Le gouvernement Bedoui serait-il en train de céder à un réflexe d’affolement ? Ce qui est présenté comme un tour de vis sur les importations est en train de prendre des proportions inquiétantes pour de nombreux opérateurs économiques.
Après les annonces de la fin de la semaine dernière sur le coup d’arrêt imposé aux importations de kits destinés aux usines de montage des véhicules de tourisme, ce sont de nouveaux secteurs de l’économie qui semblent désormais ciblés.
Selon nos sources, de nombreux containers destinés aux usines de montage de véhicules utilitaires seraient actuellement bloqués dans les ports algériens, en raison du refus du gouvernement de renouveler l’agrément des opérateurs ayant importé ces kits. Ces derniers ont payé leurs commandes et règlent des surestaries du fait de l’immobilisation de leurs marchandises dans les ports.
Ce secteur d’activité n’avait pourtant pas été évoqué explicitement par le Conseil du gouvernement du 8 mai dernier parmi les cibles des « mesures urgentes » appelées à être mises en œuvre dans la période actuelle.
Cette mesure peut néanmoins trouver une explication si on se réfère aux dernières statistiques du commerce extérieur. Voici quelques semaines, les chiffres communiqués par les douanes algériennes évoquaient en effet une véritable explosion des importations de kits destinés aux usines de montage de véhicules utilitaires au titre du premier trimestre de l’année en cours. Selon les douanes, ce type d’importation était tout simplement en hausse de plus de 110% sur les trois premiers mois de l’année. La facture a grimpé à 227 millions de dollars au premier trimestre 2019, contre 106 millions de dollars à la même période de 2018, soit une hausse de 121 millions de dollars.
Toutes les industries de montage bientôt concernées
Le gouvernement n’a, semble-t-il, pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin et on s’attend très prochainement à des annonces concernant l’ensemble des industries de montage. La démarche adoptée par le gouvernement Bedoui ne concerne en effet pas seulement la filière automobile. Les « importantes décisions qui ont été prises » le 8 mai dernier portent également sur la réduction de la facture annuelle d’importation concernent les kits destinés à la fabrication des produits électroménagers, électroniques et des téléphones mobiles.
Ce sont donc des dizaines d’entreprises employant des dizaines de milliers de personnes qui retiennent leur souffle en attendant les mesures qui doivent être élaborées en quelques jours par le gouvernement. Elles pourraient se traduire par la définition de quotas d’importations à l’image de ce qui a déjà été décidé pour le montage automobile.
L’agenda économique du gouvernement Bedoui semble ainsi se confondre de plus en plus avec « les mesures à prendre pour réduire le déficit de la balance des paiements et la préservation des réserves de change » qui ont fait très significativement l’objet d’un exposé de Mohamed Loukal lors du dernier conseil du gouvernement.
La détermination de l’équipe gouvernementale actuelle sur ce chapitre semble assez bien traduite par les déclarations du ministre du Commerce, Saïd Djellab, qui évoquait voici quelques jours la nécessité « d’aller coûte que coûte vers une diminution sensible des importations de kits SKD/CKD dans l’attente d’autres mesures».
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L’économie algérienne dans le brouillard
Le gouvernement Bedoui réagit-il ainsi à des informations alarmantes sur la situation économique de notre pays ? Si l’émergence d’une forte contrainte financière était annoncée et prévisible de longue date, on ne s’attendait pas à une réaction aussi précipitée et surtout pas de la part d’un gouvernement chargé uniquement d’« expédier les affaires courantes ».
Beaucoup d’observateurs et opérateurs économiques s’inquiètent aujourd’hui du sceau de l’urgence et du caractère improvisé qui semble marquer les mesures annoncées par l’actuelle équipe gouvernementale.
Ces inquiétudes sont renforcées par le brouillard dans lequel baigne la situation financière de l’économie algérienne depuis près de six mois. Avant de quitter ses anciennes fonctions de Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal n’avait pas donné le feu vert pour la publication du dernier rapport de conjoncture sur la situation économique et financière du pays à fin 2018. Son successeur qui affiche un profil très discret ne semble pas non plus décidé à faire preuve de beaucoup de transparence et d’initiative dans un contexte agité.
Vers des réserves de change proches de 70 milliards de dollars à fin juin
Selon nos sources, le rapport de la Banque d’Algérie sur la situation financière de notre pays à fin 2018 a été finalisé depuis plusieurs semaines. Il indique dans ses grandes lignes que le déficit de la balance des paiements a atteint l’année dernière un niveau proche de 16 milliards de dollars. En conséquence, à fin décembre 2018, les réserves de change nationales étaient légèrement supérieures à 79 milliards de dollars (contre 96 milliards à fin 2017). En un an, la baisse des réserves de change aura été de plus de 17 milliards de dollars en ajoutant au déficit un effet de valorisation négatif des réserves dû à l’appréciation du dollar par rapport à l’euro.
Ces informations qui n’ont pas encore été confirmées officiellement suggèrent, compte tenu du déficit commercial enregistré au premier trimestre et des chiffres habituels du déficit des services, que les réserves de change ont poursuivi leur chute à 75 milliards de dollars à fin mars et devraient se rapprocher de la barre des 70 milliards de dollars dès la fin du premier semestre 2019.
Quels montants pour les économies prévisibles ?
Ce sont ces perspectives immédiates, sans doute soulignées par Mohamed Loukal dans son exposé au gouvernement, qui ont poussé l’équipe Bedoui à adopter dans la précipitation des mesures d’économie d’urgence qui se résument à un tour de vis imposé aux importations des activités de montage.
Au premier rang d’entre elles figurent donc les importations destinées aux usines de montage de véhicules tous types confondus qui étaient globalement en augmentation d’un peu plus de 24% au premier trimestre 2019 portées par l’explosion du montage de véhicules utilitaires et une facture qui avait déjà atteint 920 millions de dollars à fin mars.
Dans le collimateur de l’équipe Bedoui figure également la « fabrication des produits électroménagers, électroniques et des téléphones mobiles » que les douanes algériennes classent parmi les importations de « biens de consommations non alimentaires ». Elles enregistraient une hausse modérée de 4,5% à fin mars mais pour une facture globale qui avait déjà dépassé 1,5 milliard de dollars en trois mois.
Le premier semestre touchant à sa fin, l’effet des mesures annoncées ou en voie d’élaboration par le gouvernement sera enregistré au cours de la deuxième partie de l’année. On peut sans doute estimer leur impact probable, compte tenu du manque de précision des informations actuellement disponibles, dans une fourchette très large comprise entre 1 et 2 milliards de dollars.
L’impact de ces décisions se mesurera également en réduction d’activité, fermetures au moins provisoire d’usines et mise en chômage technique du personnel qui pourrait toucher des milliers de travailleurs en donnant ainsi un contenu concret à l’expression « coûte que coûte » utilisée par Saïd Djellab, à propos de la démarche actuelle du gouvernement Bedoui.
Ce coup de sabre dans les importations risque malheureusement de rester sans effet sur la chute des réserves de change qui devrait se poursuivre inexorablement avec en perspective très probable la barre des 60 milliards de dollars, soit l’équivalent d’une année d’importations de biens et de services, à fin 2019.