Société

Covid-19 en Algérie : « Combien de temps allons-nous continuer à vivre en autarcie ? »

Le Pr Noureddine Zidouni est un expert international en maladies respiratoires. Il est membre de la Cellule opérationnelle d’investigation et de suivi des enquêtes épidémiologiques en Algérie. Dans cet entretien, il évoque la lutte anti-Covid en Algérie, les wilayas les plus touchées par l’épidémie, la réouverture des frontières…

Quelle est votre analyse de la situation épidémiologique liée à la Covid-19 en Algérie ?

Nous sommes à la croisée des chemins. Il y avait une tendance à la diminution du nombre de cas. Cette diminution est-elle liée à une diminution de la circulation virale ou aux capacités d’organisation et d’établissement des diagnostics à partir des tests réalisés ? Le nombre de tests qui est de 200 000 depuis le début de l’épidémie, d’après les chiffres de l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA), font que probablement il y a eu un ralentissement de la transmission par un ralentissement de la circulation virale. C’est l’hypothèse la plus avancée actuellement. Cependant, il ne faut pas oublier que cette circulation virale est favorisée par le relâchement sur les mesures barrières par la population. Il y a des wilayas qui enregistrent un nombre élevé de cas liés au déni de la maladie, qui ferait qu’elle est perçue comme honteuse ou comme une malédiction. Et sur ce plan socioculturel, nous avons un besoin urgent de la participation d’anthropologues et de sociologues pour dépasser cette situation de déni et aussi pour faire respecter les mesures barrières.

Quelles sont les wilayas qui enregistrent le plus de contaminations ?

“Nous avons sept wilayas qui vont servir d’espace géographique d’entretien de la circulation virale”

En dehors de la capitale, où les contacts humains sont beaucoup  plus importants et la densité de la population est la plus élevée du pays, il y a Blida qui continue avec des hauts et des bas et où la situation n’est pas maîtrisée. Il y a Bejaia où on enregistre un nombre important de cas, Tizi-Ouzou, Boumerdès, Batna et Jijel. Et donc, nous avons sept wilayas qui vont servir d’espace géographique d’entretien de la circulation virale. Et tant que nous n’avons pas maîtrisé ces pôles géographiques qui abritent des clusters – on sait maintenant que les cas familiaux sont les plus fréquents-, eh bien nous continuerons à nous confronter à cette pandémie.

L’augmentation des contaminations est-elle donc due au relâchement dans le respect des mesures barrières ?   

C’est en effet dû en grande partie au relâchement sur le respect des mesures barrières (port du masque, distanciation physique, ndlr). On voit des gens porter des masques sur le cou et parfois sur le coude et de la main ! En revanche, et j’ai eu à le constater dans des quartiers à Alger, il y a peu de personnes âgées dans les rues. Il y a aussi de plus en plus de femmes qui portent un masque. Mais la population juvénile, majoritaire en Algérie, fait fi de toutes ces mesures.

Ces conditions sont-elles, selon vous, favorables pour une rentrée scolaire et sociale ?

L’Algérie ne peut pas indéfiniment interrompre toutes les activités. Dans la plupart des pays à travers le monde, il y a une reprise progressive de la vie sociale. Si j’ai un message à donner, ce ne serait pas en direction des enfants de moins de 11 ans qui sont les moins touchés et qui probablement ne transmettent pas avec autant d’acuité le virus, mais mon message je l’adresse aux personnels enseignants et technico-administratifs et dont il faut attirer l’attention. Ce sont ces adultes qui doivent être vigilants sur le respect des mesures barrières. De sorte que les enfants, et donc leurs parents et grands-parents soient tous protégés.

Faut-il lancer immédiatement une campagne de sensibilisation à l’échelle nationale ?   

“Le ministère de la Communication, que je trouve timide, doit s’impliquer davantage

Tout le monde doit s’impliquer. Et c’est pourquoi je dis maintenant que cette lutte (contre la Covid) ne doit pas être l’apanage du ministère de la Santé à lui seul. Le ministère de la Communication, que je trouve timide, doit s’impliquer davantage. D’autant qu’il y a des relais formidables à travers les réseaux sociaux et également par le biais des stations radios locales afin de délivrer un message qui soit adopté socialement et culturellement. Et sur ça les radios locales peuvent jouer un très grand rôle. Il y a aussi les sites d’informations et les influenceurs qui ne doivent toutefois pas verser dans l’alarmisme mais entretenir la vigilance au sein de la population. Il y a aussi le ministère de l’Intérieur qui, avec le département de la communication, sont pour moi des partenaires importants sinon privilégiés des professionnels de la santé.

Quelle démarche faut-il entreprendre vis-à-vis des sujets contacts ?

Il faut que les sujets contacts soient confinés à domicile. Or, j’ai ouï-dire que des sujets contacts ne prenaient pas de congés et qu’ils retournent à leur travail. Ceux-ci qui sont dans la plupart des cas positifs sans qu’ils le sachent, vont continuer à transmettre la maladie. Il faut qu’il y ait autour des sujets contacts des actions de confinement, d’isolement et de traitement. C’est ce qu’on appelle les enquêtes épidémiologiques. Le travail entamé doit être rentabilisé, étendu et explicité pour, lorsqu’on a un sujet malade, on identifie le (s) cas contact (s). Mais il faut qu’il y ait des actions autour de ces sujets contacts qui doivent être soumis à un protocole sanitaire strict de confinement pendant deux semaines.

En attendant l’arrivée du vaccin…

“Mais ce qui me préoccupe en tant que pneumologue, c’est l’irruption du virus grippal”  

En attendant le vaccin qui n’est pas pour demain. Mais ce qui me préoccupe en tant que pneumologue, c’est l’irruption du virus grippal.  D’après mes informations, le vaccin (antigrippal) sera disponible début novembre. Il nous aidera à faire diminuer le caractère exponentiel de la gravité lorsqu’il y a une co-infection virale myxovirus (grippe)-coronavirus. C’est ce que je crains dans le mois à venir. Par conséquent, le vaccin antigrippal doit être largement utilisé par les personnes à risque : personnes âgées de + 65 ans, les professionnels de santé, les corps constitués et les femmes enceintes. Il faut que la population soit protégée afin que nous n’ayons pas à lutter contre deux facteurs gravissimes de détérioration de la fonction respiratoire.

Avez-vous des craintes pour l’après réouverture des mosquées et la reprise de la prière du vendredi ?

Le ministère des Affaires religieuses et des Wakfs est appelé à inciter les imams sur l’importance de sensibiliser dans leurs prêches du vendredi la population contre le déni de la maladie et leur dire que ce n’est pas une maladie honteuse. Et leur dire que c’est une maladie grave qu’il ne faut pas prendre à la légère. Pour ce qui est des mesures dans les mosquées : il y a lieu de supprimer les tapis qui sont des nids de densité virale importante, chaque fidèle ramène avec lui son propre tapis, respecter la distance de 1,5 m et surtout ne pas utiliser la climatisation dans ces milieux fermés. Il faut aussi interdire à un fidèle de venir à la mosquée sans masque. Il y a lieu de veiller également sur un approvisionnement constant en solutions hydroalcooliques à l’entrée.

Compte tenu de la recrudescence des contaminations en Europe et dans d’autres pays, pensez-vous que c’est prendre un risque de rouvrir les frontières ?

C’est un risque patent. Mais combien de temps allons-nous continuer à vivre en autarcie, coupés du monde ? Il faut des mesures qui sont appliquées dans d’autres pays, notamment en Europe. Par exemple, quand le passager achète son billet, il faut qu’il soit le plus proche possible de la date de départ, il faut qu’il y ait un test PCR négatif ou tout autre examen qui confirme son état indemne vis-à-vis du virus. Les compagnies aériennes doivent aménager leurs salles d’attente et de pré-embarquement, veiller à ce qu’il n’y ait pas de promiscuité dans les avions en divisant par deux les capacités des appareils. Ceci est réalisable à condition que les organisateurs prennent conscience du caractère indispensable de ces mesures pour lutter contre la transmission virale.

Un message à la population ?

C’est de leur dire que nous pouvons vaincre la maladie ensemble. Il y a une chaîne de soins. Pour qu’elle soit solide, ce sont tous les anneaux qui la constituent qui doivent l’être aussi. S’il y a un anneau qui est fragile, la chaîne se brise et c’est la porte ouverte à l’aggravation de l’épidémie.

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