Société

Covid-19 : les hôpitaux français se préparent à un tsunami sanitaire

En réorganisant ses services et en mobilisant encore plus de lits équipés, l’hôpital va devoir faire face au choc de l’afflux des cas sévères de coronavirus. Si les mesures de confinement décidées par le chef de l’État parviennent à casser la vague des contaminations, il pourra prendre en charge une majorité des cas qui dégénèrent en pneumonie aiguë. Mais si le tsunami Covid-19 ne ralentit pas, il va falloir arbitrer pour savoir qui sauver en priorité, comme on l’a vu en Italie.

« Nous sommes en guerre ». La phrase martelée six fois par Emmanuel Macron lundi 16 mars à 20h00 devant 35 millions de téléspectateurs, un record, a fait prendre conscience aux Français de l’ampleur de la crise sanitaire du Covid-19 et de ses dangers. Alors que le nombre de nouvelles contaminations explose (doublant tout les 2,5 jours), la France est l’un des pays où l’épidémie progresse le plus vite. Alors que les services de réanimation du Haut-Rhin sont déjà saturés, notre système de santé va-t-il pouvoir faire face au choc de l’épidémie, qui ne fait que commencer et va s’amplifier au cours des 15 prochains jours ?

Depuis les premières contaminations en France, l’hôpital se prépare au pire. Habitué aux urgences saturées en période de grippe ou de canicule, il sait réorganiser ses services pour récupérer des lits. Mais cette fois, la contamination est bien plus rapide qu’avec la grippe et la surcharge de travail donne déjà le tournis à des équipes fatiguées. Après le premier gros cluster du rassemblement évangélique de Mulhouse mi-février, la France est passée en quinze jours à l’heure de l’épidémie avec de nombreux cas graves à hospitaliser, dont pour les Covid+, de longues semaines en réanimation.

Apparu en Chine début décembre 2019, le Covid-19 est un virus de type Sras (syndrome respiratoire aigu sévère). Suivant les cas, les patients ne sentent rien, attrapent un rhume ou souffrent d’une grosse grippe. Mais chez environ 5 % d’entre eux, la maladie dégénère en pneumonie et nécessite une hospitalisation sous assistance respiratoire, pour éviter l’asphyxie. Lors des premières semaines d’épidémie en Chine (décembre 2019), seules les personnes âgées ou atteintes de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension semblaient souffrir de ces complications. Une erreur de diagnostic qui a minimisé l’impression de dangerosité et retardé le confinement systématique. Mais la connaissance du virus s’est affinée et les services d’urgence européens reçoivent aussi des quadras et des quinquas dont certains ne souffrent d’aucune autre pathologie. Sur la dangerosité du virus, difficile d’établir des statistiques fiables, alors que les personnes qui se présentent à l’hôpital sont déjà sévèrement atteintes. Selon les dernières analyses, entre 2 % et 5 % des contaminés décéderaient du Covid-19, un chiffre élevé pour un virus qui circule bien plus facilement que la grippe : une personne infectée en contamine trois en moyenne, sans compter les “super-contaminateurs”.

Ennemi public sanitaire

Depuis la déclaration d’Emmanuel Macron du jeudi 12 mars, la France prend la mesure de la dangerosité épidémique. Selon le président : « Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires (…) pour sauver des vies quoi qu’il en coûte. (…) Nous apprenons aussi de cette crise, parce que nos soignants sont formidables d’innovation et de mobilisation, et ce que nous sommes en train de faire, nous en tirerons toutes les leçons et sortirons avec un système de santé encore plus fort ». Dans tous les hôpitaux et cliniques, le Plan blanc a été déclenché, permettant ainsi aux directions de mobiliser tous les moyens en termes de matériels et de personnels, suivant les besoins : heures sup déplafonnées, soignants rappelés, retraités ou élèves en formation mobilisés (la fameuse Réserve sanitaire)… Dans les établissements, les opérations non urgentes ont été déprogrammées pour libérer les lits des blocs opératoires et des salles de réveil, qui sont équipés d’appareils d’assistance respiratoire.

Cette mobilisation devrait démultiplier ces capacités : de 5 300 places de réanimation habituellement en France à 10 000 voire 15 000 lits équipés. « Ils sont mobilisés pour l’épidémie tout en laissant un volume suffisant pour les autres urgences vitales, comme les accidents neurologiques et cardiologiques, ainsi que les accidents de la route, précise Cathy Le Gac, infirmière et co secrétaire générale du syndicat Sud Santé. Les cas de détresse respiratoire grave impliquent d’allonger les patients sur le ventre, ce qui rend toute intervention complexe. Alors que les services de réanimation comptent deux infirmières pour cinq places, il leur est compliqué d’accueillir plus de deux ou trois patients en grande détresse respiratoire ; ils doivent équilibrer la charge avec des cas moins compliqués. » Depuis quinze jours, l’hôpital français se prépare à cette catastrophe sanitaire et tous les soignants ont confirmé leur mobilisation.

Hélicoptères et hôpitaux de campagne

Pourtant, lundi 16 mars, les premiers échos de services saturés dans le Grand Est ont fortement ravivé l’inquiétude : est-on vraiment prêt ? A-t-on vraiment les capacités nécessaires ? L’idée de créer des hôpitaux de campagne comme en Chine a fait son chemin : le gouvernement vient d’annoncer que l’Armée déployait un hôpital de ce type en Alsace, avec 30 lits équipés de respirateurs et des médecins militaires spécialistes de la médecine de catastrophe. Dans le Haut-Rhin, des hélicoptères ont également commencé une noria mardi 17 mars pour emmener les malades en état moins critique vers les hôpitaux d’autres régions où il reste des places. Et pas question de faire preuve de prudence administrative alors que l’heure est à la guerre sanitaire. La réserve stratégique nationale d’équipements destinés aux menaces de risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique pourrait même être sollicitée pour réquisitionner des respirateurs.

Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France, le sait bien : tout dépendra de l’ampleur et de la durée de la contamination. « Nos hôpitaux ont un très bon niveau d’équipements et de compétences médicales, soignantes et techniques, et une des meilleures capacités d’accueil en réanimation et soins intensifs, au regard de nos voisins européens. Notre réseau public de groupements hospitaliers de territoire bénéficie de sa diversité permettant de réorienter les patients afin de dégager des capacités dans les établissements les mieux équipés et sur les zones les plus contaminées. Suivant leur état, certains patients peuvent quitter les services de soins intensifs et les grands hôpitaux pour être transférés dans des centres hospitaliers intermédiaires, des petits établissements ou sur des soins de suite. Nous allons réellement entrer dans la phase épidémique dans les quinze jours qui viennent. Nous aurons besoin de lits et d’équipements, mais surtout de soignants ayant l’expérience des soins intensifs et de réanimation. »

Gestes barrière et grands moyens

Sur la prise en charge de l’épidémie, deux sujets reviennent inexorablement : la gestion de la contamination et les capacités de notre système de santé. Sur le premier point, tout l’hôpital a adopté les pratiques « maladies infectieuses ». Quand ils se présentent aux urgences avec une crainte de contamination, seuls les patients en état sévère sont admis (forte fièvre, douleurs articulaires et difficultés à respirer) et subissent un test de dépistage. Les autres sont orientés vers leur médecin traitant ou d’autres centres de soin. En cas de doute, ceux qui rentrent chez eux peuvent être équipés d’un service de télésurveillance comme le Covidom, une appli développée par la PME française Nouvéal et déployée dans les hôpitaux parisiens de Bichat et de La Pitié-Salpêtrière.

Après le test de dépistage dont les résultats tombent dans les 24h, deux circuits séparent les patients infectés par le coronavirus des autres. Les premiers sont orientés vers le service Covid-19 et, suivant leur état, ils seront placés en réanimation avec assistance respiratoire. En général, les cas sévères nécessiteront quinze jours en soins intensifs avant d’être stabilisés. L’organisation de l’hôpital a bien sûr adapté le fonctionnement de ces services « épidémie », les soignants y disposent d’équipements de protection, principalement des masques (dit bavettes) et du gel hydroalcoolique. Après plusieurs cas de vols le mois dernier, ces équipements sont désormais gardés sous clé, mais il semble que le stock nécessaire ait été largement sous estimé. Le président de la République a donc annoncé une réquisition auprès des fabricants et de nouvelles livraisons sous protection.

Casser la vague

Mais, comme les Français commencent à le comprendre, pour que l’hôpital puisse absorber la vague des contaminations Covid-19, il faut avant tout la briser. Car, si 5 % des patients infectés développent des symptômes de pneumonie aiguë et nécessitent quinze jours en soins intensifs, avec plus de 5 000 cas de contamination en France depuis le début, on est tout juste dans les clous. Pour le Pr Xavier Lescure, spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat-Claude Bernard (à Paris) : « Face à l’épidémie, la stratégie consiste à fractionner les contaminations afin d’accueillir les patients en état grave en nombre limité. La spécificité de notre pays est que l’épidémie démarre moins vite qu’en Chine et en Italie. Cela nous permet d’adapter le système avant d’être submergés, sauf dans les régions les plus touchées qui ont besoin de nouveaux moyens. En même temps, nous devons trouver le bon équilibre. Il ne faut pas que cette réorganisation de l’hôpital dure trop longtemps, au risque de déstabiliser notre système de santé pour longtemps. » Devant la crise sanitaire, les soignants et personnels hospitaliers feront face à tout prix. Certains notent cependant que la situation révèle les limites de notre nouvelle conception comptable des politiques de santé dénoncées depuis des mois par les médecins hospitaliers.

Depuis le début des années 2000, nos hôpitaux ont subi un régime sévère pour contenir leurs dépenses en constante progression. A force de coupes budgétaires et de réorganisations pour optimiser leur « productivité », on peut finir par manquer de places et d’infirmiers quand on en a urgemment besoin, comme on le constate aujourd’hui. Après des années de gestion des établissements au rythme des maladies chroniques aux besoins prévisibles, la médecine revient à l’heure de l’infection, toujours très inattendue. Voilà ce que souligne le Pr André Grimaldi, diabétologue à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (à Paris) : « Depuis les années 2000, les autorités de santé se sont mises à envisager de gérer les hôpitaux comme des entreprises. Il ne fallait plus parler de « patient » mais de « client », on a adopté la gouvernance d’entreprise jusque dans la terminologie de « Conseil de surveillance » et de « Directoire ». Nous devions passer d’un « hôpital de stock à un hôpital de flux » tout en finançant les hôpitaux selon leur volume d’activité. On n’avait plus de lits vides et on comptait 400 postes d’infirmières non pourvus à l’AP-HP (Hôpitaux de Paris). N’oublions pas trop vite ce que cette épidémie révèle de l’état de notre politique de santé ! »

Mieux collaborer avec les médecins libéraux

Bien sûr, au-delà des hôpitaux, la France dispose de cliniques privées et de nombreux médecins libéraux. Les premières viennent de se voir mobilisées dans le cadre du Plan blanc, mais elles sont peu nombreuses à disposer de services de réanimation (90 % de ces lits sont à l’hôpital public). Pour les libéraux, les consignes évoluent rapidement. Après avoir demandé aux patients s’imaginant infectés sans gravité d’appeler systématiquement le 15, les autorités de santé les renvoient aujourd’hui vers leur médecin traitant.

Or depuis plus de cinquante ans, les libéraux et les hospitaliers ont bien du mal à se coordonner, ce qui améliorerait pourtant bien l’efficacité de notre système de santé. Certes, lorsqu’on leur demande de recevoir les patients suspectés d’infection légère au Covid-19, les libéraux veulent bien jouer le jeu. Mais ils manquent cruellement de masques de protection et n’ont aucune instruction claire sur le déroulement des parcours. « Nous aurions besoin d’améliorer la coordination entre la médecine de ville et l’hôpital pour monter en puissance, observe Alexandre Beau, Directeur adjoint d’Espace Social Européen (magazine spécialisé sur la protection sanitaire et sociale). Alors que l’hôpital dépend du ministère de la Santé et les médecins libéraux de l’Assurance maladie, ces deux univers ont du mal à partager une même vision de la Santé. Avec l’exploitation des données médicales, on finira par bien connaître ce que font les patients entre les consultations et les hospitalisations. Cela permettra aux autorités d’élaborer des parcours de soins pertinents et de rembourser le suivi médical des patients sur forfait. Ainsi, médecins de ville et hospitaliers travailleront ensemble autour du même parcours de soin, comme le font la Scandinavie et les Pays-Bas où médecine de ville et hôpital partagent les mêmes informations. » Et les libéraux pourront assister au mieux les hospitalier pour gérer ce type de catastrophe sanitaire.

Bonne ou mauvaise gestion de l’épidémie ?

Au delà de cette collaboration, certains remettent en cause les choix de la France en matière de gestion de l’épidémie. Aujourd’hui, pour limiter le nombre de contaminations, le gouvernement confine les Français, tout comme l’ont fait l’Italie et l’Espagne. Par contre, pour Boris Johnson, le Royaume Uni devrait miser sur l’immunité collective en laissant le virus circuler (voir encadré ci-dessous). En Asie, le confinement et les gestes barrière ont été plus précoces et plus stricts, comme le souligne Patrick Biecheler, associé en charge de la Practice Santé globale de Roland Berger. « Elles ont rapidement imposé le port du masque pour tous et la construction de nouveaux hôpitaux. Elles sont aussi plus coercitives avec le tracking des déplacements des individus à partir des mouvements enregistrés sur leur téléphone portable. C’est le cas en Chine où une app analyse les déplacements sur les 14 derniers jours, en croisant données GPS, paiements, voyages… Suivant leur localisation, elle définit si le porteur du mobile est plus ou moins à risque et lui attribue un code QR symbolisé par une couleur verte / orange / rouge. Ce code va ensuite autoriser ou limiter l’accès de la personne aux bâtiments officiels ou aux entreprises. » Au Japon, l’épidémie paraît très contenue : culturellement, on porte des masques à la moindre toux, on ne s’y embrasse pas, on ne se serre pas la main, et on multiplie les courbettes, ce qui freine la propagation du virus.

Alors que la Chine a passé le pic de l’épidémie et commence à lever certains confinements, l’Europe prend donc le relai et est devenu selon l’OMS l’épicentre de la pandémie. Si le nombre de contaminations françaises va encore grimper fortement pendant dix jours, nous devrions atteindre le pic de l’épidémie dans deux semaines en restant confinés. Les Français vont bien devoir accepter de restreindre leur liberté de mouvement, au risque d’offrir à l’épidémie une véritable « convivialité virale »…

Florence Pinaud

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LES CHIFFRES CLES DE l’HOPITAL

. Capacité hospitalières en France :
400.000 lits d’urgence
5.300 lits de réanimations
7.000 lits de soins intensifs.

. 90% des lits équipés d’appareils respiratoires sont des lits hospitaliers.
L’hôpital français dispose de deux fois plus de places avec six lits pour 100.000 habitants, contre trois en Italie et en Espagne.

. Bilan de l’épidémie (mercredi matin 18 mars)
France : 6.633 personnes infectées et 148 décès
Dans le monde : 167.369 personnes infectées et 6.503 décès

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Les changements de stratégie de Boris Johnson

Dans un premier temps, Boris Johnson a proposé de laisser le Covid-19 circuler au Royaume-Uni pour développer une « immunité collective ». Cette stratégie mise sur l’extinction progressive de nombreuses épidémies pour lesquelles on ne dispose pas de vaccin. Quand le virus n’est pas trop contagieux, cette extinction prend quelques mois, sans saturer les hôpitaux. Et elle évite un second pic d’épidémie.

Pour créer cette immunité collective, il faut des malades qui ont guéri. Entre la contamination et le rétablissement, leur système immunitaire a appris à reconnaître le nouveau Covid-19. Il a aussi développé des armes (des anticorps), pour l’éliminer dès qu’il le croise à nouveau. Ces anciens malades deviennent de véritable Covid-killers, exactement comme des personnes vaccinées. Tous les Covid-19 qui viennent sur eux meurent en quelques heures, sans aller plus loin. Du coup, ils sont de moins en moins nombreux en circulation et la contamination finit par s’arrêter.

C’est cependant une stratégie risquée. Comme le Covid-19 est très contagieux et que 5 % des personnes risquent de développer une forme sévère de la maladie, le Royaume Uni pourrait se trouver très vite face à des dizaines de milliers de cas graves, sans avoir les moyens de les prendre en charge.

Lundi 16 mars, Bojo a changé de registre : il a lancé une “forte recommandation” à ses concitoyens, les invitant à éviter tout “contact social”, à favoriser le télétravail et à cesser de fréquenter pubs et théâtres. Pas sûr du tout que cela suffise pour endiguer le virus, comme on l’a vu en France depuis quinze jours. De son côté, la reine a été mise en confinement, hors de Londres, à Windsor. On ne sait jamais. N’en déplaise à son Premier ministre.

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