Cheb Azzeddine, chanteur atypique du Rai, s’est éteint, ce mercredi 6 février, à l’hôpital des Sœurs Bedj, à Chlef, suite à un AVC, à l’âge de 44 ans.
Abed Benaouda, de son vrai nom, qui est natif d’El Firma, et qui a habité le quartier Chega, dans l’ex-El Asnam, entre 1979 à 2002, parcourait, depuis la fin des années 1990, les chemins de traverse sans se soucier d’un certain « snobisme » des Raimen des grandes villes.
Les puristes de ce genre musical le voyaient d’en haut et les « stars » des scènes lumières le dédaignait. « Vous dites de moi que je suis un aroubi », chantait-il souvent presque avec douleur en se désignant : ” hadhak Azzeddine hadhak ».
Mais, il a su s’imposer par sa manière, un peu désinvolte, de chanter, par sa voix chaude, authentiquement roots, et ses paroles tantôt incisives tantôt câlines.
Il aurait pu avoir une carrière de footballeur après avoir évolué dans une équipe locale de Chlef. « Ach dani lel ghorba (pourquoi suis-je parti à l’étranger) fut l’un des plus grands succès de Cheb Azzedine en 2002, suivi de « Ach jabek andi Kheira » (pourquoi es-tu venue Kheira), en développant la même mélodie et le même rythme.
Dans cette chanson, Cheb Azzedine évoquait la difficulté des jeunes hommes à se marier, faute de moyens matériels. D’où le refrain : « Sawrda ma hadrouch » (il n’y pas d’argent). « Ya loumima », en 2010, rencontre également une grande audience auprès d’un public, happé par le style d’Azzeddine. Autant que « bkit m’a bslama » (j’ai dit au revoir à ma mère). « Je vais continuer à chanter pour ma mère jusqu’à ma mort », disait-il souvent.
Le chanteur pleure à chaque fois qu’il évoque sa défunte mère, ne retenant pas ses larmes lorsqu’il chante. Son allure, quelque peu dure, tranche avec son cœur tendre. Dans son quartier, l’homme est connu par être « l’ami des pauvres ». « Là où je pars, les portes sont fermées. Il faut arracher au couteau son morceau de pain. Repousse-toi, tu es pauvre. Mais que se passe-t-il ? », s’interrogeait-il dans une chanson.
« Chouf el hogra chouf »
En 2005, dans « Chouf el hogra chouf », il s’élevait contre l’injustice à Chlef et s’en prenait à la gestion des responsables locaux dont le wali et le procureur de la République de l’époque.
Cette chanson, interdite d’antenne, a valu à Cheb Azzeddine la prison, sans une autre forme de procès, pour « outrage à corps constitués ». « Regarde Bouteflika ce qui se passe. Ils nous mettent les menottes, nous privent de nos enfants, nous prennent nos biens, les magistrats sont contre nous, la loi reste indifférente(…) Il y a un magistrat qui signe sans voir, regardez le trafic comme il l’est », dénonçait-il dans cette chanson qui n’a pas plu à l’establishment local.
Un interprète du Rai qui bascule dans le protest-song et qui se révolte contre la hogra, ça ne pouvait pas passer. Cela risquait de faire tache d’huile dans le Rai, un style musical toujours en parallèle avec la politique. D’où la détention de Cheb Azzeddine qui curieusement n’avait pas fait réagir les artistes à l’époque. Ses fans, ses amis, ses voisins l’avaient soutenu, contre vents et marrées. Il était très populaire dans son nouveau quartier d’adoption à Zeboudj où il occupait un modeste appartement avec sa famille.
Dix ans plus tard, Cheb Azzedine s’en prenait à l’hypocrisie sociale après avoir interprété « Darouli Tiha » (ils m’ont fait tomber). « Ils ont fait remplir la rue avec les tenues bleues. L’un a parlé de vol et l’autre a dit qu’ils ont trouvé chez lui un quintal (de drogue). Regardez la méchanceté, ils m’ont fait tomber en ramenant le fourgon devant la maison. Que veulent-ils ? », s’est-il demandé.
Il voulait exprimer son rejet de l’attitude de personnes qui passent leurs temps à épier leurs voisins et à juger leurs actes. Cheb Azzeddine, qui n’aimait pas le rai javelisé, a connu d’autres succès tels que « Mazal nebghik mazal » (je t’aime encore), « Dat el mal » et « Winek ha Souad ».
« Il faut être franc dans la vie »
Après une période de flottement, entre 2015 et 2018, Cheb Azzeddine, qui évite les plateaux des télés et des radios, est revenu en force, l’été 2018, avec « Ya Nassira kteltini » (tu m’as tuée Nassira), une chanson d’amour populaire et légère. « J’aime travailler dans les règles. Quand je prépare une chanson, je le fais correctement, sinon, je ne le fais pas. Je ne chante pas pour chanter. Je pèse bien ce que j’interprète (…) La franchise est un signe de virilité. Il faut être franc dans la vie », a-t-il confié dans une rare interview, accordée à El Djazairia, dans l’émission « Hadi Hayati ».
La première version de cette émission, diffusée par Echourouk TV en 2014 et animait par Toufik Fodil, consacrait la première apparition de Cheb Azzeddine à la télévision. L’artiste se plaignait devant la caméra des éditeurs musicaux qui ne payaient pas les interprètes, des « lois compliquées » liées aux droits d’auteurs et du piratage des œuvres.
Dans son dernier album, Cheb Azzeddine, qui s’appuyait sur le parolier Sidi Ali Belkhiati et l’arrangeur Ziane Hadj Ben Rzik (Zino), a introduit des senteurs maghrébines dans ses chansons, dans un souci d’ouverture et d’élargissement de l’auditoire.
Marié à 18 ans, Cheb Azzeddine, était père de six enfants dont Amira, la benjamine, la plus proche de lui, et Djamel, l’aîné, un coiffeur de métier. L’artiste n’avait pas de permis de conduire ! « Je n’aime pas conduire », lâchait-il à ses amis souvent.