Le professeur Yacine Kheloui, chef de service pneumologie à l’EPH de Blida (hôpital Faubourg), redoute l’arrivée d’une 3e vague de l’épidémie de la Covid-19 en Algérie. Il lance un appel aux autorités en vue de faire respecter les mesures sanitaires.
Après avoir baissé sous la barre des 100 cas par jour, le nombre de nouvelles contaminations au Covid-19 a remonté ces derniers jours pour frôler le seuil des 200 cas quotidiens. Comment évaluez-vous la situation épidémiologique en Algérie ?
On peut parler d’une reprise de l’épidémie. Pas autant que la deuxième vague mais on sent qu’il y a quelque chose qui se passe. Les lits se remplissent à nouveau, d’autres services sont prévus pour être ouverts du fait que nous sommes obligés de transférer le surplus (de malades) vers ces sites qui ont été préparés à cette fin.
Dans votre hôpital, y a-t-il suffisamment de lits ? Un malade Covid-19 a-t-il la possibilité de trouver une place ?
Non. Il n’aura pas sa place et sera transféré vers le CHU Frantz-Fanon (Blida). Cette situation, nous l’avions prévue, le scénario d’une reprise était prévisible.
Et là c’est vrai que cela reprend, et on a rouvert les services qu’on a mis en veille mais qui commencent à être fonctionnels. Ce sont les prémices d’une reprise de l’épidémie, je ne peux pas la quantifier mais elle est là.
Elle est la conséquence du relâchement que l’on est en train de voir sur les mesures barrières. Le virus ne cherche qu’à trouver des opportunités pour se multiplier…
On voit de plus en plus de personnes âgées qui n’ont jamais été infectées et des familles entières qui arrivent. Les patients âgés sont souvent hospitalisés dans un état assez grave.
On en voit 2 à 3 fois par semaine en réanimation. La semaine passée, nous avons eu deux décès et aujourd’hui nous avons encore deux malades qu’on essaie de sauver. Et de faire reculer l’échéance de la réanimation mais lorsque cela arrivera on est obligé de les y envoyer.
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N’aurait-on pas mieux fait d’accélérer la campagne de vaccination durant l’accalmie ?
Vous savez bien qu’il n’y a pas eu d’approvisionnement régulier en quantités suffisantes de vaccins. Distribuer 300 000 doses pour toute l’Algérie ça fera quelques doses par wilaya ou par région. C’est insuffisant.
Le vaccin chinois Sinovac a été épuisé très rapidement à Blida. Ensuite, il y a eu une rupture, et par la suite des lots d’AstraZeneca et du Spoutnik V sont arrivés. Les gens ont alors beaucoup plus opté pour le Spoutnik ce qui fait que le vaccin russe est totalement épuisé et on attend d’autres arrivages.
Pour ce qui est de l’AstraZeneca, on en a encore des doses mais vu la polémique sur ses effets secondaires, il y a une réticence à son égard. Il faudrait qu’il y ait une sensibilisation concernant l’utilisation de ce vaccin qui, jusqu’à présent, n’a pas montré d’effets graves de façon fréquente.
S’il y a eu quelques incidents à travers le monde, ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain.
Beaucoup de pays ont suspendu la vaccination avec l’AstraZeneca…
C’est ce qui fait justement que le citoyen algérien est réticent vis-à-vis de ce vaccin et la polémique autour de l’AstraZeneca lui fait peur.
Selon vous, que faut-il faire ?
Ce qu’il y a lieu de faire c’est de ramener encore plus de doses afin d’accélérer la cadence de vaccination. La demande est là, les gens veulent se faire vacciner et la seule réticence concerne le type de vaccin.
Lorsque la vaccination avec le Spoutnik et le Sinovac a eu lieu, il y avait une cinquantaine de personnes par jour qui se présentaient pour se faire vacciner. C’était la ruée sur la vaccination.
Hier, pour faire mon rappel, j’ai demandé où étaient passés les candidats à la vaccination. On m’a répondu que les gens viennent de moins en moins soit à cause du Ramadan soit parce qu’il n’y a que le vaccin AstraZeneca.
Mais c’est plus à cause d’AstraZeneca que le Ramadan. Il faut rectifier le tir. Je pense qu’il va y avoir le vaccin chinois soit dans le cadre du programme Covax ou par le biais d’achats programmés. Et là il faut que ça redémarre parce qu’actuellement la vaccination est à l’arrêt.
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Avant le Ramadan, il y a eu un relâchement sur les mesures barrières, 15 jours après on constate cette reprise de l’épidémie dans notre pays. Un relâchement vers la fin du Ramadan et de l’Aïd vous fait-il redouter une 3e vague ?
Nous ne sommes pas du tout à l’abri d’une troisième vague. Au tout début, le virus était parti d’un seul cas et ça a été une pandémie mondiale. Lorsqu’il y a plusieurs cas et qu’il y a un relâchement, il y aura une réaction en chaîne qu’on ne pourra pas maîtriser, et là on sera obligé de revenir au confinement, à la fermeture des magasins, la restriction de la circulation et à la fermeture des mosquées, etc.
Ce sera difficile à accepter de la majorité de la population. Mais comme on l’a vu pour la 1e ou la 2e vague, c’est la seule solution. La vaccination n’est pas une panacée. Elle n’est pas à 100 % protective. Aucun vaccin ne protège à 100 %. Il permet d’éviter les formes graves mais, le problème n’est pas là.
S’il ne vous évite pas de faire une infection, même minime, vous allez la transmettre. Le but c’est d’arrêter la chaîne de transmission. La prévention reste la solution pour endiguer l’épidémie. Si on continue sur ce relâchement, on sera obligé, quel que soit le taux de vaccination qu’on aura atteint, à revenir aux mesures barrières.
Les frontières de l’Algérie sont fermées. Beaucoup d’Algériens sont bloqués à l’étranger et veulent rentrer au pays. Que faut-il faire ?
C’est un drame. Et je pense qu’il y a possibilité de les ramener, comme on a fait au début et de les mettre en quarantaine. Tout simplement. On peut les rapatrier et les placer en observation pendant 14 jours, et le problème est réglé.
La Chine a prouvé l’efficacité de cette stratégie. Ces voyageurs ne pourront rejoindre leurs familles qu’une fois le délai de 14 jours épuisé, suivi d’un contrôle. Il y a les tests antigéniques et en 20 minutes vous avez le résultat, donc cela ne nécessite pas une PCR. C’est donc possible de soulager nos concitoyens qui sont à l’étranger.
Un message pour la population ?
Je leur dis qu’il faut faire attention, le virus est toujours là, contagieux et mortel. Ce qui fait que les mesures barrières doivent être toujours de vigueur et les citoyens doivent être très vigilants.
Tout le travail qui se fait pour la reprise d’une vie sociale normale sera anéanti en cas de troisième vague. La priorité c’est de maîtriser l’épidémie.
Les responsables doivent savoir qu’il faut parfois être durs pour ne pas arriver à une troisième vague qui va tout arrêter et faire appliquer les mesures sanitaires qui ne sont pas suspendues. Or, on observe que personne ne s’offusque de voir les gens ne pas porter le masque ou de ne pas respecter la distanciation sociale.
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