Économie

Créances douteuses : les banques publiques piégées par la politique sociale du gouvernement

Les problèmes d’impayés soulevés par les crédits accordés par les banques publiques aux micro-entreprises reviennent sur le devant de la scène économique à la suite d’une intervention très officielle de la Banque d’Algérie.

L’institution dirigée par Mohamed Loukal a annoncé en fin de semaine dans son rapport annuel 2017 sur l’évolution économique et monétaire du pays, que le niveau des « créances non-performantes » des banques nationales par rapport au total des créances s’est retrouvé une nouvelle fois en hausse, « passant de 9.8% en 2015 à 11.9% en 2016 puis à 12.3% en 2017 ».

Les crédits Ansej pointés du doigt

Un chiffre qui est en réalité encore sensiblement plus élevé pour les banques publiques qui assument seules les conséquences des choix imposés par le gouvernement en matière de financement « obligatoire » de certaines activités.

Pour la première fois, le rapport de la Banque centrale attribue clairement cette augmentation des créances douteuses des banques publiques algériennes aux crédits octroyés dans le cadre du programme d’aide à l’emploi (Ansej, Cnac, Angem) qui « ont contribué à hauteur de 78% à la croissance des crédits non-performants des banques publiques en 2017 ».

La Banque d’Algérie ajoute : « l’accroissement continu des crédits au secteur privé, notamment aux micro-entreprises, a fait l’objet d’une surveillance rapprochée, eu égard au risque potentiel qu’ils portent ».

La micro-entreprise, combien ça coûte ?

Aujourd’hui, il n’existe aucune évaluation globale du coût financier des différents dispositifs mis en place par les pouvoirs publics pour favoriser la création de micro-entreprises. Pour la bonne raison qu’aucune institution gouvernementale n’a jugé utile de le faire.

Pour la seule Ansej, la somme des crédits octroyés à des « jeunes entrepreneurs », depuis la création du dispositif en 1996 jusqu’à fin 2017, c’est-à-dire en 21 ans, s’élèverait à plus de 1000 milliards de dinars (9 milliards de dollars environ) selon une estimation récente du ministre du Travail, Mourad Zemali.

Des financements dans lesquels les banques publiques sont en première ligne. On sait que dans les deux dispositifs Ansej et Cnac qui ont été uniformisés, 70% du crédit est à la charge des banques, 28 à 29% est assuré par les agences concernées tandis que l’apport personnel du bénéficiaire a été ramené au niveau symbolique de 1 à 2% du crédit. Ce sont donc essentiellement les banques publiques qui payent fortement incitées à le faire par leur actionnaire unique, l’Etat à travers le gouvernement.

Les banques publiques face à un problème d’impayés

La terminologie adoptée par les banques publiques à propos des « dispositifs mis en place par les pouvoirs publics » ou des « dispositifs du gouvernement » est révélatrice du peu d’enthousiasme que ces dispositifs d’exception inspirent encore aux responsables de ces établissements.

Avec l’arrivée à échéance dès 2015 et 2016 du remboursement des gros contingents de prêts accordés au début de la décennie, les « déperditions » de crédits Ansej et Cnac ont commencé à être évoquées publiquement. Le problème des impayés sur les prêts Ansej notamment aurait pris des proportions alarmantes que certaines sources n’hésitent pas à évaluer à plus de 50%.

En 2014, c’est un véritable pavé dans la marre que le ministre du Travail et de l’Emploi d’alors, Mohamed Benmeradi, avait jeté en tentant de « réfuter l’idée selon laquelle les jeunes ne remboursent pas leurs dettes ». Le ministre avait révélé que “le taux de recouvrement des échéances dues à l’Ansej à la date d’aujourd’hui est de 63%, le reste des prêts étant en contentieux”.

La situation était encore plus mauvaise pour le dispositif jumeau de la Cnac ou le même taux de recouvrement des prêts était seulement de 52%. M. Benmeradi remettait ainsi en cause, volontairement ou non, toutes les déclarations apaisantes des responsables du secteur.

Dans la période la plus récente, le gouvernement, par la bouche du ministre du Travail Mourad Zemali, a tenté de minimiser le problème des impayés de la micro-entreprise, en évoquant une amélioration du taux de remboursement des crédits qui aurait atteint près de 70%.

Pas d’effacement des dettes

Les bénéficiaires du dispositif Ansej, qui continuent pour nombre d’entre eux de nourrir l’espoir de voir l’Etat passer l’éponge sur leur dette à l’égard des banques et qui organisent régulièrement des manifestations en différents points du territoire national, ont certainement été déçus par les déclarations récentes du ministre du Travail

Mourad Zemali a prévenu voici quelques mois : « Je le dis clairement, l’effacement de cette dette n’est pas à l’ordre du jour, car c’est une opération contraire à l’esprit de l’entrepreneuriat, d’autant plus que nous voulons former une génération responsable, ayant cet esprit ».

M. Zemali avait rappelé en outre qu’il existe des mesures d’accompagnement au profit des jeunes entrepreneurs qui ont rencontré des difficultés qui consistent notamment dans le “rééchelonnement de la dette et l’annulation des pénalités de retard”, soulignant que “cela ne signifie pas l’effacement des dettes”.

Une première tentative de traitement des impayés….

C’est pour l’instant l’option retenue par le gouvernement. En se gardant bien de révéler des chiffres sur la taille du problème auquel font face les banques publiques qui sont en première ligne dans ce domaine, le ministère des Finances avait déjà annoncé, en février 2017, que les jeunes porteurs de projets en difficulté financière, pourront désormais bénéficier d’un rééchelonnement de leur dette bancaire.

C’est ainsi qu’une convention de retraitement des créances ainsi que des agios nés des crédits accordés aux promoteurs antérieurement au mois de mars 2011, a été signée en septembre 2017 , entre les banques publiques, l’Ansej et la Cnac.

“Cette convention va permettre d’effacer les agios qui sont les intérêts en retard et va permettre aussi un rééchelonnement de la dette bancaire”, avait indiqué le ministre des Finances, M. Raouya. Elle va permettre aux micro-entreprises d’avoir une “deuxième chance et redémarrer leur activité”, avait précisé M. Zemali.

…Et une réduction de la voilure confirmée

Le problème est qu’il ne s’agit en réalité que d’une première étape puisque le rééchelonnement ne concerne pour l’instant que les crédits antérieurs à février 2011 soit justement la date à partir de laquelle est intervenue le boom des crédits Ansej et Cnac.

Pour tenter d’endiguer la montée en puissance de la vague des crédits impayés, les déclarations des responsables gouvernementaux insistent désormais sur la nécessaire évolution « qualitative » de ce dispositif.

Il s’agit en réalité d’abord d’un processus de réduction de sa taille et de son coût. La plus importante des évolutions récentes concerne en effet les effectifs des bénéficiaires. Pour la seule Ansej, après un pic de plus de 60 000 dossiers agréés en 2012 , ce sont 41 000 micro-entreprises qui ont été créées en 2014 et seulement un peu moins de 24 000 en 2015, selon les chiffres communiqués à la presse par le DG de l’Agence. Des informations non confirmées évoquent un nombre de projets qui serait descendus au-dessous de 20 000 en 2016 et 2017.

Mourad Zemali a confirmé cette réduction de la voilure en annonçant récemment la création de 23 000 micro-entreprises Ansej durant l’année 2018.

En dépit de ces ajustements massifs, les banques publiques sont loin d’être tirées d’affaire et continueront encore pendant de nombreuses années à gérer les conséquences des largesses gouvernementales et du « risque potentiel » qu’elles représentent, selon le dernier rapport de la Banque d’Algérie.


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