Le directeur des activités médicales et paramédicales au CHU Mustapha d’Alger, le Pr Rachid Belhadj, aborde les questions liées à la campagne de vaccination anti-Covid en Algérie, la pénurie de vaccins, le manque de communication autour de la campagne vaccinale, la réticence des soignants…
Le vaccin AstraZeneca fait beaucoup parler de lui. Il a été suspendu puis repris par certains pays européens sur fond d’apparition de thromboses chez des patients vaccinés. Dans votre établissement, utilisez-vous toujours ce vaccin ?
En ce qui concerne le CHU Mustapha, nous avons cette mission réglementaire de vacciner d’abord notre personnel au nombre de 5 000 employés.
Nous avons établi un programme, car ne pouvant pas vacciner des centaines par jours, et aussi parce qu’on n’avait pas une quantité suffisante de vaccins pour le faire.
Nous avons donné la priorité beaucoup plus aux personnels âgés de plus 55 ans. Nous avons senti une certaine réticence même vis-à-vis du Spoutnik V (vaccin russe). En fait, la campagne a débuté timidement.
Mais avec le temps, il y a eu plus de demande et il n’y a plus eu de problème de réticence. Nous avons plutôt été confrontés à un problème de disponibilité en quantités suffisantes du vaccin.
Les choses se sont ensuite très bien organisées, il n’y a pas eu d’incident majeur notable. À la troisième semaine, nous avons commencé les rappels précédés toujours par un examen et une surveillance. Et avec la venue d’un autre lot de vaccins, nous avons ressenti une forte réticence de notre personnel vis-à-vis du vaccin AstraZeneca.
Pourquoi et d’où vient cette réticence ?
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de campagne de sensibilisation, au contraire elle a été bien menée, avec les médecins et les médias.
En ce qui concerne les personnels de santé, ils sont en phase avec ce qui se passe dans le monde. Et ce qui se passe actuellement c’est qu’il y a un long débat concernant l’efficacité de ce vaccin, surtout de manière plus compliquée avec l’apparition des variants. Ce qui a entrainé des perturbations notables en matière de vaccination.
Si l’on comprend bien, le personnel de la santé refuse de se faire vacciner avec l’AstraZeneca ?
Ce n’est pas un refus. Il y a moins de demande par rapport au premier vaccin (Spoutnik V). Scientifiquement, il est encore trop tôt pour juger (de l’innocuité de) tel ou tel vaccin.
La tendance mondiale actuelle montre qu’il y a une réticence vis-à-vis de ce vaccin (développé par l’université Oxford et le laboratoire anglo-suédois AstraZeneca).
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N’est-on pas en train de gaspiller les doses achetées et celles prévues prochainement ?
Avant le début de la vaccination, on avait dit qu’il fallait bien réfléchir et aussi de ne pas passer de la pénurie au gaspillage.
Ce qui est important c’est que là il est question d’une frange de la population, les personnels de la santé. Qu’en est-il de la population générale ?
Elle est toujours à la recherche du vaccin : les personnes âgées de plus de 65 ans et souffrant de comorbidités cherchent à se faire vacciner, s’inscrivent sur les listes d’attente.
La campagne a commencé timidement et à titre d’exemple au CHU Mustapha nous n’avons pas encore les 10 % de notre personnel. Quid de la population générale ? Là c’est au ministère de la Santé de donner plus de chiffres.
Prochainement, l’Algérie recevra une quantité du vaccin AstraZeneca, dans le cadre de la plateforme Covax. Comme par hasard, il y a plus de doses de ce vaccin…
On doit revoir notre politique de communication sur la vaccination, tout en suivant ce qui se passe à travers le monde. Tout le monde est à l’affût de la moindre information scientifique.
À cela il faut ajouter le rôle des réseaux sociaux, souvenez-vous qu’au début de la pandémie des internautes niaient même l’existence du coronavirus.
Mais pour nous, médecins, on n’a pas d’autres moyens que la vaccination qui demeure le meilleur moyen de lutte contre l’épidémie.
Ce qu’il faut souligner c’est que le virus existe toujours : au CHU Mustapha, nous avons enregistré aujourd’hui (jeudi 18 mars) 30 personnes hospitalisées pour Covid.
Il est vrai qu’il y a moins d’afflux et moins de pression en termes de lits de réanimation, et moins de décès, mais les cas Covid sont toujours là. Nous hospitalisons chaque jour 4 à 5 personnes, le zéro cas n’existe pas encore.
D’où l’intérêt, encore une fois, de respecter les mesures de distanciation, de consulter le médecin et d’éviter l’automédication. Je pense qu’on n’a pas le choix que de vacciner…
Surtout qu’on a enregistré des cas des variants anglais et nigérian…
Même nous en tant que professionnels de la santé, on se pose des questions puisque nous voyons ce qui se passe dans notre quotidien. La vie a repris et la plupart des activités médicales ont repris, mais nous nous ne sommes pas dans une situation dramatique ou bien inquiétante.
Ce qu’il y a c’est qu’on n’a pas suffisamment de recul pour savoir exactement ce qui se passe en Algérie. Nous avons acquis une immunité, c’est à quel pourcentage ?
Les sociétés savantes algériennes ne sont pas encore au chiffre près. Cependant, nous pensons qu’il y a une immunisation de plus de 60 % de la population. Mais on n’est pas à l’abri d’un autre pic (de l’épidémie) ou d’un autre variant.
Je pense qu’on doit revoir notre politique de communication et de sensibilisation concernant la vaccination.
Au début de la campagne de vaccination, le ministère de la Santé s’est fixé comme objectif de vacciner 70 % de la population en 2021. L’objectif ne semble pas avoir été atteint et même reste très loin sachant qu’on n’a pas encore vacciné 100 000 personnes…
Si on ramène en quantités importante le vaccin AstraZeneca, il serait vraiment dommage de rater la campagne. Maintenant sauf s’il présentait un danger sur la santé de l’humain.
À ce moment-là, il y a des instances qui vont prendre la décision de l’arrêter, mais n’étant pas à ce stade-là, ce serait vraiment dommage d’attendre encore une fois. Il faut être très prudent, laisser les spécialistes parler pour ne pas sombrer dans l’intox et les fake news concernant la qualité et efficacité d’un vaccin.
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