Le gouvernement a décidé successivement de ne pas renouveler les contrats d’assistance technique concernant le métro d’Alger et la gestion de l’approvisionnement en eau dans la capitale.
Ces deux services publics avaient été confiés à deux entreprises françaises, la RATP et le groupe Suez, suivant le modèle de la « gestion déléguée » en vogue depuis plus d’une décennie.
Ces décisions toutes fraîches font directement suite à des orientations présidentielles. On se souvient notamment qu’un Conseil des ministres réuni le 22 mars dernier sous la présidence du président Abdelmadjid Tebboune, avait annoncé une série de mesures, visant à faire face au recul drastique des recettes de l’Algérie à la suite de la chute des prix du pétrole.
L’exécutif algérien semblait avoir décidé de tout faire pour éviter un scénario qui nous rapprocherait rapidement d’une situation d’épuisement de nos réserves qui venaient de passer sous la barre des 60 milliards de dollars.
Le communiqué officiel publié à cette occasion était tout à fait clair. Il prévoyait carrément l’« arrêt de la conclusion des contrats d’études et de services avec les bureaux étrangers, ce qui épargnera à l’Algérie près de sept milliards de dollars/an » (sic). Notons que dans la loi de finances 2020, dont les objectifs paraissaient déjà très ambitieux, la réduction prévue de la facture des services était de seulement 15 %. Il s’agissait désormais tout simplement de la diviser par 3.
Une autre réunion du gouvernement tenue quelques semaines plus tard précisait que « le Premier ministre a mis en avant la volonté du gouvernement de réduire ces charges devenues un lourd fardeau pour le Trésor public en termes de devises, au moment où notre pays regorge de compétences humaines et de potentiel matériel pour s’acquitter de ces services dont la réalisation sera désormais assignée, en premier lieu, aux entreprises nationales publiques et privées ».
Les importations de services, un sujet mal connu.
En Algérie la nature et le montant des importations de services reste un sujet assez mal connu des médias et du grand public dont l’attention s’est surtout portée sur les importations de marchandises à travers notamment les statistiques publiées régulièrement par l’administration des Douanes.
La facture des services est pourtant d’un niveau tout à fait considérable. La Banque d’Algérie (BA), dans son dernier rapport sur les tendances monétaires et financières au second semestre de 2018 rappelait qu’au cours des 9 dernières années, les importations de services ont fluctué entre un plus bas de 10,77 milliards de dollars (2013) et un plus haut de 11,69 milliards (2014) par an.
Elle précisait qu’au cours de l’année 2018 cette facture a atteint un montant total de 11,42 milliards de dollars. Les grands domaines de ce type d’importations ont concerné le transport maritime (2,95 milliards de dollars en 2018), le BTP (2,65 milliards de dollars en 2018) et l’assistance technique (3,22 milliards de dollars en 2018).
Déjà dans la loi de finances 2019
Dans le but de tenter de réduire les importations de services, la loi de Finances 2019 avait déjà imposé des limites aux services confiés par les entreprises algériennes à des opérateurs étrangers, dont les frais de consulting, d’assistance technique, financière ou comptable.
Ces sommes « ne sont admises en déduction du bénéfice imposable » que dans la limite de 20 % des frais généraux de l’entreprise et de 5 % du chiffre d’affaires, ou de 7 % du chiffre d’affaires dans le cas des bureaux d’études et d’ingénieurs-conseils, détaille l’article 2 de cette loi qui exclut toutefois de ces restrictions les frais d’assistance technique et d’études relatives aux installations lourdes (montage d’usines).
C’est la première fois qu’une limitation proportionnelle au chiffre d’affaires est ainsi mise en place, une mesure que le gouvernement justifie par le fait que ces opérations sont utilisées comme des schémas de transfert de devises et ont été dommageables pour le Trésor.
L’assistance technique étrangère sur la sellette
Avec les mesures préconisées par le Conseil des ministres en mars dernier, on devait passer à une limitation de bien plus grande ampleur et dont la faisabilité a d’emblée suscité un très grand scepticisme. Le premier objectif formulé par le gouvernement semblait en effet se focaliser sur les services d’assistance technique étrangère.
Notons tout d’abord que la facture annuelle « des contrats d’études et de services avec les bureaux étrangers » mentionnée par le Conseil des ministres du 22 mars s’élève dans son acception la plus large à environ 3, 5 milliards de dollars et non pas 7 milliards.
Dans ce domaine, les contrats non renouvelés récemment permettront sans doute d’économiser selon nos sources « quelques dizaines de millions de dollars annuellement » pour chacun d’entre eux. On devrait donc rester assez loin du compte et des économies d’un montant considérable attendues par le gouvernement.
Il est surtout important de noter que le principal bénéficiaire de ce type de contrat est en réalité l’entreprise Sonatrach. Dans le secteur des hydrocarbures, les objectifs affichés par le gouvernement seront particulièrement difficiles à atteindre du fait que selon nos sources au sein de la compagnie publique « il n’existe pratiquement aucune offre nationale alternative à celle des grands groupes internationaux spécialisés ».
Surtout cet objectif imposé à Sonatrach, qui se conjugue avec celui de « réduire ses investissements de 14 à 7 milliards de dollars par an », pourrait selon beaucoup de spécialistes se révéler contre-productif.
Il entre en effet assez clairement en contradiction avec les nouvelles missions assignées par le gouvernement au champion national des hydrocarbures.
Un cadre supérieur de Sonatrach s’interroge : « Comment réduire sensiblement la facture des services techniques et maintenir voire développer l’effort de maintenance des gisements et de l’outil de production alors que la production est en déclin régulier depuis plus d’une décennie ? Comment par ailleurs réduire la facture des services alors qu’il est également demandé aujourd’hui à Sonatrach de développer ses investissements dans l’aval pétrolier et la pétrochimie ?
Enfin, comment réduire drastiquement à la fois les investissements et la facture des services alors que pour beaucoup de spécialistes algériens Sonatrach est également appelé à être le principal acteur de la transition énergétique et du développement des énergies renouvelables ? »
Transport maritime : Quand l’Algérie « engraisse » les transporteurs étrangers
Trois milliards de dollars. C’est à peu près le montant de la facture du transport maritime de marchandises que paie l’Algérie annuellement aux transporteurs étrangers qui détiennent plus de 90 % du marché algérien du fret.
Dans ce domaine, le gouvernement a annoncé récemment de nouvelles mesures dont on ne connaît pas encore l’impact réel. Il s’agit selon un communiqué officiel du Conseil des ministres de « l’exploitation des capacités nationales en matière de transport maritime de marchandises, lesquelles ont été renforcées ces dix dernières années par dix nouveaux navires actuellement inexploités (sic), en leur accordant notamment la priorité pour la mise en œuvre de ces opérations d’importation financées par le Trésor public ».
Cette flotte « inexploitée » devrait, selon les instructions du gouvernement, « être mobilisée pour assurer les opérations d’importation, notamment pour ce qui concerne les produits essentiels, à l’image du blé et du lait ».
Un autre aspect des coûts de transport maritime et de l’hémorragie de devises qu’ils provoquent était également mis en évidence récemment par le président de l’Association des agents maritimes algériens (Apama), Abdellah Serai, pour qui, « les coûts portuaires en Algérie sont beaucoup plus élevés que dans le reste des pays de la Méditerranée »
« Une fois tous les documents sont prêts, les marchandises mettent quatre jours pour sortir des ports en Algérie, contre une moyenne de 3 heures dans les pays de l’OCDE et trois jours dans la région Mena. Pour les coûts, ils sont de 400 dollars en Algérie, 250 dollars dans la région Mena et 24 dollars dans l’OCDE. Ce sont des coûts qui doivent nous parler », a développé M. Serai qui a évalué les surcoûts au niveau de la chaîne logistique portuaire à un peu plus d’un milliard de dollars.
Le BTP principale source possible d’économie de devises ?
La facture annuelle des importations de services liés au secteur du bâtiment et des travaux publics se situe au cours des dernières années dans une fourchette comprise entre 2,5 et 3 milliards de dollars. C’est sans doute dans ce domaine que pourraient se situer au cours des prochaines années les principaux gisements d’économie en devise.
La faisabilité d’une telle démarche reste cependant encore à démontrer sur le terrain où les entreprises étrangères, chinoises et turques notamment, se sont taillées la part du lion depuis près de 15 ans.
À cet égard aussi le gouvernement fait preuve de volontarisme. Le Premier ministre a c hargé officiellement « le ministre de l’Habitat d’accorder la priorité aux bureaux d’études nationaux et aux entreprises de réalisation nationales pour assurer le suivi et la réalisation des logements publics, tout en chargeant les autres secteurs d’adopter la même stratégie et de faire confiance aux compétences nationales et, notamment, les entreprises de jeunes ».
Les déclarations en conseil des ministres ne suffiront pas et il faudra s’assurer de l’existence d’une offre nationale qualifiée pour réaliser logements, autoroutes, voies de chemin de fer, barrages et autres grands ouvrages.
Une circonstance devrait cependant favoriser la réalisation d’économies en devises dans ce domaine. Il s’agit de la forte réduction des budgets d’équipement de l’État déjà actée en 2020 et de nouveau prévue par la loi de finances 2021.
Elle est probablement responsable de la majeure partie de la réduction de la facture d’importation de services de l’ordre de 2 milliards de dollars anticipée par différentes sources pour l’année écoulée.