Difficile de ne pas voir dans les derniers changements au sein de la haute hiérarchie de l’ANP les signes d’une redistribution de cartes en cours, en lien ou pas avec les prochaines échéances politiques.
On se serait bien contenté de l’explication officielle répercutée par la revue El Djeich, l’organe central de l’armée, et réitérée par le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, qui veut que ces changements soient l’expression d’une «tradition ancrée d’alternance» aux postes de responsabilité sur la base des seuls critères du mérite et de la compétence.
Cela, si d’autres événements n’étaient pas venus, pour ne pas dire tordre le coup à cette version, du moins ouvrir la voie au doute et nourrir les conjectures.
Pourquoi en effet lancer la machine judiciaire à l’encontre d’officiers supérieurs mis à la retraite dans le cadre d’une procédure présentée comme routinière ?
Certes, aucune source officielle n’a confirmé les informations faisant état de perquisition des domiciles des généraux-majors récemment limogés et de l’interdiction qui leur serait faite de quitter le territoire national, mais personne ne les a démenties non plus. Qui ne dit mot consent, le silence des autorités équivaut donc à une confirmation tacite.
Cinq généraux-majors qui font l’objet d’une ISTN sur ordre d’un juge militaire qui les soupçonne d’enrichissement illicite, cela ressemble bien à une opération « mains propres », selon les médias.
A y voir de près, c’est tout le commandement de l’armée nationale qui est touché, même si tous les remplacés n’ont pas fait l’objet de poursuites, du moins jusque-là.
Limoger simultanément presque tous les chefs de région, les commandants des armées de terre et de l’air, les patrons de la police et de la gendarmerie ainsi que plusieurs directeurs centraux du MDN et de l’ANP est assurément une très lourde décision qui ne peut être prise qu’en très haut lieu, après mûre réflexion et concertation entre les centres névralgiques de la décision, la présidence de la République et l’état-major de l’armée en l’occurrence.
La thèse de l’alternance est difficilement soutenable, tout comme celle du rajeunissement, au vu du nombre de septuagénaires qui figurent parmi les nouveaux promus.
Pas facile aussi de parler de coup de pied dans la fourmilière donné conséquemment à l’affaire El Bouchi, qui, aussi long soit son bras, ne peut entraîner dans sa chute tout le commandement d’une grande armée (la 23e au monde, selon un dernier classement).
Sans doute qu’il y a « opération mains propres », mais à quoi obéit-elle et pourquoi maintenant et à cette échelle, sachant que certains officiers relevés de leurs fonctions étaient en poste depuis plus de dix ans ?
Faut-il faire le parallèle avec les cas de Lamari et Toufik ?
Trop de non-dits et d’incohérences entourent cette vague sans précédent de limogeages au sein de l’armée pour ne pas la lier avec la conjoncture politique et les échéances qui pointent à l’horizon.
Une lecture plus « politique » des événements s’impose, d’autant plus que l’histoire récente du pays nous a appris qu’à chaque fois que la grande muette subit un profond remaniement ou même un léger lifting, c’est presque toujours subséquemment à un bouleversement acté ou à venir des rapports de forces au sein du sérail.
Sous la présidence de Abdelaziz Bouteflika, l’ANP a connu deux limogeages retentissants avant ceux survenus cet été. Le premier, c’est celui de l’ex chef d’état-major Mohamed Lamari, vraisemblablement poussé à la démission en 2004, soit au lendemain d’une élection présidentielle au cours de laquelle il aurait adoubé le candidat Ali Benflis.
En 2015, c’est le puissant chef du DRS, Mohamed Mediene dit Toufik, qui est mis à la retraite avec plusieurs officiers supérieurs, entraînant une profonde restructuration des services de renseignement.
Là aussi, on présentait le général déchu comme un opposant farouche au quatrième mandat et même comme un adepte de l’application de l’article 88 de la constitution prévoyant la vacance du pouvoir.
Faut-il pour autant déduire que ce sont les généraux qui ne verraient pas d’un bon œil un mandat supplémentaire pour l’actuel chef de l’Etat qui ont été mis à la porte ? On peut bien prendre un tel raccourci même si, hélas, rien ne permet de faire le parallèle entre ce qui se passe ces jours-ci et les précédents de 2004 et 2015, et nul ne peut affirmer que le cinquième mandat dont on parle tant est réellement au centre de tiraillements, surtout que les partis proches du pouvoir, véritables porte-voix des différents centres de décision, affichent une unanimité sans faille sur la question.
N’empêche que la simultanéité des limogeages, le poids des officiers touchés et surtout les conséquences judiciaires qui s’en sont suivies, en attendant peut-être d’autres développements, sont autant de signes qui ne trompent pas : les lignes sont en train de bouger. Au profit de qui ? Du chef d’état-major de l’armée ? Du président Bouteflika qui s’ouvre ainsi la voie pour une présidence à vie ?
Bouteflika gagnant dans tous les cas de figure ?
On a un temps évoqué la volonté d’Ahmed Gaïd Salah de renforcer sa position dans l’optique d’avoir à gérer une éventuelle transition, en éloignant les chefs de la police et de certaines régions militaires avec lesquels on le disait en froid, mais voilà, la vague a fini par emporter même les officiers supposés être parmi ses plus fidèles.
Pour voir plus clair, il faudra sans doute attendre la suite des événements, c’est-à-dire le sort qui sera réservé à celui qui dirige l’armée depuis maintenant près de 15 ans.
Quant au président de la République, qu’il ait l’intention de continuer ou pas, donc pour son mandat supplémentaire à venir ou pour la postérité, il est certain qu’il tirera seul les dividendes d’une opération « mains propres » d’une telle envergure, en ce sens que c’est sous sa présidence que s’abat –pour la première fois faut-il le souligner- la main lourde de l’Etat sur de gros poissons au lieu du menu fretin habituel. Mais encore une fois, il serait plus sage d’attendre la suite du feuilleton…