Le refoulement des produits agricoles algériens par plusieurs pays étrangers à cause de leurs fortes teneurs en pesticides relance le débat sur l’utilisation de ces produits phytosanitaires dans l’agriculture.
« Les pesticides provoquent des cancers, l’infertilité masculine, des déficiences immunitaires, des troubles endocriniens, liste le Dr Henkouche, médecin à Alger. Classé cancérigène probable pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) des Nations unies, le glyphosate, herbicide le plus vendu au monde, est commercialisé en Algérie ».
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Certaines substances comme les néonicotinoïdes qui sont toxiques même à très faible dose sont aussi commercialisées dans notre pays. L’Algérie peut-elle vraiment se passer des pesticides ?
« Ce sont les fruits à pépins (pommes, poires) qui nécessitent les plus grandes quantités de pesticides à l’hectare. Viennent ensuite les pommes de terre, les fruits à noyau (abricots et cerises notamment). D’autres cultures, comme le blé, consomment moins de pesticides à l’hectare, mais elles occupent de vastes espaces et représentent donc tout de même une part significative des pesticides utilisés en Algérie », explique M. Hassani, ingénieur agronome diplômé de l’Institut national d’agronomie (INA) d’Alger.
En Algérie, les pesticides sont soit importés ou produits localement notamment par Asmidal et d’autres usines privées. La majorité de ces produits est employée dans l’agriculture. Les aspects relatifs à l’homologation, l’importation, la fabrication, la commercialisation et l’utilisation des pesticides sont régis par une loi promulguée en 1987, relative à la protection phytosanitaire.
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« Mais sur le terrain, il n’y a aucun contrôle faute de l’existence de laboratoires. L’épandage anarchique de pesticides est courant sur les champs de produits maraichers telles les pommes de terre ou la tomate, dans le but de détruire les parasites pour la protection des récoltes », atteste M. Hassani.
« L’utilisation intensive de pesticides est décriée car elle génère un grave problème de santé publique et des conséquences environnementales néfastes qui se déclinent par des dégradations dans les sols et une pollution des sources et nappes. Les analyses des résidus de pesticides pour évaluer le degré de contamination des cultures et des cours d’eaux ne sont pas effectuées systématiquement », déplore cet ingénieur agronome.
L’urgence d’instaurer des contrôles
Comment s’y prémunir ? « Il faut renforcer les contrôles à l’importation, de la commercialisation et de l’utilisation des produits phytosanitaires. Il faut également mettre en place un dispositif de contrôle technique obligatoire des pulvérisations d’insecticides. Il faut instaurer une règlementation concernant les teneurs maximales de la concentration de pesticides à ne pas tolérer dans les produits alimentaires et instaurer un système de déclaration obligatoire de tous les cas d’intoxications par les produits chimiques », plaide M. Hassani.
Ce spécialiste souligne aussi « la nécessité de la promulgation d’une loi qui fixera de nouvelles règles de commercialisation et d’utilisation des pesticides et mettre en place des mesures pour encourager l’utilisation des matières les moins nocives en accordant des primes aux agriculteurs qui n’utilisent pas de pesticides de synthèse ».
L’objectif est de muscler le dispositif pour atténuer les risques liés à l’utilisation anarchique de ces produits. « Il faut instaurer la transparence autour de l’autorisation des pesticides et renforcer les procédures d’évaluation des risques concernant la sécurité alimentaire, notamment sur la question de l’autorisation des produits phytosanitaires », poursuit M. Hassani.
« La publication des résultats des études accompagnant les demandes d’homologation des pesticides constitue un strict minimum. Les producteurs de pesticides ne devraient pas être autorisés à contrôler leurs propres produits. Cela devrait être le travail de l’État », estime cet agronome qui souhaite qu’« un comité de déontologie (composé d’experts et de représentants de la société civile) soit mis en place ».
Des initiatives citoyennes
« L’agriculture est fortement dépendante des pesticides. Mais des pistes de changement existent bel et bien. Dans plusieurs pays, les agriculteurs tentent de limiter leurs recours aux pesticides pour produire avec moins de produits chimiques », soutient M. Hassani.
« La reconversion vers une agriculture durable prend entre cinq et dix ans », explique le Pr Semiane, un chercheur algérien établi en Suisse, pays où 6.000 paysans fonctionnent déjà sans pesticides et où 13,5% des terres agricoles utiles sont cultivées selon les prescriptions de l’agriculture biologique ».
« Pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires, il faut instaurer des mesures qui vont du désherbage mécanique à l’aide de machines à l’emploi de pulvérisateurs limitant les émissions de pesticides », préconise le Pr Semiane qui cite une mesure en vigueur dans plusieurs pays : « Supprimer les subventions aux agriculteurs qui utilisent pesticides chimiques sur leurs cultures, à titre prophylactique ».
Dans le monde, le seul pays sur le point de remporter ce pari est le Bhoutan, royaume bouddhiste situé dans l’est de la chaîne de l’Himalaya, dont la production agricole devrait être totalement bio d’ici à 2020.
L’industrie chimique dispose d’un lobby très fort déployé à l’échelle planétaire. La plus part des gouvernements cèdent devant ses pressions. Devant l’inquiétude grandissante quant aux problèmes de santé publique et environnementaux, de plus en plus de voix s’élèvent pour militer en faveur d’une agriculture saine et durable.
Parmi les autres mesures préconisées par le Pr Semiane, figure celle qui consiste à « rendre transparent la procédure d’autorisation de mise sur le marché des pesticides ». Ce scientifique appelle également les autorités à instaurer des analyses toxicologiques systématiques sur les produits alimentaires.
Pour une agriculture durable
« L’Algérie doit mettre en pratique l’Accord de Paris sur le climat qu’elle a ratifié, en renonçant notamment à une agriculture basée essentiellement sur l’utilisation de pesticides », soutient M. Hassani.
« Il faut encourager le bio qui dispose d’une conjoncture économique très favorable, dont ne dispose aucun autre secteur agricole. La demande des consommateurs en produits bio est forte. En Europe, la consommation de produits bio augmente de 10% chaque année. Malheureusement, en Algérie, il n’existe aucune règle pour la production bio », déplore cet agronome.
« En Belgique, en Italie, en République tchèque, en Slovaquie et en Bulgarie, il n’est déjà pas possible de commercialiser des aliments sous label bio s’ils contiennent des résidus de pesticides et de nombreux autres États membres (de l’UE) réfléchissent à la mise en place de telles règles », souligne M. Semiane.
« Beaucoup de consommateurs cherchent en effet à acheter des produits issus de leur région, à avoir plus de contact avec les agriculteurs, plus d’informations sur la façon dont l’aliment a été produit. Une nouvelle prise de conscience «bio» est en train de se développer : des agriculteurs et des consommateurs arrivent à se mettre eux-mêmes d’accord sur les contrôles et la certification et à encourager l’économie locale», explique ce scientifique.
« Produire sans pesticides, c’est possible » affirme le Pr Semiane qui souligne ainsi les bienfaits de l’agriculture bio : préservation de la santé des consommateurs et préservation de l’environnement.