En bloquant l’accès de Huawei aux technologies américaines, les États-Unis ont porté un coup très dur au champion chinois des équipements télécoms et des smartphones. Cette décision pourrait rebattre les cartes dans la course à la 5G que se livrent le pays de l’Oncle Sam, l’Empire du Milieu et l’Europe.
Le timing de cette décision interpelle. La semaine dernière, les États-Unis ont décidé de bloquer l’accès de Huawei aux technologies américaines. Ce très rude coup porté au géant chinois des équipements télécoms et des smartphones est intervenu à un moment clé. Malgré un très fort lobbying de Washington pour forcer l’Europe à chasser, comme lui, Huawei des réseaux 5G, plusieurs pays – dont la France, l’Allemagne, et surtout le Royaume-Uni, allié traditionnel du pays de l’Oncle Sam – ont décidé de ne pas s’aligner sur les États-Unis. Leurs opérateurs télécoms devraient donc, sous certaines conditions, pouvoir recourir aux équipements de Huawei pour déployer la prochaine génération de communication mobile.
Mais, dans le contexte actuel, vont-ils toquer à la porte du groupe chinois ? Même si Huawei est un incontestable leader dans la 5G, les opérateurs peuvent craindre que ses déboires avec les États-Unis mettent en péril son activité. Dans ce cas, les opérateurs européens pourraient massivement privilégier ses concurrents, en particulier Ericsson et Nokia. Cette perspective, bien sombre pour le groupe chinois, n’est pas à écarter. Selon plusieurs experts, c’est la survie même de Huawei qui est désormais en jeu. Le cabinet Eurasia Group juge qu’« en cas de coupure totale de l’accès à la technologie américaine », le dragon chinois « ne survivrait probablement pas sous sa forme actuelle ».
Huawei honorera-t-il ses contrats ?
Outre ses problèmes dans les smartphones (Google a coupé les ponts avec Huawei en le privant d’Android, son système d’exploitation, ce qui pourrait plomber ses ventes de terminaux à l’international), le groupe chinois est aussi en danger dans les équipements télécoms. Les fabricants américains de semi-conducteurs, comme Qualcomm, ont annoncé l’arrêt des livraisons au géant de l’Empire du Milieu. Un problème pour Huawei, qui va devoir trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. L’année dernière, ZTE, un autre équipementier télécoms chinois, a lui aussi été confronté à une interdiction d’acheter des composants électroniques américains. Il en avait payé le prix fort : il a été contraint d’interrompre un temps ses activités, et a aussi perdu des clients. En décembre dernier, ZTE a vu son plus important contrat en Allemagne, avec Telefonica Deutschland, s’envoler.
Pour éviter un même effet domino dévastateur, Huawei a indiqué qu’il avait pris des mesures pour ne pas manquer de semi-conducteurs. Le groupe affirme disposer d’un an de stock. Conscient que certains opérateurs s’interrogent sur sa capacité à faire face à leurs commandes, le groupe s’est voulu rassurant. Ce mardi, Abraham Liu, le représentant de l’équipementier à l’Union européenne, a joué les pompiers. A l’en croire, Huawei dispose « de toutes les capacités nécessaires pour honorer ses contrats en cours, tout comme ceux à venir ». « Il n’y aura aucun retard sur la 5G », a-t-il renchéri. Avant de bomber le torse : « Nous sommes à pleine charge. »
L’Europe redoute un retard dans la 5G
Reste que si les opérateurs européens devaient massivement tourner le dos à Huawei pour des raisons économiques ou de sécurité nationale, ce n’est pas seulement ce dernier qui en pâtirait. Mais aussi, plus globalement, le Vieux Continent, qui pourrait prendre du retard dans la 5G. Dans une note confidentielle citée il y a quelques mois par l’agence américaine Bloomberg, Deutsche Telekom, l’opérateur historique allemand et numéro un européen des télécoms, a tiré la sonnette d’alarme. Selon ses dirigeants, sans Huawei, l’Europe pourrait perdre un à deux ans dans le déploiement de la 5G.
En outre, un Huawei en grande difficulté ne ferait pas, c’est peu dire, les affaires de la Chine. Si son champion des équipements télécoms était trop affaibli, le pays pourrait lui-aussi prendre du retard dans la 5G. Ce serait un véritable camouflet pour la Chine, engagée dans une féroce bataille avec les États-Unis pour être le premier pays à disposer de la prochaine génération de communication mobile. Laquelle est perçue comme un catalyseur économique essentiel dans les années à venir.