Le jour même où les analystes prédisaient un lundi noir sur les marchés pétroliers au lendemain des annonces saoudiennes sur la production et les prix, se tenait à Alger une réunion ordinaire du Conseil des ministres sous la présidence du chef de l’État Abdelmadjid Tebboune.
Deux jours auparavant, vendredi 6 mars, le Brent plongeait déjà de 9% après l’annonce de l’échec du sommet de l’Opep+.
S’agissant là d’une ressource qui fait vivre le pays, lui assurant la quasi-totalité de ses rentrées en devises et à peu près de la moitié de sa fiscalité, il aurait été dans l’ordre des choses que le choc, car c’en est un, soit au moins abordé et discuté, pour ne pas espérer de premières mesures improvisées.
Mais le traditionnel long communiqué qui a sanctionné la réunion du président avec ses ministres n’en a pas fait allusion, bien que, semble-t-il au vu de la teneur du texte, le conseil a été presque entièrement consacré aux questions énergétiques. Distribution d’électricité, transport de gaz par canalisations, transition énergétique, stockage des carburants, éclairage rural… La chute des prix du brut, entamée il y a quelques semaines, est passée dans la case du non-événement.
Le gouvernement préfère se projeter sur le long terme, prévoyant « d’intensifier les efforts de recherche et d’exploration y compris dans le nord du pays et en offshore, d’évaluer les gisements existants et de renforcer les capacités de production », reconnaissant presque qu’il n’y a pas d’autre alternative « pour assurer les ressources financières nécessaires au financement de l’économie nationale et du développement social ».
C’est en effet tout le projet du nouveau pouvoir de relancer l’économie et d’améliorer le pouvoir d’achat et les conditions de vie de la population qui s’en trouve contrarié. En presque vingt ans de pétrole cher (avec un pic de près de 150 dollars en 2008), le pays n’a pas appris à vivre d’autre chose, n’a pas créé un tissu industriel compétitif et n’a pas développé des secteurs aux forts avantages comparatifs, comme la pétrochimie, l’agriculture et le tourisme.
Il n’est certes pas trop tard pour le faire, mais les effets d’un éventuel essor de l’un de ses secteurs ne se feront pas ressentir avant plusieurs années. Or, la crise frappe à la porte avec l’échéance de l’érosion totale de réserves de change qui se rapproche inexorablement avec cette chute brutale des cours de pétrole.
Un pays otage de la rente pétrolière
Comment fera le gouvernement pour financer les projets en cours, tenir les engagements électoraux du président Tebboune, maintenir le train de vie de l’État, calmer le front social, financer les importations dans deux ans, voire dans une année ? Il dispose certes d’une petite marge de manœuvre tant que le matelas de réserves n’est pas totalement épuisé, mais ne pas prendre des mesures immédiates c’est laisser l’échéance se rapprocher dangereusement et c’est pour cela qu’il est étonnant que le Conseil des ministres de ce dimanche a fait comme si le pays ne venait pas de perdre d’un coup près de la moitié de ses ressources.
On ne peut aussi ne pas souligner ce contraste : au moment où l’Arabie Saoudite et la Russie affûtaient leurs armes, les dirigeants algériens faisaient la fête du 8 mars, avec des cérémonies d’un autre âge.
Néanmoins, une telle attitude attentiste n’a rien d’une nouveauté. Elle rappelle la réaction tardive des autorités à chute des prix il y a six ans. Alors que la courbe baissière avait été entamée en juin 2014, ce n’est qu’en décembre que le gouvernement, alors dirigé par Abdelmalek Sellal, avait livré les premières directives d’austérité aux membres de l’exécutif et aux différents démembrements de l’État.
Si une telle temporisation était compréhensible en 2014 du fait que les réserves de change culminaient à 200 milliards de dollars et couvraient plus de cinq ans d’importations, elle ne peut l’être aujourd’hui avec des réserves à peine suffisantes pour un an et demi d’importations, sans perspective de renflouer les caisses à court et même à moyen termes au vu des données actuelles du marché pétrolier. Une baisse à 20 dollars le baril et même sérieusement envisagée par une banque d’affaires américaine.
Le cap mis par les autorités actuelles sur l’augmentation de la production d’hydrocarbures à travers l’intensification de l’exploration, l’exploitation de l’offshore et peut-être du gaz de schiste, rappelle aussi qu’il demeure toujours difficile aux dirigeants algériens de concevoir une économie basée sur autre chose que la rente. En 2015, le même Sellal proposait déjà le gaz de schiste comme alternative à l’épuisement des réserves de pétrole conventionnel…
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