Le Dr Abdelkrim Touahria, président du Conseil de l’ordre des pharmaciens et membre du comité scientifique Covid-19, évoque la situation épidémiologique en Algérie, la réouverture des frontières et des salles des fêtes.
Dix jours après l’aïd-el-fitr, comment voyez-vous la situation épidémiologique en Algérie ?
La situation épidémiologique est plus ou moins stable, à partir du moment où notre repère et indicateur principal est au niveau des établissements hospitaliers.
Aujourd’hui, il n’y a pas une pression au niveau des structures hospitalières. Ça, c’est le premier indicateur. Le deuxième indicateur, c’est le nombre de décès. Avec l’arrivée des variants, on appréhendait que la situation sanitaire allait vers une complication, ce qui n’est pas le cas.
Les deux indicateurs principaux que nous débattons au niveau du comité scientifique, c’est le nombre de cas hospitalisés, le nombre de patients en réanimation et le nombre de décès. Je pense que sur la base de ces trois indicateurs, je pourrais dire aujourd’hui que la situation est plus ou moins stable et maîtrisable.
L’Algérie va rouvrir partiellement ses frontières à partir du 1er juin prochain. Avez-vous discuté au niveau du comité scientifique des détails de cette réouverture partielle ? Qui pourra voyager ? Quelles sont les destinations ?
Effectivement, la pandémie Covid-19 dure plus d’un an et demi. Elle risque de durer encore. Nous nous sommes entendus pour dire qu’il fallait accepter et commencer à vivre avec cette pandémie.
Le retour de la situation à la normale, il faut qu’on le propulse et on le mette en route, sinon si on attend on attendra quoi ? C’est la question qu’on s’est posée. On attend qu’il y ait zéro cas ? On ne peut pas attendre indéfiniment. Donc il fallait poser et débattre toutes les questions, y compris la question de réouverture des frontières.
Il y a des demandes de la communauté algérienne basée à l’étranger. Il y a un rythme de courriers qui nous arrivent et qui arrivent au niveau des autorités supérieures, notamment au niveau de la présidence de la République. La question méritait d’être débattue à tous les niveaux, y compris sur le plan sanitaire, logistique et politique.
Cette question a été effectivement débattue au niveau du comité scientifique. Elle a reçu un avis favorable. Bien avant l’ouverture des frontières, on a parlé aussi de l’ouverture des salles des fêtes, des cinémas…
Il faut débattre de tout pour pouvoir arriver un jour à retrouver une vie normale sans pour autant prendre des risques de propagation de ce virus dans notre pays.
Comment ? Pour le comité scientifique à qui échoit cette tâche, c’est de revoir le protocole sanitaire de telle sorte à ce qu’il y ait un arrêt de la propagation du virus Sars-CoV-2.
Est-il possible de mettre en place un protocole sanitaire strict ? Bien entendu, la réponse était unanime au comité scientifique pour dire que oui nous pouvons le mettre parce que nous connaissons aujourd’hui la circulation du virus, qui est la même que la circulation des autres virus classiques, même celui de la grippe.
Tout voyageur, tout citoyen qui arrive de l’étranger ou qui part de l’Algérie vers une destination doit se soumettre à un protocole sanitaire strict.
Pouvez-vous nous détailler ce protocole ?
En plus des gestes barrières, il y a une équipe médicale à l’accueil au niveau des frontières qui va prendre la température, faire un examen clinique.
Il y aura aussi un dépistage à faire sur place malgré que le voyageur se présente avec un test PCR de 36 heures au lieu de 72 heures.
Malgré cela, nous exigeons que la PCR ou au minimum un test antigénique soit refait ou fait sur place. Et bien évidemment, le confinement de tous les cas suspects même si la PCR est négative, en cas de signes cliniques évocateurs tels que la température, la toux, etc.
Ça, c’est le rôle des médecins qui seront sur place. Il y aura un plateau technique. C’est pour cela que les autorités ont dans un premier temps limité le nombre d’aéroports à trois : Alger, Constantine et Oran.
Je pense que le ministère de la Santé pourra, aisément, mettre en place un système sanitaire pour contrôler tous les voyageurs qui arrivent ou qui partent d’Algérie.
Qui pourra voyager à partir du 1er juin ?
Nous sommes très sensibles aux Algériens bloqués à l’étranger, chacun pour ses raisons. Il y a des familles séparées qui n’ont pas été réunies depuis plus d’une année et demie.
Nos étudiants qui sont coincés à l’étranger, et comme c’est bientôt les vacances, donc il va falloir qu’ils viennent rendre visite à leurs familles. Vice-versa, les étudiants algériens qui sont coincés ici en Algérie qui ont leurs études à finir, les mémoires à présenter, etc.
Des Algériens établis à l’étranger n’ont pas pu venir se recueillir à la mémoire de leurs proches décédés pendant cette période de fermeture des frontières et vice-versa. Donc il y a cette catégorie de personnes qui doivent absolument être autorisées à faire le voyage.
Il y aura aussi d’autres raisons : les études et en cas de maladie grave. Il y a des citoyens qui ont des rendez-vous de soins importants et urgents à suivre à l’étranger.
Il faut qu’ils puissent avoir cette autorisation de sortie. Et puis, petit à petit, il y a des raisons économiques. Il y a des raisons de formation pour nos sociétés.
Il y a des équipes techniques qui doivent se déplacer dans les deux sens ou alors recevoir aussi des étrangers avec lesquels nous avons des contrats de coopération dans le domaine technique d’industrie économique, etc. Et puis, progressivement, nous allons élargir à d’autres catégories.
Et pour les destinations qui seront desservies à partir d’Algérie ?
Pour les destinations, il y a les destinations habituelles. L’Europe, la France, il y a aussi l’Amérique. Je pense que les autorisations seront données en fonction des destinations.
Je ne pourrai pas en dire plus, c’est une question n’a pas encore été tranchée. Elle est à l’étude, mais nous allons définir avec précision les destinations. De la même façon, même le protocole sanitaire aux frontières, je pense que les destinations où le variant est très répandu, il y a matière à discuter. Nous allons revenir sur ce sujet.
L’Arabie saoudite par exemple a établi une liste de pays à ne pas desservir. En Algérie, au niveau du comité scientifique, avez-vous fait la même chose ?
Non, ce n’est pas de nos prérogatives de parler des destinations à interdire ou mettre des couleurs autorisées/pas autorisées. Cela ne relève pas de nos prérogatives.
Mais si toutefois on nous demande de mettre un protocole spécial pour accueillir les voyageurs qui arrivent des pays où le variant est très répandu, notamment l’Inde, le Nigéria, le Brésil, etc., il faut être très strict là-dessus. On pourra en discuter, mais ce n’est pas la question aujourd’hui.
L’Union européenne a décidé d’ouvrir les frontières pour toute personne vaccinée contre le Covid-19. Est-ce qu’on a abordé ce sujet au niveau du comité scientifique ?
Pas du tout.
L’Algérie va-t-elle autoriser les personnes vaccinées à venir ?
Je ne crois pas. Concernant le passeport vaccinal dont on parle, il faut savoir qu’aujourd’hui on ne sait pas exactement si la personne vaccinée peut être contaminée et contaminer.
Pour nous, l’objectif de la vaccination est de limiter le nombre de cas graves et de décès. C’est l’objet principal de vacciner un nombre important de la population algérienne, pour qu’il y ait cette immunité recherchée pour pouvoir limiter le nombre de cas graves et mettre fin au nombre de décès.
Mais je ne peux pas faire de lien entre la vaccination et le voyage. On a vu des personnes vaccinées qui ont été contaminées une autre fois, et qui peuvent peut-être contaminer d’autres personnes.
On n’a pas suffisamment d’informations pour pouvoir dire que le passeport vaccinal vous ouvre les portes à toutes destinations. C’est trop tôt pour parler de passeport vaccinal.
Beaucoup attendent l’ouverture de salles des fêtes…
La question des salles des fêtes a été abordée. Il y a des maisons qui ont été louées pour faire office de salle de fêtes clandestines. A partir de là, il vaut mieux aller vers l’autorisation pour pouvoir contrôler ce qui se fait dans les salles des fêtes.
Peut-on faire un protocole sanitaire pour limiter la propagation des virus dans ces salles des fêtes ? La réponse est oui, évidemment.
En limitant le nombre de personnes, en mettant les tables de telle sorte à ce que la distanciation physique soit respectée, en rendant le port de masque obligatoire, etc.
On a même parlé d’un Covid manager qui va avoir la responsabilité de faire respecter l’application de ces mesures. Le respect du protocole sanitaire est possible et valable pour tous les secteurs d’activité. Il suffit qu’il y ait des sanctions.
Une salle des fêtes, qui ne respecte pas le protocole, doit être fermée. On a vu qu’avant l’Aïd-el-fitr, les magasins étaient pris d’assaut par les citoyens. Mais on a remarqué que dans ces magasins, le protocole sanitaire n’était pas respecté. Il n’y a pas eu de sanctions et c’est pour cela que ça continue aujourd’hui.
Le respect strict du protocole sanitaire n’est pas une phrase qu’on a envie de répéter comme ça. Ça a un sens très lourd. Il faudrait que les gens nous écoutent. Sans cela, nous n’allons pas nous en sortir.