L’Algérie a dans l’ensemble bien géré la pandémie de covid-19 depuis l’apparition du 1er cas sur son territoire il y a près de deux ans maintenant, notamment le nombre de contaminations et de décès quotidiens très en deçà des chiffres enregistrés dans le monde.
Mais la campagne de vaccination contre le Covid-19 reste incontestablement un très gros échec pour le gouvernement algérien. Les spécialistes sont unanimes. « Un échec patent », affirmait à TSA il y a quelques jours le Pr Kamel Senhadji, directeur de l’Agence de sécurité sanitaire.
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L’Algérie a enregistré un premier cas de covid-19 en février 2020. Depuis, elle a connu trois vagues et la 4e est en cours, dont la plus virulente est la troisième, pendant l’été 2021, et qui fut accompagnée d’une grave pénurie de places et d’oxygène dans les hôpitaux.
Les premiers vaccins ont été mis au point à l’automne 2020 et le gouvernement a annoncé que l’Algérie sera parmi les premiers pays à les acquérir, avec l’objectif déclaré de vacciner 70% de la population dans un délai d’une année. Ce taux constitue le seuil fixé par les spécialistes pour atteindre l’immunité collective.
Mais les autorités ont trop tergiversé sur le choix du fournisseur et ce n’est qu’à la fin janvier 2021 que les premières doses du vaccin russe sont arrivées.
La campagne de vaccination est lancée symboliquement mais en grande pompe. Le 30 janvier, une dentiste de Blida reçoit la toute première dose. La campagne devait être un succès total pour l’Algérie qui dispose des fonds nécessaires, de bonnes relations avec au moins deux pays producteurs de vaccins (Chine et Russie), d’infrastructures adéquates, d’un personnel formé et qualifié et d’une longue tradition dans la vaccination.
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Néanmoins, l’acquisition des vaccins s’est avérée plus compliquée que prévu, à cause de la très forte demande mondiale. Pendant tout le printemps et jusqu’à l’été, les commandes arrivaient au compte-goutte.
En février 2021, seuls 75 000 algériens en avaient reçu une dose. Le problème de la disponibilité des vaccins ne se posait plus à partir de l’été, mais la campagne ne s’est pas emballée. Le 20 août, 3,4 millions de citoyens, avaient reçu au moins une dose et 724 000 étaient totalement vaccinés.
La très virulente troisième vague de l’été et les images parvenant des hôpitaux ont convaincu une partie de la population de la nécessité de se faire vacciner puisque, un mois plus tard, le 25 septembre, les chiffres ont carrément doublé avec 6 millions de personnes vaccinées au moins une fois (13,7%) et 4 millions totalement vaccinés (9,2%).
L’objectif de vacciner 70% de la population était toujours loin, mais à ce rythme de 3 millions de vaccinés par mois, il devait être réalisé en quelques mois. D’autant plus qu’au même moment, le projet de produire localement le vaccin est concrétisé. Le 29 septembre, le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane inaugure à Constantine une ligne de production du vaccin chinois CoronaVac, ouverte dans le cadre d’un partenariat entre Saidal et Sinovac.
Une sensibilisation insuffisante
Paradoxalement, l’engouement pour la vaccination s’estompe net. Entre fin septembre et mi-décembre, l’Algérie a comptabilisé un million seulement de nouveaux vaccinés.
Au 14 décembre, un total de 12,4 millions de doses ont été administrées, 7 millions de citoyens, soit 16% de la population ont reçu au moins le premier vaccin et 5,5 millions (12.7%) étaient complètement vaccinés.
Les chiffres sont sur le site Our world in data qui suit l’évolution de la vaccination dans le monde. Les autorités algériennes, elles, ne communiquent pas suffisamment sur la question.
Impensable il y a quelques mois, l’Algérie se retrouve avec des surstocks de vaccins. En plus des quantités importées et non utilisées, l’usine de Constantine a produit (selon les prévisions annoncées à son inauguration) 1 millions de doses en octobre, 2 millions en novembre et devrait produire 5,3 millions de doses en janvier 2022.
Sa capacité totale avec le système de travail par équipes est de 200 millions de doses par an. L’Algérie a prévu de consacrer une quantité de la production à l’exportation vers l’Afrique, mais la part destinée au marché local peine à être utilisée.
Début novembre, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a révélé que l’Algérie risque de perdre 13 millions de doses de vaccin à cause de l’approche de la date de péremption.
Le Pr Lyes Rahal, membre du comité scientifique de suivi de la pandémie, estime que la validité d’une partie des stocks expirera en mars prochain.
Le ministre de la Santé reconnaît que les résultats obtenus ne sont pas conformes aux objectifs.
« En Algérie, nous sommes à 80 % voire 90 % de non vaccinés, alors même qu’il fallait à un certain moment mettre le paquet sur les catégories les plus exposées, ce qui n’a pas été fait », a déclaré M. Benbouzid le 7 novembre dernier, ajoutant qu’on peut « rattraper et inverser la situation s’il y a une campagne de sensibilisation intensive ».
« Les gens refusent le vaccin. Pourtant nous avons lancé de nombreuses campagnes de sensibilisation », affirmait Abderrahmane Benbouzid le 13 décembre, en indiquant que le taux de vaccination n’était que de 27% à l’échelle nationale.
Le Pr Mostefa Khiati, président de la Fondation pour la recherche médicale (Forem), pointe lui aussi du doigt l’absence de sensibilisation. « On a affirmé que la vaccination était le seul recours mais on n’a pas fait l’effort d’une campagne de sensibilisation à la vaccination au point que l’on assiste à un recul en la matière », déclare-t-il.
Le Dr Bekkat Berkani, président de l’Ordre des médecins, met en cause une communication faible autour de la vaccination. « La communication est pratiquement défaillante, notamment par rapport à la vaccination », a-t-il dit le 26 décembre.
« Le gouvernement vient de prendre des décisions importantes, il faudrait que les gens se vaccinent. La coercition, la persuasion, la répétition et la pression, ce sont autant de mesures qui donneront des résultats », plaide le Dr Bekkat Berkani.
Un avis partagé par le Pr Ali Lounici du CHU de Tlemcen : « La campagne de vaccination n’a malheureusement pas été accompagnée d’une campagne de sensibilisation. »
Outre la sensibilisation, la réticence du gouvernement à imposer un pass vaccinal non seulement pour les voyages mais aussi pour l’accès à certains lieux publics, est aussi pour quelque chose pour cette désaffection des citoyens.