Est-ce l’automne des généraux ? Depuis quelques jours des informations circulent sur l’ouverture d’enquête sur plusieurs officiers supérieurs de l’armée après leur mise à la retraite ou leur limogeage.
Des informations rapportées par des canaux non officiels. Ni la présidence de la République ni le ministère de la Défense nationale n’ont confirmé ce que des médias ont rapporté ces derniers jours. Et aucun démenti n’est venu de ces deux institutions.
Ennahar TV et El Watan ont rapporté que cinq généraux ont été privés de leurs passeports depuis le samedi 15 septembre 2018 sur décision du tribunal militaire de Blida. Il s’agit des généraux Habib Chentouf, Saïd Bey, Abderrezak Chérif, ex-commandants de la 1ère, 2e et 4e régions militaires. Sont concernés aussi, le général major Boudjema Boudouaour, ex-directeur des Finances et des transactions au ministère de la Défense nationale (MDN) et le général major Menad Nouba, ex-commandant de la Gendarmerie nationale.
Ce mardi 18 septembre, El Watan a rapporté que des perquisitions ont été effectuées dans les domiciles de cinq généraux et que des ISTN (Interdiction de sortie du territoire national) leurs ont été signifiées. D’après le journal, la présidence de la République aurait demandé une enquête sur « l’enrichissement suspect » de certains officiers supérieurs de l’armée.
Changements au sein de la direction centrale du MDN
Le site Alg24 -propriété du groupe Ennahar- a évoqué « les biens mal acquis », « les fortunes personnelles » et la création de plusieurs sociétés « au nom des enfants » de ces généraux. Le premier responsable de la police des frontières à l’aéroport d’Alger a été démis de ses fonctions pour avoir « laissé passer » le général major Saïd Bey, parti à l’étranger pour des soins, avant de revenir. Et le général Bouchentouf Remil, chef de la Caisse nationale des assurances sociales de l’armée, a été également relevé de ses fonctions (radié des rangs de l’ANP, selon El Watan) pour savoir, semble-t-il, remis le document permettant la prise en charge médicale du général-major Saïd Bey en France.
Comment expliquer cette soudaine accélération des événements ? L’ouverture d’enquêtes judiciaires visant cinq généraux a été précédée et suivie par une série de décisions touchant d’autres hauts gradés. Le général major Ahcène Tafer, commandant des forces terrestres, est admis à retraite. Idem pour Abdelkader Lounes, commandant des forces aériennes, qui est resté à ce poste pendant treize ans.
Les directions centrales, les plus sensibles, sont également touchées par les changements. Le nouveau secrétaire général du MDN, le général-major Abdelhamid Ghriss, a été installé dans ses fonctions lundi 17 septembre, par le général de corps d’armées Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP. Abdelhamid Ghriss succède au général major Mohamed Zenakhri, en poste depuis 2011 (il avait remplacé le général-major Ahmed Senhadji). Gaid Salah a souhaité « une heureuse vie familiale » pour Zenakhri et demande » à Ghriss à d’exploiter d’une manière « optimale et rationnelle » les ressources de l’armée.
>> VIDÉO : Tout savoir sur la purge au sein de l’Armée
Un mouvement inédit
Le général-major Ali Akroum a été nommé chef du département logistique et organisation du MDN et le général-major Mohamed Tiboudlat désigné à la tête de la direction de matériel au MDN.
Ces changements n’ont pas touché le commandant de la 5e région militaire, le général major Ammar Athamnia, et le commandant des forces navales, le général-major Mohamed Larbi Haouli, les deux officiers ont été nommés en 2015.
Depuis son arrivée au pouvoir en 1999, le président Abdelaziz Bouteflika, chef suprême des forces armées, n’a jamais procédé à un mouvement d’une telle ampleur au sein de l’armée. En 2004, le départ du chef d’état-major de l’armée, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, opposé au 2e mandat pour le président Bouteflika, n’avait pas donné lieu à ce qui pouvait ressembler à une purge.
La mise à la retraite du général de corps d’armée Mohamed Mediène, chef du DRS, en 2015, n’a pas été également suivie d’un grand chamboulement au sein de l’armée, du moins au niveau des régions militaires. À l’époque, on avait parlé de réforme des structures de sécurité et mis en avant l’idée de « l’État civil ».
Le général Athmane Tartag, nommé à la tête de la Direction des services de sécurité (DSS), qui a remplacé le DRS, avait commencé à paraître en public, contrairement à Mohamed Mediène. Mais, depuis sa nomination en 2015, le général Tartag garde l’habitude de la discrétion, héritée de l’époque de l’ex-Sécurité militaire.
Les récentes décisions de Bouteflika concernant les chefs de l’armée épargnent les services de renseignements. Cependant, l’architecture du MDN est en grande partie refaite ou aménagée.
Départ de « généraux politiques » ?
Les généraux-majors, les généraux ou colonels, qui étaient déjà là à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999, sont presque tous partis à l’exception d’Ahmed Gaid Salah, Said Chengriha (Forces terrestres) et Ali Ben Ali (Garde Républicaine). Est-ce la fin de l’époque des « généraux politiques » qui ont notamment « géré » l’époque des violences des années 1990 ? Faut-il inscrire dans ce registre « l’alternance dans les fonctions » évoquée, ce septembre 2018, par la revue El Djeich ?
Cette hypothèse parait peu probable. Sinon comment comprendre que la fin de fonction ou l’admission à la retraire de certains généraux sont suivies par l’ouverture d’enquêtes judiciaires pour « enrichissement suspect » ? Cet enrichissement n’était pas visible lorsqu’ils étaient en poste ? On n’est plus dans « l’alternance », mais dans une mise à l’écart qui prend la forme d’une nouvelle « opération mains propres » qui, à la fin des années 1990, avait surtout touché les cadres des entreprises publiques économiques.
Le général Ahmed Gaid Salah, qui n’a pas cessé de se déplacer dans les régions militaires durant l’été, a parlé de « modernisation » de l’armée, défendu le principe du « mérite professionnel » et répété qu’il appliquait à la lettre les instructions du président de la République. Est-il favorable aux récentes décisions qui ont également concerné des officiers considérés comme proches de lui et de sa vision militaire et opérationnelle ?
Questionnements et craintes
La règle veut qu’un officier ne conteste pas les ordres de ses supérieurs (le général Abdelghani Hamel en a fait les frais l’été dernier en parlant de l’enquête sur l’affaire Kamel El Bouchi), mais l’opinion publique est en droit d’exiger des explications sur ce qui se passe au sein de l’armée.
Le mouvement de changement de poste, de fonctions et de mise à la retraite a pris un caractère massif, ce qui provoque naturellement des questionnements, mais également des craintes. Les médias étrangers s’intéressent aussi à ces changements surtout que l’armée algérienne est souvent présentée comme puissante dans la région arabe et que l’Algérie est évoquée comme « plus gros acheteur d’armes en Afrique ».
L’approche de l’élection présidentielle avec un possible 5e mandat pour Bouteflika peut-elle tout expliquer ? Difficile d’avoir une réponse précise dans le flou général qui entoure la sphère politique et militaire en Algérie. Pour l’instant du moins.
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