Économie

Collecte de blé en Algérie : « Pas d’État dans un État »

Lors d’une récente intervention publique, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural a raconté une incroyable histoire liée à la collecte de blé dans une coopérative céréalière.

Abdelhafid Henni a dénoncé le comportement du directeur de cette CCLS, sans le nommer. Il a dit son incompréhension sur le fait qu’il ait refusé de réceptionner la récolte d’un agriculteur au motif que le rendement était de 45 quintaux par hectare.

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La CCLS, « un État dans l’État ? »

Le ministre a dressé un véritable réquisitoire contre ce directeur de Coopérative des céréales et de légumes secs (CCLS).

Une attitude qui selon lui contrevenait aux orientations de la politique céréalière qui vise à encourager les agriculteurs à produire plus afin de réduire le niveau des importations.

En plus d’avoir constitué un stock stratégique de céréales correspondant à plus de 8 mois de consommation, les pouvoirs publics algériens accélèrent leurs efforts vers plus d’autosuffisance.

Abdelhafid Henni a qualifié l’attitude de ce gestionnaire d’irresponsable se demandant s’il voulait créer « un État dans l’État ».

Origine du blé, de nombreuses possibilités de vérification

Les possibilités des CCLS de débusquer les fraudes sur l’origine du blé sont multiples. Il est possible de vérifier sur le terrain les surfaces de l’exploitation et les restes de résidus de cultures au sol tels que les chaumes. Un niveau de rendement de 45 quintaux suppose l’emploi de semences certifiées, engrais et désherbants ce qui suppose des factures.

Au niveau de la CCLS, il est possible d’analyser les échantillons des grains apportés par l’agriculteur. Les grains importés sont en général exempts d’impuretés telles que le brin de paille, les graines de mauvaises herbes, voire les gravillons.

Enfin, une analyse au niveau du laboratoire régional du Centre national de contrôle et de certification (CNCC) peut permettre des analyses poussées : type de protéines et signature génétique de l’ADN.

160 minoteries qui vendent du blé aux éleveurs

La profession est sujette à des scandales financiers. En février 2020, Hocine Metidji, PDG des moulins éponyme, et son fils avaient été placés en détention provisoire.

Ce dirigeant figurant parmi les principaux clients de l’OAIC fut poursuivi pour plusieurs chefs d’inculpation, dont « trafic d’influence sur des agents publics dans le but d’obtenir d’indus avantages » et « violation de la réglementation des marchés publics ».

Les dysfonctionnements dans le fonctionnement des moulins ne touchent pas que les plus gros d’entre eux. En avril dernier le chef de l’État déclarait dans un entretien avec la presse : « Nous avons découvert près de 160 minoteries qui ne transforment pas le blé qu’elles prennent mais le vendent directement aux éleveurs ».

Le président Abdelmadjid Tebboune avait alors cité le cas d’une wilaya « approvisionnée à hauteur de 40 quintaux par mois pour chaque citoyen », au moment où « la consommation du citoyen ne dépasse pas dans le meilleur des cas 40 kg ».

Du blé importé revendu aux CCLS

Outre des livraisons de blé panifiable aux éleveurs, la fraude de certaines minoteries consiste à réduire le taux d’extraction de farine et d’accroître la part de son. Une farine dont le prix de vente aux boulangers est encadrée contrairement au son. Celui-ci pouvant être vendu en partie sur le marché libre à des prix prohibitifs.

Enfin, un type de fraude consiste à revendre du blé, acquis auprès de l’OAIC au tarif subventionné, aux CCLS à 2 fois son prix d’acquisition en le faisant passer pour de la production locale ; cela, grâce à la complicité d’un agriculteur.

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À leur décharge, les propriétaires de moulins se plaignent d’un encadrement étroit de leur marge du fait des prix administrés auxquels ils doivent vendre la farine et la semoule aux boulangers et transformateurs.

OAIC, valse des directeurs généraux

La position du directeur de CCLS incriminé pourrait s’expliquer par une suspicion de fraude de la part de l’agriculteur et par la crainte d’être accusé d’y être mêlé.

Ces dernières années, l’OAIC a en effet été touché par une vague de scandales. En novembre 2020, le directeur de l’OAIC, Abderrahmane Bouchahda, a été limogé et une enquête diligentée suite à l’importation d’une cargaison de 30 000 tonnes de blé provenant de Lituanie et impropre à la consommation.

Abderrahmane Bouchahda remplaçait Mohamed Belabdi, lui-même démis de ses fonctions pour des « allégations de corruption » dans le dossier des 45 minoteries fermées pour non-respect de la législation en vigueur, de surfacturation et fausses déclarations.

À ce jour, c’est Nasreddine Messaoudi, le secrétaire général de l’office, qui est en charge des missions du directeur général.

Les dossiers de justice concernent parfois même des magasiniers des CCLS comme à Tiaret en 2008. Un tribunal correctionnel avait alors condamné le magasinier en chef des docks silos pour « détournements ». Un contrôle avait mis en évidence un écart dépassant le seuil toléré en la matière.

« Ne plus avoir peur de la prison d’El Harrach »

Cette méfiance de certains gestionnaires d’entreprises publiques est connue sous l’expression « Takhti rassi » (pas sur ma tête) qui consiste à « ouvrir le parapluie ». Dans le secteur public la situation est telle que, récemment le chef de l’État a demandé aux gestionnaires des entreprises publiques de « ne plus avoir peur d’El Harrach ».

Lors d’une rencontre gouvernement-walis tenue à la mi-août, il a ainsi précisé : « Il y en a qui disent ‘moi je ne fais rien, je ne prends pas de risques. Ceux-là vont partir et moi je me retrouverais à El Harrach’. Qui te demandera des comptes si tu appliques un programme au profit du citoyen ? On te demandera des comptes uniquement si tu mets dans ta poche, ne mélange pas les choses ».

La nécessité de contrôles modernes

Le niveau des subventions accordées à la filière céréales est considérable. En janvier 2022, le prix du blé dur à la production est passé de 4 500 à 6 000 DA le quintal et celui du blé tendre de 3 500 à 5 000 DA le quintal. Le prix subventionné auquel est livré le quintal de blé dur destiné aux transformateurs avoisine les 2 280 DA.

Un tel différentiel de prix, qui existe également dans le cas du blé tendre, aiguise l’appétit de certains propriétaires de moulins.

Face aux risques de fraude, les contrôles actuels restent insuffisants. Certes, ils ont été récemment améliorés avec la création de commissions locales visant à recenser les parcelles des céréaliers. Ce recensement se fait de visu par déplacement sur le terrain. Étant donné les superficies, la tâche est immense.

Contrôles de la surface des parcelles

Le chef de l’État a appelé à renforcer les moyens de contrôle avec notamment l’utilisation des drones en vue d’évaluer avec précision les capacités agricoles. Face à ce défi l’emploi de tablettes de géo-localisation s’avère également intéressant.

Actuellement, les services agricoles à El Oued et dans la Soummam bénéficient du Programme d’appui au secteur de l’agriculture (PASA). Un programme  financé par l’Union européenne (UE).

Dans les pays de l’UE, les subventions ne sont plus liées au quintal de grain produit mais à l’hectare cultivé. Aussi, ces pays ont acquis une expertise certaine en matière de contrôle.

En France, les agents de l’Agence des services et de paiement qui attribue les aides aux agriculteurs disposent de tablettes connectées au GPS qui leur permettent de vérifier la surface réelle des parcelles agricoles. Ces contrôles sont justifiés par le montant atteint par les aides : jusqu’à 250 000 euros pour certaines exploitations du Bassin parisien.

Béjaïa, Tizi Ouzou et Bouira, utilisation de tablettes connectées

Début octobre, le Pôle Soummam du PASA a initié la formation des conseillers des wilayas de Béjaïa, Tizi Ouzou et Bouira à l’utilisation du Système d’information géolocalisé (SIG). Ces derniers ont reçu des tablettes connectées. Selon ses promoteurs, ce système doit permettre « d’améliorer la remontée de données ».

L’imagination des services de contrôles européens est débordante. En Corse, face à la recrudescence des fraudes, les cheptels bovins devraient être équipés à l’avenir d’un nouveau dispositif d’identification : une puce électronique insérée dans une capsule (bolus) et ingérée à l’animal. Le bolus restant bloqué à vie dans la panse de l’animal et donc celui-ci peut être identifié grâce à un simple bâton de lecture.

OAIC, retrouver autonomie et sérénité

En Algérie, l’OAIC a pour mission d’alimenter en pain les consommateurs et cela d’Alger jusqu’à Tamanrasset. À ce titre, plus que jamais, l’OAIC a besoin de plus de sérénité. L’incident rapporté par le ministre pose la question du degré d’autonomie dont doivent jouir les gestionnaires des entreprises publiques.

Pour Lakhdar Rekhroukh, ex-DG de Cosider, président de l’Union nationale des entrepreneurs publics (Unep) et actuellement ministre des Travaux publics, de l’Hydraulique et des Infrastructures de base, si des avancées ont été réalisées dans la dépénalisation de l’acte de gestion « il y a encore à faire, les capitaux marchands sont-ils assimilables à l’argent du Trésor Public ? Tout le débat est là ».

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