Au moment où les Algériens attendaient une annonce de la présidence de la République concernant les revendications qu’ils scandent dans la rue depuis plus d’un mois, une dépêche de la très officielle APS annonce du nouveau : le DG de l’ENTV Tewfik Khelladi est limogé et remplacé par Lotfi Cheriet, jusque-là directeur de l’information de l’ex-Unique.
Opérer un changement à la tête de ce symbole du système aurait pu être perçu comme un geste de bonne volonté et un signe allant dans le sens des changements réclamés par la rue. Sauf que l’identité du nouveau titulaire du poste pose problème. Lotfi Chriet est en effet considéré comme un proche, un fidèle parmi les fidèles du cercle présidentiel.
Son CV ne laisse aucun doute sur les motivations de la promotion dont il vient d’obtenir. En 2014, il a fait partie du staff de la chaîne El Wiam TV, créée pour promouvoir le quatrième mandat, et il allait récidiver cette année avec Istimraria TV, un projet tombé à l’eau pour les raisons que l’on sait. Il était aussi dans le staff de campagne du président et membre de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel. Parallèlement, il a occupé le poste névralgique de directeur de l’information du média le plus lourd du pays.
Depuis le début de la contestation populaire, des journalistes du secteur public, dont ceux de l’ENTV, sont montés au créneau pour dénoncer la censure qu’ils subissent, notamment l’interdiction qui leur est faite de couvrir les marches contre le cinquième mandat de Bouteflika.
Le 27 février, soit dans la semaine qui a suivi la première grande marche de 22 février, les journalistes de la télévision publique ont tenu un rassemblement devant le siège de l’entreprise. Dans une lettre adressée à leur direction, ils avaient fait savoir qu’ils refusaient d’être utilisés comme « un outil pour dissimuler ou tronquer l’information ».
Depuis, les marches ont droit de cité aux journaux télévisés, mais avec des lignes rouges jamais franchies et suivant une ligne tracée en haut lieu, à savoir que les citoyens sortent pour réclamer des réformes et du changement et rien d’autre. Qu’est-il reproché à Tewfik Khelladi dans la gestion de cette période cruciale ? S’est-il montré moins ferme aux yeux de ses supérieurs ou, plus grave, est-il soupçonné de déloyauté dans ces moments où les retournements de veste sont légion ?
Tewfik Khelladi n’était pas connu pour avoir milité un jour pour lever la chape de plomb sur la télévision nationale ni pour avoir remis en cause le mode de fonctionnement de l’entreprise qu’il a dirigée pendant sept ans. Avant d’atterrir à la télévision en 2012, il avait servi avec la même discipline à l’agence de presse officielle, à la direction de la communication de la présidence, puis à la radio nationale.
Son remplacement à ce moment précis, de surcroît par un fidèle du cercle présidentiel, appelle des interrogations sur son attitude et surtout sur les intentions des tenants du pouvoir. Bouteflika envisage-t-il réellement de partir à l’issue de l’expiration de son mandat comme l’exige la rue ? Si là est son intention, pourquoi changer le directeur de l’ENTV à un mois de son départ ? Ou alors son cercle proche cherche-t-il à peser sur la période de transition à venir. Quelles que soient les motivations du limogeage de Khelladi et de la nomination de Chriet, le pouvoir fait encore une fois fausse route. À l’ère des réseaux sociaux, la télévision publique n’a plus le poids qu’elle avait il y a vingt ans. En plus donc de constituer un coup d’épée dans l’eau, la décision risque d’être perçue par la rue comme un signe supplémentaire que le système est imperméable aux réformes et reste prisonnier de ses vieux réflexes.