La généralisation de la langue arabe fait de nouveau débat en Algérie, dans un contexte de fortes tensions avec la France.
Les défenseurs d’une telle option plaident notamment pour l’usage exclusif de l’arabe dans les correspondances officielles de l’administration, l’enseignement se faisant déjà presque entièrement dans cette langue, mis à part certaines disciplines techniques à l’université, comme la médecine. Le débat n’est pas nouveau.
Ce débat date des premiers mois de l’indépendance et oppose régulièrement arabisants et francisants, deux courants qui traversent la société et ayant leurs prolongements dans les rouages de l’Etat. Outre les soubassements idéologiques, l’affrontement cachait mal une lutte pour s’accaparer les postes de la haute administration.
Ce n’est que dans les années 1970 que le processus de l’abandon du français au profit de l’arabe a commencé, par l’école d’abord, puis une partie de l’administration.
L’arabisation de l’enseignement a induit le recul de la langue française dans tous les segments de la société, des enseignes des magasins jusqu’aux médias, le lectorat francophone devenant rachitique d’année en année.
En 1998, une loi imposant la généralisation de la langue arabe a été adoptée, prévoyant des peines contre les agents de l’Etat qui signeraient des documents rédigés dans une autre langue que l’arabe, à l’époque unique langue officielle. Mais la mise en application du texte sera gelée par Abdelaziz Bouteflika, arrivé au pouvoir une année plus tard.
Depuis quelques semaines, les défenseurs de l’arabe sont revenus à la charge pour un motif étonnant : une crise politique et diplomatique entre l’Algérie et la France.
Après les déclarations du président français Emmanuel Macron le 30 septembre dernier, l’Algérie officielle a réagi par les canaux habituels, rappelant notamment son ambassadeur à Paris, mais des voix insistent pour prendre plus de mesures, parmi lesquelles le déterrement de la loi sur la généralisation de la langue arabe.
Lors d’une conférence organisée pendant cette semaine par l’Assemblée populaire nationale (APN), les intervenants, des députés et des acteurs de la société civile, ont proposé de répliquer à la France par l’interdiction totale de l’usage de sa langue en terre algérienne.
En quoi l’arabisation sera douloureuse pour la France ?
L’idée de remplacer le français par l’anglais dans les segments de l’enseignement qui ont échappé à l’arabisation remonte à 2019 et émane du courant dit « badissia-novembria » qui rassemble des arabo-islamo-conservateurs opposés au hirak populaire, et même de certains officiels.
Le ministre de l’Enseignement supérieur avait par exemple annoncé le remplacement imminent de la langue de Molière par celle de Shakespeare dans les filières techniques à l’université. Le projet a été jeté aux oubliettes mais il est déterré à la faveur de cette crise avec la France.
Certains ministres (Jeunesse et Sport, Travail) ont déjà instruit leurs subordonnés de ne plus utiliser la langue française. Les autres départements suivront-ils ou l’idée sera-t-elle de nouveau abandonnée dès les premiers signes de dégel dans les relations entre l’Algérie et la France ?
La décision de généraliser ou pas la langue arabe, donc de mettre fin à l’usage du français ou de le maintenir, appartient aux plus hautes autorités de l’Etat, mais certaines voix s’élèvent déjà pour dénoncer cet amalgame qui est fait entre une langue et la nation d’où elle est originaire.
Abderrazak Dourari, professeur en sciences du langage, avance un argument infaillible : la lutte anticoloniale en Algérie a été menée dès le début, dans les années 1920, jusqu’à l’indépendance, par des francophones. « Quand on considère que la langue française est celle du colonisateur, on oublie que l’anglais est la langue de l’impérialisme mondial », souligne-t-il encore.
Kateb Yacine, qu’on ne peut soupçonner de sympathies colonialistes ou impérialistes, a donné à l’Algérie ses plus belles œuvres littéraires, en usant de la langue française qu’il qualifiait de « butin de guerre ».
Beaucoup s’interrogent en outre en quoi l’abandon du français serait « douloureux » pour la France, estimant que c’est au contraire l’Algérie qui risque de beaucoup perdre en tournant le dos brusquement à une langue étrangère qu’une grande partie de ses élites maîtrise et pour laquelle elle constitue l’unique fenêtre sur le monde de la recherche, sans garantie de la remplacer dans des délais raisonnables.
Une arabisation brutale risque de provoquer beaucoup plus de dégâts à l’Algérie qu’elle n’en fera pour la France, car cela signifie la mobilisation de moyens colossaux, et l’abandon de compétences algériennes qui ont été formées en français. L’Algérie dispose d’autres leviers pour défendre ses intérêts face à la France.
Ce qui est gênant et dangereux dans cette nouvelle poussée de l’arabisation en Algérie, ce sont les motifs purement politiques de ses partisans. On connaît les dégâts occasionnés par l’arabisation forcée dans les années 1970 durant lesquelles l’Algérie était devenue un grand laboratoire d’expérimentation.
Certains enseignants importés des pays arabes, dont l’Egypte, ont semé les graines de la haine et de la discorde, donnant naissance ensuite à l’intégrisme religieux, à l’origine de la tragédie nationale des années 1990.
L’arabisation ou l’adoption de l’anglais est une affaire de spécialistes, et ne doit jamais obéir aux sursauts des relations politiques entre l’Algérie et la France.