Économie

Comment l’Algérie peut devenir la “pile électrique” de l’Europe

Déclenchée depuis seulement deux mois, la guerre en Ukraine rebat déjà les cartes de la géostratégie politique et économique mondiale, et l’Algérie s’est retrouvée au cœur des enjeux énergétiques des pays de l’Union européenne.

De par sa proximité géographique et son énorme potentiel, l’Algérie est sollicitée pour fournir à l’Europe les quantités de gaz nécessaires pour assurer la sécurité énergétique des pays de l’Union européenne qui ont décidé de se détourner du pétrole et du gaz russes.

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De plus en plus d’experts estiment que les deux parties doivent voir plus loin que la conjoncture et même au-delà de l’énergie. Une opportunité s’offre aux pays de la rive sud de la Méditerranée, l’Algérie en tête, et à l’Europe pour construire un partenariat gagnant-gagnant porté évidemment par la coopération énergétique.

Sur son site internet, la radio et télévision allemande Deutsche Welle (DW) suggère à l’Europe « des décisions opportunes, des engagements sur le long terme et une vision plus large » pour renforcer ses liens avec les pays de la Méditerranée occidentale, dont l’Algérie.

Dans l’immédiat déjà, les pays du sud (Algérie, Égypte et Libye notamment) peuvent fournir des quantités importantes de gaz « si les producteurs exploitent pleinement les infrastructures existantes, comme les terminaux GNL en Algérie et en Égypte, les pipelines en Algérie et en Libye », estime Nadim Abillama, responsable du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), cité par DW.

Le gaz, un levier politique et économique

Comme l’a montré le récent accord entre le groupe algérien Sonatrach et l’italien ENI pour la fourniture de 9 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz par an au détriment de l’Espagne, l’énergie peut s’avérer un levier efficace même sur le plan politique.

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« Il y a une chance raisonnable que les besoins énergétiques de l’Europe donnent à l’Algérie un certain levier pour monter les pays européens les uns contre les autres sur la base de leurs concessions politiques et économiques et de leurs positions sur la question du Sahara occidental, qui s’est récemment ravivée », analyse pour sa part Marco Giuli, chercheur à la Brussels School of Governance.

Pour DW, il reste un aspect indéniable : les pays exportateurs d’hydrocarbures comme l’Algérie peuvent choisir leurs partenaires et offrir du gaz supplémentaire dans le cadre d’une collaboration plus large, qui inclura également des aspects politiques et technologiques.

« Les entreprises espagnoles ne peuvent pas offrir le même niveau de savoir-faire technique dans l’exploration, la construction d’usines de GNL et la pose de pipelines sous-marins que leurs homologues italiens », indique Francis Ghiles, chercheur principal au Centre des affaires internationales de Barcelone et ancien correspond du Financial Times pour l’Afrique du Nord.

La France, le Japon et les États-Unis ont également joué un rôle dans l’industrie pétrolière et gazière du pays et continueront à le faire, mais il y a aussi l’Allemagne, souligne-t-il, qui est un autre acteur clé potentiel.

« Alors que les plaques tectoniques de l’énergie bougent, il pourrait être le bon moment pour l’Allemagne et l’Algérie de relancer les discussions sur le gaz et les énergies renouvelables », suggère-t-il.

Un énorme potentiel

La force de l’Algérie réside dans ses réserves conventionnelles, son potentiel dans le renouvelable et le gaz de schiste. Elle fait partie des 11 premiers pays en termes de réserves prouvées de gaz et se trouve sur la troisième plus grande ressource de gaz de schiste récupérable après la Chine et l’Argentine, rappelle le média international allemand qui indique que les entreprises américaines voient des opportunités dans la coopération sur le gaz de schiste en Algérie, tandis que l’Allemagne envisage des projets dans le renouvelable, y compris pour la production de l’hydrogène vert.

Citant une étude de l’agence allemande de développement (GIZ), DW indique que l’Algérie « peut produire beaucoup d’électricité à partir de l’énergie solaire qui est nécessaire à la production d’hydrogène vert » et est « bien placée pour exploiter son expertise pétrolière et gazière et ses gazoducs, qui pourraient transporter de l’hydrogène après quelques ajustements techniques ».

La future « pile électrique » de l’Europe ?

Dans une contribution parue dans le journal Le Monde, Jean-Louis Guigou, fondateur de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), plaide de son côté pour « une communauté euro-méditerranéenne de l’énergie » et estime que l’Algérie pourrait devenir « la pile électrique de l’Europe ».

Il suggère que la France pourrait jouer avec l’Algérie le même rôle qu’elle a joué avec l’Allemagne dans les années 1950 pour donner naissance à l’UE actuelle. « On ne peut rien faire en Méditerranée sans le retour de la confiance entre la France et l’Algérie », écrit-il.

Pour surmonter leur passé douloureux, la France et l’Allemagne ont créé la Communauté du charbon et de l’acier (CECA) en 1952 et le reste de l’Europe a suivi.

 « L’énergie est un domaine capable de déclencher une intégration régionale de grande ampleur, dans la durée », soutient-il.

L’idée d’une « communauté de l’Énergie entre l’Union européenne et le sud de la Méditerranée » a été évoquée en 2011 déjà par l’Ipemed, mais dix ans après, rien n’a été fait.

« La guerre en Ukraine éclaire aujourd’hui les inconvénients lourds de l’absence d’une stratégie énergétique euro-méditerranéenne », écrit Jean-Louis Guigou qui estime que, en moins de dix ans, la rive sud de la Méditerranée pourrait compenser, avec les hydrocarbures puis le solaire, l’énergie que l’Europe achète à la Russie.

Dans cette perspective, poursuit l’expert, l’Algérie, avec son riche potentiel d’énergies fossiles et solaire, sa position géographique de nœud pour un réseau de gazoducs entre l’Égypte, le Nigeria, le Sénégal, la Mauritanie et l’Europe à travers l’Italie et l’Espagne, peut devenir la « pile électrique » de l’Europe.

Jean-Louis Guigou voit plus loin que l’échange énergies contre céréales et oléagineux, estimant que l’Algérie « peut aussi ouvrir en profondeur le continent africain aux productions européennes grâce au projet de la route transsaharienne ».

Il appelle à initier « ce triple accord euro-méditerranéen sur l’énergie, les productions agricoles et la valorisation de la Transsaharienne »,  mais pour cela, concède-t-il, « les Européens doivent faire aux Africains une offre de partenariat aussi stratégique que les Chinois avec les nouvelles routes de la soie ».

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