Économie

Comment l’Algérie peut réussir sa transition énergétique

CONTRIBUTION. Six ans avant d’arracher sa souveraineté territoriale, l’indépendance énergétique de l’Algérie fut acquise en 1956, quand le tout premier baril de pétrole jaillit du sous-sol de Hassi Messaoud.

Le pays venait de rejoindre le club très privilégié des pays producteurs et par la suite exportateurs d’hydrocarbures.

Quelques années plus tard, le premier cargo de GNL au monde fut exporté d’Arzew vers la Grande Bretagne, ouvrant ainsi une nouvelle aire de commercialisation transfrontalière du gaz.

Cette indépendance énergétique a largement contribué à forger une politique industrielle ambitieuse, bâtie sur le développement de larges complexes industriels très voraces en énergie et en matières premières.

En parallèle, l’accroissement des capacités de production d’électricité, a accompagné la politique de large pénétration du réseau de distribution électrique visant à satisfaire la demande nationale en volume et en distribution territoriale.

Les décennies qui s’en suivent, témoignent de la course à l’augmentation du taux d’électrification national pour une population en croissance constante (multiplication de la population algérienne par 3.6 depuis 1962 à aujourd’hui).

Si la rente pétrolière a permis à l’économie algérienne post indépendance de maintenir une balance commerciale largement positive, la nature cyclique et hautement volatile des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux a causé de profondes perturbations au financement des différents plans de développements et à l’équilibre budgétaire.

De par sa position géographique, la politique algérienne d’exportation d’hydrocarbure s’est naturellement orientée vers la sécurisation des parts de marché en Europe du sud.

Afin de préserver sa position de fournisseur fiable d’hydrocarbures et plus précisément de gaz naturel, plusieurs gazoducs traversant la Méditerranée ont été construits reliant directement les différents champs gaziers aux marchés sud Européens.

La viabilité de cette stratégie fut soutenue par la croissance durable de la demande Européenne en gaz naturel qui a enregistré une augmentation d’un tiers depuis 1990.

Or, sous la double influence de leurs sociétés civiles exigeant de plus en plus un accès aux sources énergétiques propres ainsi que l’impératif de sécurité énergétique nécessitant un sevrage des importantes importations d’hydrocarbures, de nombreux pays Européens ont formulé des stratégies énergétiques visant à remodeler leur mix énergétique sur le moyen et long terme en favorisant les sources renouvelables et environnementalement moins nocives.

En effet, la prise de conscience sociétale dans de nombreuses économies européennes et occidentales concernant les conséquences directes des changements climatiques a favorisé l’émergence d’une dynamique socio-économique à large échelle visant à booster le développement et l’expansion des énergies renouvelables comme source énergétique fiable et durable.

Cette transformation de la demande vers des énergies de moins en moins carbonisées s’est accompagnée par de rapides développements technologiques et économiques qui ont permis une large expansion des énergies renouvelables ainsi qu’une division des coûts d’installation et d’opération.

En quelques décennies, des forêts d’éoliennes (Danemark ou Allemagne) et des fermes de panneaux solaires (Espagne) ont vu le jour à travers de nombreux pays Européens pour substituer graduellement les volumes de gaz naturel importés de Russie et d’Algérie (exp: plus de 45% de l’électricité consommée en Allemagne provient de sources renouvelables).

La transition énergétique vers des modèles de consommation plus écologiques s’est nettement accélérée en 2015 suite à la signature par 196 parties des accords de Paris ayant pour but de limiter l’effet du réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés Celsius.

Cet engagement politique ambitieux a immédiatement donné naissance à des politiques économiques et énergétiques sérieuses visant à atteindre le niveau zéro d’émission nette en CO2.

Un point de non-retour fut franchi suite au sommet du COP21 tenu à Paris en Décembre 2015 dans la transition énergétique, qui marqua une réelle accélération des économies mondiales dominantes et émergentes vers la substitution des hydrocarbures par des sources d’énergie écologiques.

Réformer la politique énergétique nationale devient alors un impératif de survie pour les économies dépendantes des énergies fossiles comme l’Algérie. Afin de mieux naviguer la complexité de la transition énergétique, un nouveau modèle de gestion, de consommation et d’exportation de nos ressources énergétiques s’impose rapidement.

Un modèle bâti sur une gestion plus rationnelle, prudente et équilibrée du potentiel énergétique national afin de maintenir la sécurité énergétique des générations futures tout en s’adaptant aux transformations des marchés régionaux et mondiaux.

Avant de projeter une stratégie énergétique nationale à moyen et long terme, une analyse rétrospective s’impose afin de tirer les leçons des politiques précédentes et mieux cerner les lacunes.

Car malgré le haut degré d’ensoleillement dont jouit une partie du territoire national, la production d’énergie solaire reste marginale et bien en deçà du potentiel existant.

Une des limitations ayant entravé le développement de l’électricité issue de source solaire en Algérie est l’éloignement géographique entre les zones de production à haut taux d’ensoleillement des agglomérations urbaines ou hubs industriels à forte consommation électrique. A cela s’ajoute l’aspect cyclique ou aléatoire de production de l’énergie solaire.

Un maillon primordial manquait jusqu’à présent à la chaîne logistique énergétique pour équilibrer les disparités temporelles et géographiques d’offre et de demande en énergie électrique solaire à l’échelle inter-régionale voir continentale.

En effet, le transport ou le stockage d’électricité issue de sources renouvelables était un objectif très coûteux et complexe à atteindre; nécessitant de larges investissements en infrastructures de transport ainsi que d’énormes batteries de stockage pour un rendement limité. Ce maillon existe aujourd’hui et il s’appelle l’Hydrogène.

Qu’est-ce que l’hydrogène ?

L’hydrogène est le gaz le plus léger et le plus abondant dans l’atmosphère. Les atomes d’hydrogène se trouvent le plus souvent sous forme moléculaire telle que dans l’eau par exemple.

Sa nature hautement inflammable et facilement ionisable en fait une substance idéale pour alimenter une source de chaleur ou générer un courant électrique, le tout sans émissions de gaz carbonique.

Plusieurs méthodes permettent l’extraction des atomes d’hydrogène des molécules composées où elles existent. La plus courante étant l’électrolyse qui consiste à faire passer un courant électrique dans l’eau pour séparer ses deux atomes constituants : l’oxygène (O2) et l’hydrogène (H2).

En utilisant l’électricité solaire dans le processus d’électrolyse, il devient très facile de produire de l’hydrogène pur à très bas coût et sans émission de CO2. Ce type d’hydrogène est communément appelé dans l’industrie : l’hydrogène vert.

Une fois séparé sous sa forme liquéfiée, l’hydrogène peut aisément être stocké ou acheminé vers les différentes agglomérations ou pôles industriels pour y être consommé en tant que fuel ou bien comme entrant à la génération d’électricité.

D’après le récent rapport de McKenzie et du Hydrogen Council, plus de  300 milliards de dollars d’investissements sont déjà prévus à l’échelle mondiale visant à booster la capacité de production, transport et transformation de l’hydrogène à l’horizon 2030.

Entre 2019 et 2020, les projections de taille de marché de l’hydrogène ont augmenté de 2.3 à 6.7 Million Tonne, ce qui dénote une accélération exponentielle de l’intérêt économique et stratégique des pays producteurs et consommateurs. Une nouvelle industrie vient de naître.

En combinant son énorme potentiel de production d’électricité solaire avec son infrastructure existante de transport gazier, l’Algérie peut se transformer en un géant de production d’hydrogène vert à bas prix.

Le rapport McKinsey estime que l’Algérie pourrait produire et acheminer de l’hydrogène vert aux centres de demande en Europe Centrale (exp : Allemagne) à un coût inférieur à $ 2/kg alors que les projets les plus rentables actuellement dans le monde le produise à un coût oscillant entre $3 et $6 /kg.

Au moment où le mix énergétique des marchés traditionnels de l’Algérie transite vers des sources plus pérennes et moins carbonisées, il est essentiel, voire vital, d’anticiper les conséquences de la transition énergétique pour pallier l’obsolescence inévitable des hydrocarbures.

En imposant les nouvelles taxes carbones aux frontières de l’Europe tout en réduisant les coûts de production de l’hydrogène, le gaz naturel devient de moins en moins compétitif par rapport à l’hydrogène.

Il est certain que dans les années à venir, la carte des acteurs énergétiques et des enjeux stratégiques sera profondément redessinée par la transition énergétique.

Les nouveaux géants de l’énergie émergents de demain sont les investisseurs précurseurs d’aujourd’hui dans le domaine des renouvelables et notamment de l’hydrogène.

Ces nouveaux acteurs énergétiques seront plus soucieux des changements climatiques planétaires et conscients des potentielles retombées économiques à décrocher. L’Algérie n’a d’autres choix que d’intégrer ce nouveau club privilégié, il y va de sa pérennité économique et de sa souveraineté nationale.

* Reda Amrani est diplômé de l’École nationale polytechnique d’Alger en 2003, et il est aussi titulaire d’un diplôme d’études approfondies de l’École Centrale de Paris.

Il a occupé plusieurs postes responsabilités dans de grandes entreprises telles que Schlumberger et Maersk Oil en UK, Canada et au Qatar.  Il est actuellement manager de développement de projets des champs pétroliers à long terme pour le géant pétrolier Shell au Sultanat d’Oman.

Reda Amrani s’intéresse de très près aux questions de politiques énergétiques nationales et internationales et notamment à l’impact des transformations micro et macro-économiques induites par la transition vers des sources d’énergies moins carbonisées.

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