le milieu de la communication et du marketing au sein d’un grand groupe de cosmétiques a un projet concret en tête.
Elle va très régulièrement en Algérie, dans l’ouest du pays, où sa famille prend ses racines. Mais elle a récemment découvert le Sahara algérien, et ses merveilles artisanales.
“Depuis c’est une obsession, je rêve de promouvoir tapis et vaisselle en terre cuite. Les bijoux aussi sont fascinants. Je prévois de prendre six mois sabbatiques pour explorer le pays et construire un réseau d’artisans afin de les aider à vendre leurs créations en dehors de l’Algérie”, explique la future entrepreneure.
“Je le vis comme une mission de vie, au-delà de l’opportunité professionnelle. Ce serait mon héritage pour mes enfants et la reprise du flambeau transmis par ma famille. Je leur dois ça”, confie encore Samia.