Toujours pas de gros poisson dans les filets des limiers qui enquêtent sur l’affaire des 701 kilogrammes de cocaïne saisis au Port d’Oran, mais ceux qui ont été arrêtés, présentés devant la justice et écroués jusque-là ne rentrent pas non plus dans la case du menu fretin.
Des magistrats de siège ou de parquet et des enfants de hauts responsables, dont le fils d’un ancien Premier ministre, fut-il éphémère, ne peuvent être considérés comme tel.
Enquête et auditions suivent leur cours et d’autres surprises ne sont pas à écarter dans les jours qui viennent, promet-on au gré des « fuites », sciemment provoquées ou pas, et à travers lesquelles on sait déjà un bon bout de cette scabreuse affaire, même si les contours de son schéma ne se dessinent toujours pas avec clarté.
Cela dit, il est regrettable de constater que la communication autour d’un tel scandale, extrêmement sensible et qui tient en haleine la société entière, soit confinée à des « fuites », facilement assimilables à des rumeurs.
Le respect du secret de l’instruction est un principe sacro-saint de l’enquête judiciaire, mais le législateur qui a rédigé le code de procédure pénale a aussi prévu le cadre légal via lequel doit transiter l’information dans les affaires à forte résonnance médiatique, le parquet dans ce cas de figure.
Or, depuis le 29 mai, date de la découverte de la cargaison, la communication officielle autour de l’affaire se limite à un laconique communiqué du ministère de la Défense nationale annonçant la quantité saisie et un autre de la DGSN, le 22 juin, dénonçant, justement la fuite ou la rumeur, c’est selon, qui donne un employé du parc de la police nationale impliqué dans l’affaire, comme le chauffeur personnel du premier responsable de l’institution.
Même lorsque des médias avaient fait état de la « disparition » d’une bonne partie de la drogue saisie (44 kilogrammes), ni les autorités judiciaires ni l’administration n’ont jugé utile d’éclairer la lanterne de l’opinion en confirmant ou en infirmant l’information, se contentant d’interpeller brutalement les journalistes auteurs de l’article et leur lanceur d’alerte.
Cette propension à communiquer par des moyens détournés n’est pas sans créer un climat vaporeux propice à toutes les interprétations, parfois désastreuses.
La seule évocation de la possibilité de l’implication du chauffeur personnel du chef de la police nationale dans un réseau de trafic de drogue aux ramifications internationales, fait l’effet d’une bombe, donne froid dans le dos. Entre le chauffeur personnel et son employé il y a une telle proximité que dans pareille situation, les raccourcis sont vite faits. Dans le meilleur des cas, c’est l’institution qui en prend un sérieux coup en ce sens qu’un tel comportement n’aurait jamais dû passer sous le nez des fameux renseignements généraux de la DGSN.
Abdelghani Hamel s’est vu obligé de réagir en catastrophe pour rétablir les choses à leur endroit : il ne s’agit pas de son chauffeur personnel, mais d’un simple employé du parc automobile de la police. Une précision de taille qui change tout mais qui ne répond pas aux interrogations qu’une telle « révélation » soulève légitimement. En quoi un simple chauffeur du parc de la DGSN peut-il être utile à Kamel El Bouchi, un homme au bras long à en croire les mêmes fuites ?
Les magistrats en charge de l’enquête ont au moins un début de réponse à certaines de ces questions, mais, hélas, le parquet préfère, pour des raisons qui lui sont propres, ne pas communiquer sur la question, alors que la loi l’y autorise, pour ne pas dire l’y oblige.
La nature ayant horreur du vide, les fuites et les rumeurs ont pris logiquement le relais. Sans doute qu’on assistera dans les prochains jours, si la justice maintient la même démarche, à d’autres révélations et inévitablement à d’autres interprétations et supputations qui ne feront qu’ajouter du flou à la situation.
L’opinion nationale ne manquera pas de se demander, à juste titre, qui a voulu impliquer, même indirectement, le chef de la police et dans quel but. Elle s’interrogera s’il n’y a pas des velléités de règlement de comptes politiques en prévision des prochaines échéances ou encore si nous ne sommes pas en train de revivre le scénario des révélations fracassantes du fameux été 1998, avec juste un changement au casting.
Au-delà de cette défaillance de la communication officielle autour de cette affaire, il est aussi curieux de constater que l’enquête semble se focaliser, du moins à en croire les mêmes informations fuitées, sur l’empire immobilier du principal suspect et les passe-droits et complicités dont il aurait bénéficié dans les rangs de la justice et de l’administration locale pour faire ses acquisitions, reléguant au second plan l’essentiel, à savoir l’affaire de trafic de drogue proprement dite, soit les ramifications du réseau, ses membres, ses méthodes et surtout la destination de la cocaïne saisie.
Là aussi il est légitime de se demander pourquoi tout cela est occulté pour mettre l’accent sur des pratiques qui tombent certes sous le coup de la loi, mais malheureusement largement répandues, pour ne pas dire banalisées.
Ce n’est en effet un secret pour personne que l’immobilier est devenu depuis quelques années le réceptacle du produit du secteur informel et de toutes les activités délictuelles, de la contrebande au trafic de drogue, en passant par la corruption et autres fléaux.
Ceux qui ont choisi de donner une telle tournure à l’enquête ne savent sans doute pas qu’ils sont en fait en train de faire le procès du « système ». Un système où des sommes colossales sont brassées en dehors de tout cadre légal et blanchies au grand jour dans l’acquisition de tours et autres ensembles immobiliers dans les quartiers les plus huppés de la capitale, où aucun responsable, quel que soit son rang, ne peut prétendre n’avoir rien vu. Au fait, il y a combien de Kamel El Bouchi à Alger, quand bien même ils ne seraient pas des trafiquants de drogue ?
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