Jamais dans son histoire l’ANP n’a connu une telle vague de changements au plus haut niveau de sa hiérarchie. Cinq chefs de région sur six viennent d’être remplacés, en plus des patrons de la sécurité de l’armée et des forces terrestres.
La valse avait commencé en juin dernier avec le limogeage des chefs de la police et de la gendarmerie avant de concerner d’autres hauts gradés de l’administration centrale de l’armée.
Le point commun de tous les officiers relevés de leurs fonctions ou mutés, c’est leurs galons. Ils ont presque tous le même grade, celui de général-major, soit le deuxième le plus élevé de la hiérarchie de l’armée algérienne, le premier étant celui de général de corps d’armée, détenu par un cercle restreint d’officiers, dont deux en fonction (Ahmed Gaïd-Salah, chef d’état-major, et Benali Benali commandant de la Garde Républicaine) et deux à la retraite (Mohamed Mediene, ex-chef du DRS, et Ahmed Bousteila, ex-commandant de la Gendarmerie nationale).
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En attendant les suites de ce « feuilleton » que l’on promet « fracassantes », c’est déjà plus d’une dizaine de généraux-majors, occupant tous des postes clés dans la hiérarchie militaire et sécuritaire, à avoir fait l’objet d’un limogeage, d’une mise à la retraite ou d’une mutation.
Dans le haut commandement de l’ANP, seuls l’état-major, la Ve région et les forces navales et aériennes n’ont pas (encore ?) changé de tête, étant donné que la Garde républicaine et le DRS furent les premiers à être touchés par la vague de changements respectivement en 2015 et 2016 avec le limogeage du général Ahmed Moulay Meliani suite à l’affaire des coups de feu tirés près de la résidence de Zéralda et la mise à la retraite du général Toufik et de nombreux hauts officiers du renseignement à l’issue du long feuilleton que l’on connaît.
Un mouvement vaste et inattendu qui ne manque pas de susciter des interrogations. A quoi obéissent tous ces changements brusques et à qui profitent-ils en termes d’évolution des rapports de force ? Pourquoi maintenant et à cette échelle ? Jusqu’où ira le président Bouteflika et quel crédit accorder aux informations annonçant d’autres limogeages dans les jours à venir ?
Si rien ne permet en l’état actuel des choses d’avancer la moindre réponse à ces questionnements, il est cependant certain que les changements opérés n’ont rien d’un coup de pied dans la fourmilière donné par les plus hautes autorités du pays suite au scandale de la cocaïne d’Oran, comme l’avait laissé croire un moment le limogeage des chefs de la police et de la gendarmerie. Aussi sensationnelle soit-elle par la quantité de drogue dure saisie, l’affaire El Bouchi reste une simple affaire délictuelle de droit commun qui ne peut avoir d’aussi lourdes conséquences, jusqu’à emporter tout l’encadrement d’une grande armée, la 25e au monde selon différents classements concordants.
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L’évocation du rang qu’occupe l’ANP parmi les armées du monde nous amène aussi à penser que les responsables remplacés ne l’ont pas été pour l’inefficience de leur action. Si l’armée nationale a réalisé de tels « bonds qualitatifs », pour reprendre les propos que ressasse son chef à chacune de ses nombreuses sorties sur le terrain, c’est d’abord grâce aux efforts de son encadrement.
Volonté alors de donner un coup de jeune à la haute hiérarchie ? Pas sûr, ne serait-ce que pour le nombre de septuagénaires qui figurent parmi les nouveaux promus. La période à laquelle ces changements interviennent, en dehors des périodes traditionnelles des promotions (le 5 juillet et le 1ernovembre) affaiblit également cette lecture.
Restent donc les supputations sur d’éventuelles arrière-pensées politiques à quelques mois de l’élection présidentielle de 2019 et les spéculations sur un prétendu changement des rapports de force en faveur de telle partie ou telle autre en prévision de la même échéance. Là aussi, le manque de visibilité est total et les changements de cette semaine n’ont fait qu’ajouter du flou à la situation en touchant des fidèles du chef d’état-major qu’on disait pourtant premier bénéficiaire des remplacements effectués jusque-là.
A défaut de percer le mystère de ce vaste mouvement dans l’appareil sécuritaire et militaire, on ne peut ne pas relever le fait que la quasi-totalité des régions militaires a changé de chef d’un coup. Une première depuis l’indépendance qui ne peut s’expliquer par des considérations techniques ou opérationnelles au vu de l’importance de ce « cercle fermé » dans le fonctionnement de l’ANP et même dans la configuration politique du pays.
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De tout temps, un rôle de premier ordre fut prêté aux chefs de régions dans les grandes décisions engageant l’avenir de la nation. Ce sont eux, à en croire les témoignages concordants d’acteurs de l’époque, qui avaient porté le plus haut gradé d’entre eux, Chadli Bendjedid, à la magistrature suprême à l’issue de leur conclave à l’école d’ingénieurs de Bordj El Bahri, début 1979.
Outre Chadli, la corporation des chefs de régions a donné un autre président à l’Algérie, Liamine Zeroual, qui a dirigé successivement les 6e, 3e et 5e régions entre 1982 et 1987. Aussi, les chefs d’état-major de l’ANP et les commandants des différentes armes ont quasiment tous armées au moins une région militaire à un moment donné de leur carrière. Ce fut notamment le cas pour Gaïd Salah (2e et 3e régions) et son prédécesseur Mohamed Lamari (5e région).
A tort ou à raison, la légende a fini par attribuer à ces officiers rompus aux épreuves du terrain des pouvoirs illimités et la réputation de « faiseurs de rois ». Une réputation à laquelle le président Bouteflika vient peut-être de tordre le coup définitivement, moins de trois ans après avoir brisé le mythe de la toute-puissance de l’ex-chef du DRS.
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