Sans évoquer la date du 4 juillet prochain, le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah a insisté, dans son discours lundi 20 mai à Ouargla, sur la tenue des élections présidentielles qui permettra d’éviter, selon lui, de « tomber dans le piège du vide constitutionnel ».
« Il est certain que l’étape principale serait d’accélérer la constitution et l’installation d’une instance indépendante pour l’organisation et la supervision des élections(…) Nous attendons l’accélération de la prise des mesures adéquates pour la mise en œuvre de ce mécanisme constitutionnel, considéré comme l’outil juridique idoine pour préserver la voix de l’électeur et donner une crédibilité aux élections », a-t-il demandé.
Gaid Salah parle-t-il de l’installation d’une nouvelle instance différente de celle qui est déjà prévue dans l’article 194 de la Constitution ? L’article 194 évoque la création d’une Haute instance indépendante de surveillance (HIISE) des élections. Dans la même disposition, le président de la HIISE est nommé par le président de la République, autrement dit par un président élu, pas par un chef d’État intérimaire.
Le 11 mars, avant de démissionner le 2 avril, le président Abdelaziz Bouteflika avait dissout, la HIISE que présidait Abdelwahab Derbal. Dans les différentes feuilles de route de l’opposition, la création d’une instance indépendante pour organiser et contrôler les élections est demandée pour « éloigner » l’administration » accusée de frauder dans les opérations de vote.
« L’ancienne Instance faisait partie de la corruption politique »
Fawzi Oussedik, juriste, spécialiste en droit constitutionnel, estime qu’il existe une nuance linguistique dans les déclarations du général Gaid Salah. « Il parle de constitution et d’installation de l’Instance. Donc, on comprend qu’il fait allusion à l’instance prévue dans l’article 194 de la Constitution, parce qu’il ne parle pas de création d’une nouvelle instance. Quand il évoque l’installation, il pense à la désignation de nouveaux membres de la HIISE. Il parle aussi de « réactivation de l’instrument constitutionnel ». La réactivation se fait pour quelque chose qui existe déjà. Il est difficile de faire du neuf avec du vieux. L’ancienne Instance (celle d’Abdelwahab Derbal) faisait partie de la corruption politique et électorale de ces dernières années. Aussi, pour organiser des élections honnêtes, crédibles et acceptées, il est impératif de créer une Instance nationale indépendante pour organiser les opérations électorales. Cela commence de l’établissement du fichier électoral, en passant par la fixation du calendrier électoral, jusqu’à la proclamation finale des résultats avant leur confirmation par le Conseil constitutionnel », précise-t-il.
La création de cette nouvelle instance passe, selon lui, par la révision de la loi électorale de 2016. « Il s’agit de revoir toute la physionomie des élections. Mais, si on met en application ce qui existe déjà, notamment dans les 193 et 194 de la Constitution, on n’apporte pas de réponse aux revendications du hirak relatives à des élections honnêtes et propres où tout le monde aura les mêmes chances », appuie-t-il.
« L’Instance qui sera chargée d’organiser les élections sera le résultat d’un consensus politique »
La juriste Fatiha Benabbou, spécialiste en droit constitutionnel, a, elle, une autre lecture. Elle pense que la HIISE sera mise de côté. « Le général Gaid Salah a parlé d’une instance d’organisation des élections. J’avais moi-même demandé avant la démission de Bouteflika pour que la HIISE ait plus de prérogatives comme organiser les élections. La HIISE ne fait que superviser les élections », souligne-t-elle.
Mme Benabou pense que l’élection prévue présidentielle le 4 juillet prochain n’aura pas lieu. « Il va falloir s’entendre entre classe politique. Gaid Salah a demandé au hirak de s’organiser et de dégager des représentants crédibles. L’Instance qui sera chargée d’organiser les élections ne peut pas être la HIISE. Elle sera le résultat d’un consensus politique entre les représentants du hirak, les partis et la société civile. Ses membres seront proposés par la classe politique et de la société civile. Car, il s’agit de rétablir la confiance. L’instance qui sera installée devra revoir les listes électorales, ce qui prendra au moins deux mois. Automatiquement, il y aura report de l’élection à plus tard », pronostique-t-elle.
Mme Benabou rappelle que le peuple ne veut pas des élections du 4 juillet. « Donc, ces élections tombent d’elles même. Lorsque la Constitution n’offre plus de solution, il faut revenir à l’article 7 de cette même Constitution, c’est-à-dire au propriétaire de la souveraineté nationale qui est le peuple. C’est lui qui offre la garantie et la crédibilité par la légitimité populaire. Donc, on ne peut pas parler de « coup d’État » contre la Constitution », analyse-t-elle.