L’actuelle campagne de moisson des céréales en Algérie a fait l’objet d’intenses préparatifs.
Dans un contexte de hausse mondiale des prix du blé, le mot d’ordre de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) est de collecter le maximum de quintaux.
Y aurait-il des fuites de céréales à travers les frontières, des quintaux « haragas » ?
En 2018, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural estimait généreusement la récolte de céréales de l’Algérie à 60 millions de quintaux. L’OAIC n’en avait collecté que 27 millions. L’année passée, la collecte a chuté à 13 millions de quintaux. Quant à l’orge, seuls 135 000 quintaux ont été collectés. Les années de sécheresse n’expliquent pas tout.
Farine algérienne au Niger
Une première piste pour expliquer ces quintaux manquants concerne la contrebande. En octobre 2015, traitant de la guerre de la farine au Mali, le magazine Jeune Afrique indiquait que les Grands Moulins du Ténéré du malien Groupe Sahel rencontraient une forte concurrence au Niger : « Mais comme chez lui [au Mali], il est confronté à la contrebande de farine provenant d’Algérie, où le blé est subventionné à 50 % ».
En 2013, dans une étude portant sur le bilan spatialisé de la mise en valeur agricole au Sahara algérien, deux universitaires ont estimé à l’aide d’images satellites le volume des céréales produites sous pivot à Adrar. Les quantités de céréales livrées à l’Office algérien des céréales (OAIC), étaient en deçà de la production. Des quintaux envolés vers les frontières sud ?
La contrebande aux frontières algériennes est loin d’être un mythe. Ces dernières années, le phénomène était tel, qu’au niveau des points les plus sensibles de la frontière avec le Maroc, des tranchées ont dû être creusées au bulldozer.
Des habitations-entrepôts à cheval sur la frontière ont été détruites par les autorités. Elles étaient un point de passage commode des marchandises. Il serait intéressant d’estimer les quintaux « harragas » qui y transitaient.
Nourrir 45 millions d’habitants et 28 millions de moutons
En Algérie, les céréales ne sont pas destinées uniquement à l’alimentation humaine. Il faut tenir compte de l’alimentation animale. Aux 45 millions d’habitants, il s’agit d’ajouter les 28 millions de moutons que compte l’Algérie.
En période de disette, les éleveurs de moutons se rabattent sur le blé tendre pour nourrir leurs bêtes. Cet hiver, alors que les prix de l’orge flambaient, un reportage de la télévision a révélé l’ampleur du phénomène.
Un éleveur témoignait de la difficulté de se procurer de l’orge. Avec une candeur désarmante il avait ajouté : « Vous vous rendez compte, même le prix du blé tendre a augmenté ».
En avril dernier, lors d’une rencontre avec la presse, le président Abdelmadjid Tebboune a clairement indiqué : « Nous avons découvert près de 160 minoteries qui ne transforment pas le blé qu’elles prennent mais le vendent directement aux éleveurs ».
Commissions locales et autorisation d’acheminement
Dans le contexte de la crise ukrainienne, les services agricoles ont donc décidé de réagir. En mai dernier, l’agence officielle APS rapportait que, lors d’une réunion, le ministre de l’Agriculture avait mis en avant l’importance de « sensibiliser les paysans quant à l’obligation de livrer toutes leurs récoltes aux coopératives CCLS relevant de l’OAIC ».
Pour la première fois, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, il a été décidé de créer des commissions locales chargées de géolocaliser, d’identifier les producteurs et d’évaluer leurs superficies ainsi que les rendements potentiels.
Il a été demandé aux CCLS de multiplier les points de collecte de céréales. Dorénavant, la wilaya de Bouira en compte 13. À la mi-juin, le quotidien El Watan rapportait les propos du wali de Bouira : « Nous avons décidé de mettre en place un dispositif spécial pour lutter contre toute forme de spéculation. Parmi ces mesures, la récolte céréalière doit être stockée dans la région et tout acheminement du produit en dehors de la wilaya est soumis à une autorisation ».
Relèvement du prix des céréales
Autre mesure gouvernementale, le prix d’achat du blé dur est passé de 4500 DA à 6000 DA/quintal, le blé tendre de 3500 DA à 5000 DA/q, l’orge de 2500 DA à 3400 DA/q et l’avoine de 1800 DA à 3400 DA/q.
Les agriculteurs soulignaient l’augmentation de leurs charges et donc la nécessité d’une ré-évaluation du prix d’achat des céréales par l’OAIC. Leur demande a été entendue et cette année les points de collecte connaissent une belle affluence.
Mesure également appréciée par l’opinion publique : il est une remarque récurrente selon laquelle les importations de produits alimentaires favorisent l’enrichissement des agriculteurs étrangers aux dépends des producteurs locaux.
Est-ce la fin des quintaux « harragas » ? Ceux qui franchissent les frontières et ceux qui sont réorientés vers les élevages de moutons à la place des boulangeries ? La crise ukrainienne n’a pas fini de rebattre les cartes, même au plus profond des campagnes algériennes.