En Espagne, de plus en plus de voix redoutent de graves conséquences, notamment économiques, de la crise avec l’Algérie.
En interne, le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez est de plus en plus fustigé pour ses décisions ayant conduit à s’aliéner un partenaire important, le principal fournisseur de gaz du pays, de surcroît dans un contexte de crise énergétique mondiale.
La brouille entre l’Algérie et l’Espagne a commencé le 18 mars dernier, en pleine guère en Ukraine et ses retombées sur la carte énergétique mondiale.
En réaction à la décision du gouvernement espagnol d’appuyer le plan d’autonomie marocain, ce qui constituait un revirement historique dans la position de l’Espagne dans le dossier du Sahara occidental, l’Algérie a pris une série de mesures, dont la plus importante est la suspension, le 8 juin, du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne.
Dès le lendemain, la ministre espagnole de l’Énergie, Teresa Ribera, a reconnu que cette crise intervient à « un moment délicat », alors que les contrats d’approvisionnement font l’objet d’un processus de révision des prix.
L’autre grosse crainte concerne l’éventualité de l’arrêt des livraisons algériennes de gaz, même si sur ce point, l’Algérie a assuré qu’elle respectera ses engagements contractuels.
Les prix de l’énergie sont montés en flèche dans le monde à cause du conflit russo-ukrainien et l’Espagne, à travers la décision de son gouvernement qui a fâché son principal fournisseur de gaz, ne s’est pas mise dans les meilleures dispositions pour amortir les retombées de la flambée.
L’économie espagnole n’est pas au mieux et cette crise avec l’Algérie ne fait qu’aggraver les choses. On parle d’une inflation de 10 % sur un an, un record depuis 40 ans, et des risques pour la compétitivité des entreprises espagnoles à cause de la hausse de la facture de l’énergie.
Pour celles qui travaillent avec l’Algérie, c’est carrément l’arrêt ou la réduction drastique de l’activité à cause de la note de l’ABEF suspendant les transactions avec l’Espagne. En 2019, l’Espagne a exporté pour trois milliards de dollars de produits vers l’Algérie.
« À court terme c’est un désastre », déclare à France 24 le gérant d’une entreprise de commercialisation de produits chimiques dont l’activité dépend à 85 % de l’Algérie. “Nos clients ne peuvent pas nous payer, et nous ne pouvons pas envoyer de marchandises d’Espagne vers l’Algérie“, a déclaré Juan Ignacio Pero, président du groupe PMS à France 24.
En plus de l’arrêt des importations algériennes de ce pays, les entreprises espagnoles redoutent une hausse des coûts de production, avec la décision affichée par l’Algérie de revoir à la hausse les prix du gaz fourni à l’Espagne. “Cela fait deux à trois mois que notre facture de gaz a quasiment doublé, à cause de la guerre en Ukraine et maintenant en raison des tensions avec l’Algérie“, a indiqué Pere Aguade, propriétaire de l’entreprise de céramique Aguade, basée à Barcelone.
“C’est tout le tissu productif de l’Espagne qui va pâtir de la hausse du prix du gaz ou encore de l’électricité. Cela va affecter toute la compétitivité du pays“, a expliqué Juan Carlos Martinez Lazaro, professeur d’économie, toujours à France 24.
« Désastre diplomatique »
C’est dans ce contexte que José Maria Aznar, l’ancien président du gouvernement espagnol (1996-2004) s’est exprimé sur la situation sociale et économique du pays et la crise avec l’Algérie. C’est Aznar qui a signé il y a 20 ans le traité d’amitié que l’Algérie vient de suspendre.
« Parmi les désastres diplomatiques que j’ai vus ces derniers temps, l’un des plus notables est celui que ce gouvernement a organisé avec les deux pays (Algérie et Maroc, ndlr) », a déclaré Aznar sur le plateau du média Public Miror.
L’ancien Premier ministre conservateur espagnol trouve anormal par exemple qu’une décision importante du gouvernement espagnol soit annoncée par le roi du Maroc, en référence au revirement du 18 mars dernier.
« Que le roi du Maroc lise la lettre du président du gouvernement espagnol, par laquelle une politique de 40 ans est modifiée sans en informer l’opposition, ni tenir de débat parlementaire, ni la raison pour laquelle elle n’est pas signalée directement aux Espagnols, c’est une chose inhabituelle qui provoque la réaction de notre allié avec qui nous avons un accord stratégique que j’ai moi-même signé avec le président Abdelaziz Bouteflika en 2003. Nous avons tué cet accord du premier fournisseur de gaz de l’Espagne dans un contexte de crise de l’énergie », a déploré Aznar.
Pour lui, l’Espagne va « payer cher » les errements diplomatiques de Pedro Sanchez. « Ce qui a été fait diplomatiquement et politiquement en Afrique du Nord est un revers extraordinaire pour l’Espagne, et nous allons le payer cher parce que ces choses dans le monde international ne sont pas gratuites », dit-il.
« Nous en payons déjà le prix en termes de manque de crédibilité et de manque de respect et de considération », a-t-il regretté.