Économie

Comment des veaux français finissent dans les assiettes des Algériens

Les dernières pluies au Sahara ont fait reverdir le désert à la grande joie des éleveurs. Des pâturages aujourd’hui verts, mais pour combien de temps ?

Une partie de la viande consommée en Algérie vient d’Espagne, France, Nouvelle Zélande, Brésil, Mali ou Niger. A tel point que des filières d’éleveurs s’organisent à l’étranger pour répondre à l’appétit des consommateurs algériens.

L’imagination des éleveurs et des circuits européens n’a pas de limite, tant pour fournir le marché algérien que ceux des pays du sud de la Méditerranée en déficit structurel concernant la viande rouge.

Une viande dont la production d’un kilogramme nécessite jusqu’à 15.000 litres d’eau utilisés pour irriguer les fourrages et autres concentrés nécessaires aux animaux

En 2015, à l’occasion d’un dossier, l’Institut français de l’élevage indiquait que les importations d’Algérie étaient principalement constituées de carcasses originaires d’Inde (85 %) et du Brésil (15 %) ou d’animaux vivants provenant majoritairement de France et d’Espagne (environ 50.000 têtes au total). Les risques de maladies ont récemment tari l’importation d’animaux vivants, notamment à partir de France.

Une de ces filières d’importation est celle qui a existé à partir de l’Espagne et que met en relief le quotidien français La Montagne à l’occasion du Sommet de l’élevage qui a lieu en ce moment à Clermont-Ferrand (France).

Spécialisation des éleveurs espagnols

C’est David Girardon, un des responsables des achats de bovins du groupe Bigard qui a « mis les pieds dans le plat » à travers ses déclarations. Le groupe Bigard n’a rien à voir avec un certain général français de triste réputation durant la guerre d’Algérie : Marcel Bigeard.

De par ses achats de bœufs, le groupe Bigard est le premier abatteur français. Et sa présence sur cet important salon vise à sécuriser ses achats. Le représentant du groupe l’indique clairement : « Notre présence souligne notre volonté de montrer que l’amont est important. S’il n’y a pas d’animaux, il n’y a pas de Bigard. C’est aussi simple que ça ».

Et c’est en invoquant la nécessité de faire face à la baisse de l’offre française de jeunes bovins à engraisser qu’il a été question des filières d’approvisionnement du marché algérien.

Il s’insurge de la situation qui a prévalu durant de nombreuses années : « Vous avez 900.000 broutards et 400.000 veaux laitiers qui sont valorisés hors de nos frontières. L’idée est d’en prélever une partie pour les finir chez nous. Plutôt que de voir les Espagnols engraisser un veau français et le vendre aux Algériens, nous avons une carte à jouer pour gagner des parts de marché de la Turquie jusqu’au Maroc ».

David Girardon fait ainsi état de la filière espagnole qui, ces dernières années, s’était en partie spécialisée dans l’approvisionnement en viande du marché algérien.

Des coopératives d’éleveurs espagnols s’étaient spécialisées dans l’importation de veaux laitiers de quelques semaines et de broutards de 300 kg pour les confier à leurs éleveurs spécialisés avec comme finalité l’exportation sur pied vers l’Algérie.

De la viande de veaux français engraissés en Espagne avant d’être vendue à l’Algérie

Déjà en 2014, dans la revue française Réussir Bovins Viande, un bon connaisseur du marché algérien témoignait à propos des pratiques des éleveurs espagnols : « Ils achètent des veaux croisés de huit jours dans les pays de l’Est (Roumanie, Autriche, Pologne, Tchéquie) ou en Irlande et en Ecosse, qui arrivent en Espagne à 100 euros pièce. Ils les élèvent jusqu’à 480 kg, puis les expédient vers l’Algérie. »

Quant au spécialiste de l’élevage, Bernard Griffou, il soulignait dans la même revue spécialisée le risque de la « Concurrence des veaux espagnols, polonais, hongrois » pour la filière française.

Il notait pour l’année 2013 la montée en puissance de la filière espagnole ayant « exporté 8 000 à 10 000 bovins (hors reproducteurs) vers l’Algérie ».

Ce succès de la filière espagnole s’expliquait à l’époque par une abondance de pâturages mais également par un savoir-faire d’agriculteurs locaux dans l’élevage de veaux de lait.

Ils s’étaient spécialisés dans ce créneau où toute erreur se traduit par une forte mortalité de veaux âgés d’à peine quelques semaines.

Quant à l’Institut français de l’élevage, la revue Réussir rapportait son analyse : « Le jour où l’Algérie aura intérêt politique à ouvrir ses frontières à des veaux polonais, hongrois ou autres, il y a des chances qu’ils s’implantent, comme ils l’ont fait en Turquie ».

Des contraintes diverses

Il apparaît que les éleveurs européens, qu’ils soient ceux des pays de l’Est ou ceux de la Péninsule ibérique et de France, disposent de conditions climatiques qui favorisent la présence de pâturages naturels et d’importantes productions fourragères.

A cela s’ajoutent un savoir-faire des éleveurs et une demande des consommateurs en boucherie permettant la valorisation des meilleurs morceaux de viande sur une carcasse.

Les dérèglements climatiques actuels viennent perturber cette situation. L’extension constante de la Maladie hémorragique épizootique (MHE) en France s’expliquerait par la hausse des températures qui favoriserait le moucheron piqueur vecteur de cette maladie.

Par ailleurs, face à une sécheresse exceptionnelle et au manque de fourrages, une tendance apparaît en Espagne chez les éleveurs spécialisés dans l’engraissement : l’importation d’animaux français plus lourds.

Ainsi, la durée d’engraissement est réduite et est en adéquation avec leur disponibilité en fourrage.

En ce sens, en Algérie, l’absence d’importations d’animaux de moins de 350 kg permet aux éleveurs des économies de fourrages. Il reste cependant à étudier l’intérêt d’une éventuelle importation de veaux laitiers ce qui équivaut dans un élevage avicole à élever des poussins.

Actuellement la filière algérienne de l’engraissement de bovins doit faire face à l’arrêt des importations d’animaux sur pied suite à l’apparition de la MHE en France, ce qui déstabilise les éleveurs qui se sont spécialisés dans ce créneau.

A côté de la filière bovins viande, la filière ovine en Algérie comprend 18 millions de tête et assure le revenu de nombreuses familles paysannes.

Une filière ovine qui revit avec les pâturages steppiques redevenus verts avec les pluies qui se sont abattues ces derniers jours sur plusieurs régions d’Algérie.

Ces deux filières doivent composer avec celle qui fournit la viande blanche. Entre ces deux filières la concurrence est rude concernant l’utilisation du maïs ; la filière avicole comptant sur le maïs grain quand l’autre compte sur le maïs ensilage en complément des pâturages. Une filière avicole qui offre une viande bien plus accessible aux ménages à faible revenu. 

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