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Comment l’État islamique diffuse sa propagande sur Internet

Comment l’État islamique diffuse sa propagande sur Internet

Dado Ruvic / Reuters
L'étude de Flashpoint révèle l'inventivité des djihadistes et leur grande capacité d'adaptation pour continuer à passer entre les mailles du filet de la modération des contenus.

Des chercheurs de l’expert en cybersécurité Flashpoint ont mené une grande étude de trois ans dans le Deep et le Dark web pour comprendre comment l’Etat islamique diffuse sa propagande sur la Toile, malgré les efforts des grandes plateformes comme Google, Facebook et Twitter pour la supprimer.

Quels sont les outils utilisés par les partisans de l’Etat islamique pour transmettre les documents de propagande sur la Toile, malgré le jeu du chat et de la souris mené par les États et les grandes plateformes du Net comme Google, Facebook ou encore Twitter ? Pour le savoir, un groupe d’analystes de l’entreprise de cybersécurité Flashpoint ont scruté pendant trois ans les deux principaux forums de discussions de l’EI sur le Deep et Dark web, c’est-à-dire l’internet caché, non-référencé par les moteurs de recherche.

L’objectif : découvrir comment, et avec quels outils, les djihadistes partagent des fichiers et des liens de propagande sur le web. Pour cela, les experts de Flashpoint ont particulièrement analysé les liens URL partagés par les membres de deux forums – soit 290.000 liens sur le Forum 1 et 730.000 liens sur le Forum 2 (certains liens étant dupliqués sur les deux forums) – afin de découvrir quelles sont les plateformes d’hébergement de contenus les plus populaires.

Leur étude, publiée ce mercredi 16 mai, révèle l’inventivité des djihadistes et leur grande capacité d’adaptation pour continuer à passer entre les mailles du filet de la modération. Autrement dit, même si les géants du Net et les grands services de messageries et de transferts de documents se montrent de plus en plus réactifs -sous la pression des États- pour identifier ou supprimer la propagande terroriste, l’étude estime que cela ne suffit pas pour affaiblir l’Etat islamique.

Archive.org, pilier de la propagande islamique sur Internet

Force est de constater que les partisans de l’État islamique utilisent un large éventail d’outils et de services pour diffuser leur propagande.

Ainsi, c’est la plateforme Archive.org, beaucoup plus confidentielle que les services populaires comme YouTube et Twitter, qui héberge le plus de contenus extrémistes depuis trois ans. Cette plateforme non-profit, à l’origine un projet d’un chercheur américain en intelligence artificielle du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT), se définit comme « la mémoire du web ». Elle a pour vocation d’archiver tout ce qui se trouve sur le web en effectuant des « photographies » des pages, ce qui permet de consulter les versions antérieures des sites web. Trésor pour les générations futures, Archive.org est une véritable caverne d’Ali Baba où l’on trouve des millions de livres, films, séries TV, logiciels, sites internet et documents.

La validité des preuves issues du site archive.org a même été reconnue par le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Des « captures » ont aussi déjà été utilisées comme preuves devant des tribunaux, à l’image du Tribunal de grande instance de Paris en 2015. Effet pervers et revers de la médaille, Archive.org est aussi « le meilleur moyen pour l’EI d’héberger des contenus sur la durée« , dénonce l’étude de Flashpoint.

Grande capacité d’adaptation des djihadistes

Archive.org n’est pas la seule plateforme non grand-public prisée par les djihadistes pour se partager du contenu de propagande. Dans le Top 10 figurent aussi 4shared (plateforme de partage et de stockage gratuit de fichiers), Sendvid (partage et stockage gratuit de vidéos) ou encore Almlf.com (équivalent en langue arabe, très utilisé à partir de 2017 par les islamistes). Usercloud et Dropbox font aussi partie de la liste. Tous ces services sont les piliers de la circulation des contenus de propagande islamiste dans le monde.

Les grandes plateformes populaires ne sont pas en reste. Même si son utilisation a légèrement décliné entre 2015 et 2017, YouTube (qui appartient à Google) fait toujours parti du Top 5 des outils utilisés, tout comme Google. La messagerie cryptée Telegram est aussi prisée, mais elle est moins puissante que YouTube pour atteindre de nouvelles cibles, un enjeu majeur pour l’Etat islamique.

L’analyse des outils utilisés par les djihadistes montre une grande capacité d’adaptation. Ainsi, les services les plus utilisés en 2015 ne le sont plus forcément trois ans plus tard. Certains tombent en disgrâce, comme Guldfup.com et Dump.to, alors que d’autres comme Dropbox.com et Mail.ru, quasi-délaissés en 2015, sont de plus en plus utilisés pour partager des URL avec les principaux forums de l’EI. « Les tendances révèlent que d’autres sites ou services gagnent les faveurs de ces acteurs pour des périodes intenses mais très courtes« , à l’image du site Almlf.com, très prisé pendant quelques mois en 2017 puis beaucoup moins à la fin de l’année.

Le « cas Twitter », exemple de réussite de modération, gêne les djihadistes

En revanche, Twitter, qui était pourtant l’une des plateformes les plus populaires des djihadistes en 2015, a réussi à sortir du Top 10 en 2017. Le réseau social bénéficie d’une politique de modération très stricte et volontaire, ce qui lui a permis de quasiment chasser les terroristes grâce à ses efforts pour repérer puis supprimer les faux comptes ainsi que les utilisateurs et les messages faisant l’apologie du terrorisme. Le volume des liens de propagande partagés sur Twitter est aujourd’hui très faible.

Dans les forums de l’EI sur le dark net, le « cas Twitter » pose problème. D’après Flashpoint, les djihadistes ont vraiment besoin de la puissance des services populaires comme les réseaux sociaux pour toucher de nouvelles cibles. Flashpoint publie ainsi une conversation, traduite de l’arabe, sur l’un des forums du dark net, datant de janvier 2018:

« L‘une des plus grandes pertes de l’État islamique est la perte de ce que l’on appelait « Wilayat Twitter » [« région administrative Twitter », Ndlr], écrit un membre.

« Les activités de Daesh sur les réseaux sociaux ont diminué », déplore un autre.

« Nous vous appelons jour et nuit à revenir sur Twitter », ajoute l’auteur du premier message.

« Frère, cette tâche est impossible, répond un autre. J’ai moi-même eu plus de 120 comptes fermés sur Twitter. Parfois, trois comptes étaient fermés le même jour. Même si je n’étais pas aussi actif que sur d’autres. Quelle est l’utilité d’un compte fermé une heure après son ouverture ? »

Recherche permanente de nouveaux outils… comme D.Tube

Alors que les djihadistes, les autorités et les plateformes du web jouent au chat et à la souris, les partisans de l’Etat islamique cherchent sans cesse de nouveaux outils à utiliser pour acheminer leur message au plus grand nombre.

Début janvier 2018, les chercheurs de Flashpoint ont ainsi remarqué que des membres faisaient la publicités sur les forums de l’EI de D.Tube, une nouvelle plateforme de streamingvidéo complètement indépendante de YouTube et donc de Google. Sa particularité ? Il s’agit d’une plateforme décentralisée, fonctionnant avec la Blockchain Steem et le réseau de pair-à-pair IPFS. Son credo ? Tous les contenus doivent appartenir à leur créateur, sans passer par un intermédiaire qui centralise les données, ce qui garantit de ne subir aucune censure.

Cerise sur le gâteau, D.Tube permet aux créateurs de contenus de se rémunérer avec des cryptomonnaies, selon un principe de récompense en fonction des vues. »D.Tube ne peut pas censurer les vidéos ni forcer à appliquer des règles. Seuls les utilisateurs le peuvent, grâce au pouvoir de leurs votes positifs et négatifs. C’est un bénéfice clé pour un groupe comme Daesh car cela nous protège de la censure« , explique un membre de l’EI sur un forum. Son seul inconvénient : D.Tube ne dispose pas de la popularité de YouTube…

Pour Ken Wolf, l’étude menée par Flashpoint devrait alerter les Etats et les plateformes du Net sur les efforts qu’il reste à mener.

« Alors que la guerre continue et que l’Etat Islamique subi des pertes territoriales, Internet va certainement se développer encore plus pour diffuser le plus largement possible l’idéologie du groupe et pour élargir la base de soutien de l’EI. Pour ces raisons, accroître l’efficacité des programmes visant à stopper la présence en ligne de l’EI doit être un objectif majeur pour lutter et vaincre l’Etat Islamique. »


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