Deuxième partie – Pour lire la première partie de la chronique, cliquez ici.
Duel Boumediène vs Brejnev à l’ombre de Bouteflika
« L’acolyte » de Chadli, Taleb Brahimi est pourfendu avec une rare vigueur. Mais avant de parler du fils, Belaid crucifie, verbe impropre pour un cheikh, on le sait bien, le père Cheikh Brahimi.
Extraits : « Il semblait avoir accueilli le 1er novembre « comme l’annonce d’une catastrophe. », « Durant notre guerre de libération nationale, le Cheikh Brahimi se tint complètement à l’écart de la lutte du peuple algérien sous l’égide du FLN. », « Tout au long de notre guerre de libération nationale, on ne trouve aucune trace d’article de presse, d’aucune déclaration, d’aucune démarche du Cheikh Brahimi en soutien à la lutte du peuple algérien et de l’action du FLN. Il ne retrouvera son souffle et sa plume qu’en 1964, après l’indépendance, pour publier une déclaration prenant à partie l’orientation sociale de la politique de Ben Bella et pour appeler à la défense de l’Islam, à la veille du IIe congrès du FLN. »
A l’exception de quelques Cheikhs (Belkacem El Baidhaoui, Abderrahmane Belagoune, Larbi Tebessi…), l’association des Oulemas trinque : « On peut même dire, en s’en tenant à l’article de presse, par lequel le Cheikh Ben Badis avait répondu à l’article non moins célèbre de Ferhat Abbas sur l’inexistence de la nation algérienne, que le fait de ses contenter d’enseigner la langue arabe et de prodiguer une éducation purement religieuse dans des medersas libres, en invitant les algériens à ne pas s’engager dans les formes révolutionnaires de la lutte libératrice, s’inscrit dans la logique d’une acceptation du fait accompli de la domination coloniale, ainsi que le dit explicitement Ibn Badis qui vient d’être cité. »
Relativement épargné ici par rapport à son successeur Brahimi, Ben Badis a eu aussi son « heure de gloire » dans le livre-entretien de Belaid Abdesslam avec Mahfoud Bennoune et Ali Kenz, « Le hasard et l’histoire », ENAG 1990, ENAG 2007). Pour démontrer la tiédeur bienveillante des Oulémas vis-à-vis de l’occupation, Belaid relate l’épisode entre Ibn Badis et Daladier, chef du gouvernement français.
Le premier revendiquant l’intégration de l’Algérie à la France et l’accès des Algériens à la pleine citoyenneté « s’entendit répondre par Daladier que, dans le cas où les promoteurs de pareilles revendications s’aviseraient de déclencher une action d’agitation à l’appui de leur programme, la France était assez forte pour les faire plier et les ramener à la raison, c’est-à-dire à la soumission totale à l’ordre colonial. Benbadis rétorqua alors aux menaces du président du Conseil français qu’il s’en remettait à une force plus grande, celle de Dieu. » Une force de prières, de méditation et d’acceptation du destin en somme.
Quant à AhmedTaleb, il l’accuse d’avoir voulu falsifier l’histoire de la révolution en faisant la promotion de l’association des Oulamas : « Ainsi, pendant que d’’autres travaillaient à l’édification du pays comme ils consacraient hier leur ardeur à sa libération, Ahmed Taleb se servait principalement des postes qu’il occupait pour tenter de refaire une virginité politique au mouvement des Oulamas en vue de réaliser ce que son père a manqué : faire des Oulamas les dirigeants du peuple Algérien. En plus de ce qui tend à la promotion de sa propre personne, il s’est attaché à truffer les services de l’Etat qu’il avait eus sous sa direction d’éléments issus des Oulamas et lui portant une dévotion personnelle. »
Le livre fourmille de noms connus qu’il étrille, arguments à l’appui (Abdelhamid Brahimi, entre autres et de moins connus comme un certain Salah Lakoues, Chawki Mostefai…)
Le fier Boumediène face à « l’ogre » Brejnev
Le seul qui échappe vraiment à ses flèches empoisonnées est le président Boumediène. Après l’avoir défendu bec et ongles, il cite une anecdote qu’on pourrait assimiler, par sa résonnance, aux syllabes esthétique du chant classique.
A Moscou,en décembre 1965 un tête à tête entre Boumediene et Brejnev prit les allures d’un réquisitoire du soviétique contre la prise de pouvoir du 19 juin 1965 : « Une fois que le secrétaire du Parti communiste de l’Union Soviétique eût terminé de réciter la litanie de ces reproches à l’encontre du pouvoir issu du 19 juin, Boumediène s’adressa à Brejnev en ces termes : Camarade brejnev, les personnes que vous venez de citer sont des sovietiques ou des Algériens ? » Brejnev lui avait répondu spontanément : « Evidemment ce sont des Algériens. » et à Boumediène de lui rétorquer sur le champ : « puisque se sont des Algériens de quel droit vous vous permettez de vous ingérer dans nos affaires intérieures ! « A l’énoncé de cette réponse de Boumediène, ce dernier vit Brejnev replier les feuiller de son dossier-en un geste brusque- lever la séance et s’en aller renforgné vers la sortie de son bureau. Selon ce que j’ai entendu, ce serait à la faveur d’une suspension de l’entrevue Brejnev-Boumediène que ce dernier ayant avisé son jeune ministre des affaires étrangères de l’épreuve morale à laquelle le soumettait son interlocuteur soviétique que Bouteflika aurait suggéré à Boumediène la réplique qu’il devait opposer au secrétaire du Comité central du PCUS à la fin de leur entretien. Cette répartie qui traduit l’influence de l’un sur l’autre fait partie des valeurs dont l’Algérien aime se targuer : fierté, orgueil et redjla.
En tout les cas, cette déclaration d’indépendance eut le mérite de faire revenir les soviétiques à de meilleurs sentiments vis-à-vis des Algériens. L’atmosphère se dégela et un déjeuner chaleureux fut offert , le lendemain, à notre délégation.
Du lard ou du cochon ?
Dans ce livre qui ne s’embarrasse guère de fioritures, ni de précautions d’usage, ni même de soucis stylistiques, le fond fait oublier la forme tantôt administrative tantôt à l’emporte-pièce, tantôt offensante pour certains, une question se pose : est-ce vrai tout ce qui est raconté ? Du lard ou du cochon ? Tout ce qu’on pourrait dire c’est qu’il y a une cohérence entre ce titre et tous les autres. Pas de contradiction : les mêmes analyses, les mêmes arguments, les mêmes saillies, les mêmes détestations.
Au-delà de tout ce qu’on pourrait dire sur ses excès, sa subjectivité, le mérite de l’auteur est de faire fi de la langue de bois, comme on en trouve dans certains mémoires d’hommes politiques. Belaid assume, s’assume, dit sa part de vérité même si elle dérange. Aux autres de dire leur part, et c’est tant mieux si elle dérangera les esprits douillets. On ne peut pas écrire l’histoire de notre pays sans casser des œufs.
*Belaid Abdessleam « Chroniques et réflexions inédites sur des thèmes sur un passé pas très lointain », édition Dar Khettab, 2017. Prix non communiqué.